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Dans le labo de Facebook, machines et intelligence artificielle fraternisent

©facebook

Notre cerveau est doté d’un modèle d’auto-apprentissage qui nous empêche de faire des choses stupides. Facebook tente d’en équiper également les machines.

À première vue, la plateforme robotique embryonnaire de Facebook semble chaotique. Dans un nouveau labo logé dans le siège somptueux du groupe en Californie, un bras de robot Sawyer rouge et noir balaie l’espace devant lui, en émettant des gémissements mécaniques. On attend de lui qu’il dirige sa main vers un endroit sur sa droite, mais il va plus haut et finalement revient à sa position initiale. Le bras se remet en mouvement, toujours vers la droite, mais en s’approchant cette fois de son but. Là encore, il manque sa cible, puis s’en écarte brusquement, au grand désespoir de tous ceux qui l’encouragent autour de lui. Ces mouvements n’ont rien d’insensés. Au contraire, leur apparence erratique dénote une capacité cognitive susceptible, selon Facebook, non seulement de concevoir de meilleurs robots mais aussi de développer une intelligence artificielle (IA) plus proche de nos facultés humaines.

"Ce que nous avons tenté d’instiller au robot, c’est la curiosité."

Franziska Meier
Chercheuse en Intelligence artificielle chez Facebook

Actuellement, les robots sont d’une stupidité sans nom. Il faut tout leur expliquer sous peine de les voir rester les bras ballants: comment aller en avant, comment bouger… Nous, les humains, apprenons plus intelligemment. Même les bébés comprennent qu’un objet qui disparaît de leur vue n’a pas pour autant quitté l’univers physique. Ils apprennent qu’ils peuvent faire rouler une balle mais pas un canapé.

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Toutes ces expériences façonnent un modèle du monde dans notre cerveau, ce qui nous permettra plus tard d’apprendre à conduire une voiture sans la crasher. Notre cerveau est doté d’un modèle d’auto-apprentissage qui nous empêche de faire des choses stupides. Facebook tente d’en équiper les machines également. "Les systèmes qui apprennent des modèles du monde sont le prochain défi à relever pour réaliser des progrès significatifs en IA", explique Yann LeCun, responsable des recherches en IA chez Facebook.

"Ce que nous avons tenté d’instiller au robot est la curiosité", précise Franziska Meier, chercheuse en IA chez Facebook. C’est la façon dont les humains apprennent à manipuler des objets: les enfants sont mus par la curiosité à l’égard de leur environnement. Ils n’essayent pas quelque chose de nouveau, comme tirer la queue du chat, parce qu’ils doivent le faire mais parce qu’ils se demandent ce qui va arriver s’ils le font, quitte à ennuyer nos pauvres matous. Le bras du robot de Facebook peut très bien rater sa cible de peu et ensuite s’en éloigner très fort. Parce que les chercheurs ne récompensent pas ses progrès mais lui donnent la liberté d’essayer des mouvements non optimaux. Il tente de nouvelles choses, comme un bébé.

Apprentissage supervisé

Chaque mouvement alimente le système en nouvelles données. "Bien que cela n’ait pas permis de réaliser la tâche, cela nous a fourni des données supplémentaires et la variété des données que nous obtenons en explorant de la sorte est plus élevée que si nous n’explorions pas", souligne Franziska Meier. Ce concept est ce qu’on appelle l’apprentissage supervisé: le robot essaie de nouvelles choses et met à jour un logiciel qui l’aide à prédire les conséquences de ses actions. L’idée est de rendre les machines plus flexibles et moins entêtées dans la réalisation d’une tâche. Un peu comme quand on doit sortir d’un labyrinthe. Un robot croit connaître la direction vers la sortie. Il va donc reprendre invariablement le même chemin même s’il tombe systématiquement sur une impasse. "En étant aussi focalisé sur cette seule direction, vous risquez de vous retrouver coincé", fait observer le roboticien de l’Université d’Oslo, Tønnes Nygaard, qui a développé un robot à quatre jambes qui apprend à marcher par lui-même. "Au lieu de me dire sans cesse, ‘Je veux aller dans cette direction parce que je suis persuadé qu’elle me mènera à la solution’, je m’efforce simplement d’explorer. Je vais tenter de trouver de nouvelles solutions."

Ainsi, les mouvements apparemment incohérents du bras du robot de Facebook expriment en réalité de la curiosité. Et c’est cette démarche qui pourrait conduire à concevoir des machines plus aptes à s’adapter à leur environnement. Pensez à un robot ménager chargé de remplir le lave-vaisselle. Il pense peut-être que la meilleure manière de placer une tasse sur le plateau du haut est de passer par le côté. Mais, ce faisant, il butte sur le bord du plateau. C’est déterministe en un sens: un processus d’essais et d’erreurs pour arriver à cette voie moins idéale, qui consiste à chercher à améliorer le chargement du plateau par le côté, sans pouvoir faire marche arrière et essayer une autre voie. Un robot curieux, en revanche, peut expérimenter et apprendre que la meilleure manière est en réalité de remplir le lave-vaisselle par le haut. Son approche est flexible, et non pas déterministe, ce qui en théorie lui permettrait de s’adapter plus aisément à des environnements humains dynamiques.

