À la recherche d'un vaccin pour votre portefeuille
Si les bourses ont récupéré une partie importante de leurs pertes grâce aux injections d’argent des banques centrales, la crise du coronavirus n’a pas dit son dernier mot et nous ne pouvons pas exclure une deuxième correction. Quelles leçons les sociétés de gestion de fonds tirent-elles de la crise et comment peuvent-elles se positionner pour les mois à venir?
En février et mars, de nombreux marchés d’actions ont accusé des pertes de 30 à 40%. Trois mois après avoir touché le fond (le 16 mars), de nombreuses bourses ont déjà presque comblé le fossé. Mais ce rebond n’est dû qu’à l’action des banques centrales. Grâce à leur intervention rapide et probablement excessive, le cash ainsi libéré a trouvé le chemin des marchés d’actions.
Le marché anticipe une reprise en V malgré le fait que certains risques soient encore clairement présents.
Tout le monde ne se réjouit pourtant pas de la reprise rapide des bourses. La plupart des sociétés de gestion de fonds sont convaincues que l’économie et la bourse sont entièrement décorrélées. "Le marché anticipe une reprise en V malgré le fait que certains risques soient encore clairement présents", estime Günter Van Rossem, d’Orcadia AssetManagement. Dirk Thiel, de KBC Asset Management, considère que la réaction des bourses masque la réalité. "Les marchés s’attendent à une reprise rapide du ‘business as usual’, mais ce n’est pas réaliste", explique-t-il.
Wim D’Haese, de Deutsche Bank, ne dit pas autre chose et prévient: "Les résultats des entreprises pour le deuxième trimestre seront un moment de vérité. Les ratios cours/bénéfices sont beaucoup plus élevés que la moyenne historique, car ils sont soutenus par les taux bas et ces énormes injections de fonds", ajoute-t-il.
Malgré ce pessimisme, les actions continuent à caracoler en tête du hit-parade des portefeuilles des sociétés de gestion de fonds. Deux sur trois estiment qu’il n’existe aujourd’hui aucune alternative aux actions. "Les marchés sont alimentés par l’argent des banques centrales, qui sont entrées dans un jeu dont elles n’arrivent plus à sortir. Le junkie reçoit tout simplement de plus en plus de drogue. Résultat: on investit principalement dans les actions d’entreprises affichant des flux de liquidités stables", explique Werner Wuyts, de Dierickx Leys.
La principale leçon de la crise du coronavirus, c’est qu’il ne faut pas céder à la panique.
Erwin Deseyn, de CapitalatWork, fait aussi référence aux banques centrales. "Tout ce qui génère du cash-flow vaut de l’or lorsque les taux sont à 0%", explique-t-il pour justifier sa préférence pour les actions.
Erik Joly, d’ABN Amro Private Banking, estime, pour sa part, que les investisseurs qui optent pour du cash et des obligations perdent une partie de leur pouvoir d’achat. "Les taux sont bas et devraient le rester longtemps. L’inflation n’est pas très élevée, mais elle reviendra tôt ou tard. La politique des banques centrales pèse sur les taux à long terme. Bien entendu, les actions comportent toujours un risque et n’offrent aucune certitude. Mais le passé a montré que les investissements en actions étaient les plus rentables", ajoute-t-il.
Le supplément Fonds, ce mercredi 17/06, gratuit avec L'Echo
Investir après le coronavirus | Le vaccin adéquat pour votre portefeuille
Si les injections de fonds par les banques centrales soutiennent les bourses, elles ne peuvent être considérées comme un vaccin, mais plutôt comme un masque de protection. Elles occultent la réalité économique et les nombreux risques qui pèsent sur le marché. Une nouvelle flambée du coronavirus, les tensions entre les États-Unis et la Chine, les gigantesques déficits budgétaires de nombreux pays et le Brexit constituent des incertitudes majeures. Les gestionnaires de fonds sont dès lors à la recherche d’un vaccin pour se protéger de nouvelles catastrophes pendant les mois qui viennent. Ils ont sélectionné quelques ingrédients susceptibles d’être utilisés dans la formule.
1. S’attendre à l’imprévisible
Personne n’avait vu venir la crise du coronavirus. Cela prouve une fois de plus qu’il ne faut jamais exclure l’arrivée d’un cygne noir et que les investisseurs doivent s’attendre à l’imprévisible. "Si l’on part de ce principe, il faut se concentrer sur l’essentiel: qu’en est-il du ratio risque/rendement de mon portefeuille?", explique Werner Wuyts. "Il faut toujours tenir compte d’un scénario où les actions perdent 30% de leur valeur. Cela permet de rester zen en cas d’accident."
Le cash peut se révéler plus payant que des investissements incertains dans des actions.
Pour Yves Ceelen, de DPAM, une bonne préparation permet d’anticiper l’imprévisible. "En 2007, c’est-à-dire bien avant l’éclatement de la crise financière, certains signaux de stress étaient déjà perceptibles. Aujourd’hui aussi, le marché monétaire américain montrait des signes inquiétants avant la déferlante du coronavirus. Il était clair à ce moment-là qu’il valait mieux réduire les risques en investissant en priorité dans des instruments et des actifs très liquides, qui permettraient de sortir du marché à un prix ‘correct’ au moment où la tempête ferait rage, ce qui ne serait pas possible avec des actifs illiquides", estime-t-il. Yves Ceelen perçoit cependant d’autres signes inquiétants. "Au cours des prochaines années, il sera très important de suivre de près les banques centrales et les déficits des différents pays."
Ceux qui souhaitent se préparer à l’imprévisible peuvent conserver des munitions sous forme de cash, estime Werner Wuyts. "Le cash perd de sa valeur – mais de manière contrôlée – par l’intermédiaire de l’inflation, mais cette stratégie peut parfois se révéler plus payante que des investissements incertains dans des actions", ajoute-t-il. Même son de cloche du côté de Günter Van Rossem: "Pour un investisseur particulier, le rendement net du cash est comparable (et peut parfois être plus élevé) que celui d’obligations à court terme et ce, sans prendre le moindre risque."
2. Les fondamentaux sont importants
Plusieurs sociétés de gestion de fonds estiment que nous devons revenir aux fondamentaux de la bourse. "Il est peut-être un peu tôt pour tirer des conclusions de la crise, mais la principale leçon, c’est sans aucun doute que les fondamentaux restent importants, quel que soit l’investissement", estime Bart Van Poucke, de BNP Paribas Asset Management. "Depuis que les banques centrales soutiennent artificiellement les marchés – c’est-à-dire depuis 2008 – les fondamentaux ont été oubliés. Dès que les marchés se sont retrouvés sous pression à cause du coronavirus, ce sont les entreprises dont les fondamentaux étaient les moins bons qui ont pris les plus fortes claques. Les investisseurs doivent donc se montrer beaucoup plus rationnels lorsqu’ils achètent des actifs risqués."
Steven Steyaert, de NN Investment Partners, commente la situation en citant les paroles désormais célèbres de Warren Buffett: "C’est quand la mer se retire qu’on voit ceux qui se baignent nus". Il poursuit: "La crise du coronavirus a encore creusé le fossé entre les entreprises et les secteurs les plus et les moins performants. Parmi les premiers, on trouve les secteurs affichant une croissance structurelle, comme l’IT, la communication et le commerce de détail en ligne. Dans le second groupe, on trouve surtout des entreprises cycliques, celles dont la structure bilantaire est faible et celles qui font face à d’importants défis structurels sur le long terme. Il peut s’agir par exemple de certains segments immobiliers et d’entreprises pétrolières", ajoute Steven Steyaert.
Attachez vos ceintures!
Les sociétés de gestion de fonds préviennent: la forte correction, suivie par une reprise rapide, n’est que le début d’une période volatile. «Les quantités énormes de liquidités en circulation augmentent la vitesse de réaction des marchés. Les choses peuvent évoluer très vite et très violemment dans les deux sens. Les bonnes dispositions des banquiers centraux – et aujourd’hui aussi des autorités publiques en matière budgétaire – représentent une ‘option put’ pour les investissements risqués, mais cela ne signifie pas que la cyclicité et la volatilité ont disparu», prévient Dirk Thiel, de KBC Asset Management. Pour Steven Steyaert, les investisseurs s’attendent aujourd’hui au scénario post-coronavirus le plus optimiste. «En d’autres termes, ils misent sur une reprise en V, où les marchés retrouvent en l’espace de cinq trimestres les mêmes niveaux de bénéfices que ceux précédant la crise. Ce scénario serait la plus forte reprise jamais observée en 70 ans», souligne-t-il, en faisant référence aux caprices du marché.
3. Les investissements durables sont payants
Ces dernières années, la popularité des investissements durables a littéralement explosé. Le bureau d’enquêtes Lipper a voulu savoir s’ils avaient mieux performé que leurs homologues traditionnels pendant la crise du coronavirus. Les experts ont examiné les résultats de 34.430 fonds – dont 3.000 fonds durables – entre fin janvier et fin mars, au moment où les bourses se sont effondrées. L’enquête a révélé que les fonds durables s’étaient bien mieux comportés pendant cette période que les fonds non durables.
Ces résultats démontrent que la durabilité peut s’avérer un excellent amortisseur pour votre portefeuille. "Il est possible de miser sur la durabilité en investissant par exemple dans des entreprises industrielles impliquées dans des activités durables ou dans des producteurs d’énergie renouvelable", conseille Yves Ceelen.
D’après les sociétés de gestion de fonds, le concept de durabilité évoluera suite à la crise du coronavirus. Les investissements durables sont souvent regroupés sous l’acronyme ESG (Environnement, Société et Gouvernance). Jusqu’à tout récemment, la composante environnementale était généralement privilégiée. Si l’on en croit les gestionnaires de fonds, les choses vont changer et la composante sociale devrait gagner en importance.