Mais les simulations sont une façon encore plus facile et plus rapide d’apprendre aux robots à mener à bien une tâche. La méthode est relativement rapide parce que les itérations se déroulent beaucoup plus vite lorsque les "machines" numériques ne sont pas contraintes par les lois de la physique du monde réel.

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L’efficacité des simulations a toutefois son revers: elles représentent imparfaitement le monde réel. Il est tout simplement impossible de simuler intégralement les complexités des environnements humains dynamiques. Des chercheurs ont réussi à entraîner des robots à réaliser des tâches en simulation mais ont toutes les peines du monde à transposer ces connaissances dans des robots opérant dans le monde réel, parce que les environnements numérique et physique ne correspondent pas.

Si la moindre activité dans le monde physique est plus lente et plus laborieuse, elle produit en tout cas des données plus "pures" d’une certaine manière. "En clair, si cela fonctionne dans le monde réel, c’est que cela fonctionne véritablement", souligne Roberto Calandra, chercheur en IA chez Facebook. Même en concevant des robots très complexes, vous ne pouvez pas simuler le chaos du monde humain qu’ils devront gérer. Ils doivent le vivre. Cette approche s’imposera de plus en plus à mesure que nous confierons aux robots des tâches plus complexes. Un robot chargé de soulever des portes de voiture sur une ligne de production est assez facile à encoder correctement mais, pour naviguer à travers le chaos d’une maison, un robot devra s’adapter par lui-même en faisant preuve de créativité, pour ne pas rester coincé dans des boucles de rétroaction. Un programmeur ne peut pas prévoir chaque obstacle.

Convergence

Le projet de Facebook ouvre la perspective d’une grande convergence de l’IA et des robots. Jusqu’à présent, ces mondes ont évolué chacun de leur côté. Certes, les robots ont toujours eu besoin de l’IA pour opérer de manière autonome. Mais, si des géants technologiques comme Google, Amazon et Facebook ont réalisé des progrès majeurs dans le développement de l’IA dans des environnements purement numériques les robots sont restés assez primaires: les chercheurs ont surtout visé à ce qu’ils accomplissent des tâches sans s’emmêler les pinceaux.

L’idée est de rendre les machines plus flexibles et moins entêtées dans la réalisation d’une tâche.

Cela commence à changer. Les chercheurs en IA utilisent à présent des robots comme plateformes pour affiner des algorithmes de logiciel. Facebook, par exemple, pourrait tenter d’apprendre à un robot à résoudre une série de tâches par lui-même. Ce qui, à son tour, alimentera le développement d’assistants IA capables de mieux planifier une séquence d’actions pour vous, l’utilisateur. "C’est le même problème, poursuit LeCun. Si vous le résolvez dans un contexte, vous le résoudrez dans l’autre contexte."

Autrement dit, l’IA rend les robots plus intelligents mais les robots sont capables aujourd’hui, à leur tour, de la faire progresser. "Aujourd’hui, nombre de questions et de problèmes intéressants en lien avec l’IA particulièrement l’avenir de l’IA, et la façon de l’amener au niveau humain sont étudiés par des chercheurs qui travaillent dans la robotique, fait remarquer LeCun. Parce qu’on ne triche pas avec les robots. Il n’est pas possible d’avoir des milliers de personnes qui identifient des images pour vous."

Une question nous turlupine: à quoi un géant comme Facebook destine-t-il des robots? Pour l’heure, l’entreprise déclare que ces recherches ne concernent pas un nouveau type de produits en particulier. Gardez cependant à l’esprit que le business de Facebook consiste à mettre des gens en contact (et aussi, bien sûr, à leur montrer des pubs au passage). "Nous pensons que la robotique en sera une composante importante pensez à des activités telles que la téléprésence", précise LeCun. Après tout, Facebook produit déjà du matériel, avec le système Oculus VR et Portal, son appareil de vidéoconférence. "La suite logique de cela consiste peut-être à concevoir des objets qu’on peut contrôler à distance."

Mais c’est encore de la science-fiction. Tous les robots ménagers, à part l’aspirateur Roomba, ont échoué jusqu’à présent, en partie parce qu’ils ne sont pas suffisamment intelligents ou utiles. Aucun robot n’est particulièrement malin. Mais peut-être que le bras gesticulant du robot de Facebook contribuera à booster leur QI.

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