4. La technologie est là pour rester
Cela fait déjà plusieurs années que les actions technologiques caracolent en tête des classements boursiers. De nombreux observateurs se plaisent à rappeler la crise des "dotcoms" de 2001 et le danger d’une possible correction. Mais la pandémie de Covid-19 a démontré que la technologie était là pour rester et qu’elle s’était même renforcée pendant la crise. "Il est clair que la digitalisation a pris un coup d’accélérateur. La technologie est aujourd’hui notre secteur privilégié et couvre plusieurs sous-segments, comme la digitalisation, l’intelligence artificielle et la sécurité", explique Wim D’Haese.
Giel Maris, d’Argenta, renchérit: "Cela fait plusieurs années que le secteur technologique progresse – Cloud, cybersécurité, technologies médicales, consommation numérique, robotisation – et nous pensons que cette tendance se poursuivra de manière accélérée après la crise", ajoute-t-il.
L’Europe boudée
Ces dernières semaines, la reprise des marchés boursiers a été beaucoup plus marquée aux Etats-Unis qu’en Europe. Malgré ce retard, l’Europe continue à être boudée par les sociétés de gestion de fonds, qui lui préfèrent nettement les Etats-Unis et les pays émergents. «Le soutien inédit de la banque centrale et du gouvernement américains, combiné à la vigueur du marché intérieur, rend l’Amérique du Nord incontournable. En ce qui concerne les marchés émergents, nous misons surtout sur la Chine et l’Inde, qui représentent ensemble la moitié de la population mondiale», souligne Giel Maris, d’Argenta. Même chose pour Erik Joly: «Au niveau géographique, nous préférons les Etats-Unis à l’Europe. Le marché d’actions américain est très exposé au secteur technologique, alors qu’en Europe, il est dominé par le secteur financier.» Pour Bart Van Poucke, de BNP Paribas Asset Management, les valorisations des actions de marchés émergents sont intéressantes, et c’est la Chine qui devrait le plus profiter des mesures de relance.
5. Les obligations pourries sont pourries
À cause des taux bas, la rémunération des obligations de qualité se situe aujourd’hui à un plus bas historique. Dans leur recherche de rendement, de nombreux investisseurs se sont donc tournés vers des obligations d’émetteurs peu solvables. Ces obligations sont appelées "junk bonds" (obligations "pourries"), même si on les affuble le plus souvent de l’appellation plus sympathique "high yield" (à haut rendement).
"Il y a une bonne raison de qualifier ces obligations à haut rendement de ‘pourries’", explique Günter Van Rossem. "Ceux qui pensent détenir un portefeuille de risque ‘neutre’ avec 50% d’actions et 25% d’obligations à haut rendement se font des illusions", estime-t-il. C’est pour cette raison qu’il conseille de les éviter. "Les rendements proposés ne sont pas suffisants pour compenser le risque qui pourrait se matérialiser dans les mois à venir.".
Nous avons une préférence pour les obligations à haut rendement.
Et il n’est pas le seul. Yves Ceelen: "Il faut rester prudent avec cette catégorie d’actifs. Les banques centrales fournissent des liquidités, certes, mais cela ne veut pas dire qu’elles amélioreront la solvabilité de toutes les entreprises. La vague de faillites est encore à venir", prévient Yves Ceelen.
Luc Aben, de Van Lanschot Bankiers, se positionne à contre-courant: "Nous avons une préférence pour les obligations à haut rendement. Aux États-Unis, elles bénéficient du soutien de la Réserve fédérale. De plus, les entreprises mettent un point d’honneur à payer leurs créanciers, si nécessaire via une augmentation de capital", justifie Luc Aben.
6. Garder la tête froide
Même si c’est plus facile à dire qu’à faire, la règle de base en investissement est d’éviter de se laisser guider par ses émotions. "La principale leçon de la crise du coronavirus, c’est qu’il ne faut pas céder à la panique", estime Erik Joly. "Lorsque les cours baissent de 10%, certains actionnaires se précipitent pour vendre. Si le marché continue à baisser, par exemple de 20%, ils veulent racheter, même s’ils sont moins convaincus. En cas de perte de 25%, l’inquiétude s’installe et les incertitudes augmentent. On ne parle plus de racheter. Au contraire. Si les cours reculent ensuite de 10% supplémentaires, certains paniquent… et vendent au plus mauvais moment. La récente crise ne changera rien au comportement des investisseurs", poursuit Erik Joly.
Luc Aben partage cet avis: "Il est important de garder la tête froide dans les moments les plus chahutés. Et d’oser nager à contre-courant , ajoute-t-il. Lorsqu’on se trouve au bord de la noyade, il y a souvent une bouée de sauvetage à proximité, estime Erwin Deseyn. "Il ne faut jamais sous-estimer l’ingéniosité de nos semblables", conclut-il.
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