Cela fait des mois que certains commerces sont fermés sur ordre du gouvernement. Ceux qui sont locataires de leur espace commercial sont en principe tenus de continuer à payer leur loyer. Il est tout à fait légal pour le propriétaire de continuer à percevoir son loyer, malgré les circonstances. Du côté du preneur, la situation peut bien évidemment devenir catastrophique. Et l'on comprend aussi que du côté du bailleur, surtout s'il s'agit d'un "petit" particulier qui finance de surcroît son investissement immobilier par l'emprunt, renoncer à plusieurs mois de loyer peut devenir tout aussi dangereux sur le plan financier. La situation est donc très délicate et de nombreux conflits entre locataires et propriétaires se règlent désormais au tribunal.
1/ Que dit la loi ?
"La loi ou les arrêtés de pouvoirs spéciaux ne se sont jamais immiscés dans le champ contractuel", explique Vincent Defraiteur, avocat spécialisé en droit immobilier. Les obligations découlant du bail, dont le paiement du loyer, restent de mise.
Cependant, la situation actuelle est analysée par de nombreux praticiens comme étant une application de la théorie des risques, une variante de la force majeure. "La question qui se pose depuis mars dernier est de savoir si cette force majeure trouve à s’appliquer ou pas. Les auteurs se sont posé la question sur la base de jurisprudence ancienne. Leur analyse a abouti à la conclusion que si et quand cette théorie trouve à s’appliquer, le contrat est suspendu, avec pour conséquence que le preneur est libéré de son loyer", poursuit-il.
Mais attention, la théorie de la force majeure n'est pas d'ordre public, cela signifie qu'elle peut être exclue dans le contrat de bail ou encore que le juge ne peut pas la soulever d'office. À l’audience, c'est donc au preneur de s'en prévaloir.
"Un petit indépendant n’est pas traité de la même manière qu’une grande enseigne."
2/ Que disent les juges?
Ce sont les juges de paix qui sont compétents en matière de bail. À ce jour, la jurisprudence est éclatée: certains font droit à cette théorie de la force majeure, d’autres la rejettent. La notion d’abus de droit dans le chef des bailleurs a aussi été plaidée et retenue par certains magistrats pour limiter le loyer dû par le preneur. "Tout dépend donc du juge, mais aussi de la personne du preneur ou de l’activité exercée. Un petit indépendant n’est pas traité de la même manière qu’une grande enseigne. Pour l’horeca, le fait que l’enseigne ait pu continuer l'exploitation via des livraisons entre aussi en ligne de compte", constate Vincent Defraiteur. Un coiffeur qui a fait zéro chiffre d'affaires depuis le mois de novembre ne sera vraisemblablement pas traité de la même manière qu'un exploitant horeca qui a fonctionné en livraisons ou en click and collect.
Mais il n’y a pas, à ce jour, de décision de principe. On attend des décisions d’appel (par les tribunaux de première instance) mais, à nouveau, on peut s’attendre à des décisions variées selon les tribunaux, et selon les espèces.
3/ Et une solution à l'amiable?
Dans le contexte exceptionnel que nous vivons, la piste à privilégier est sans doute celle d'un effort - ou d'un sacrifice - partagé. Le bailleur a peu d'intérêt à ne pas chercher un arrangement et à aller au procès. Car si son locataire tombe en faillite, ou même s’il devait être expulsé, le contexte économique n'est pas spécialement propice à lui trouver un remplaçant. "Je conseille aux bailleurs la sécurité plutôt que les aléas juridique et judiciaire. Et chacun doit prendre sa part. Par exemple, les parties peuvent convenir de la réduction du loyer pour moitié ou d’un report des loyers dus via un étalement. Cela rassure les deux parties qui y trouvent finalement chacune leur compte", conseille l'avocat.
Dans le contexte exceptionnel que nous vivons, la piste à privilégier est sans doute celle d'un effort - ou d'un sacrifice - partagé.
D'autres solutions plus créatives existent, comme convenir d'un montant du loyer variable en fonction du chiffre d'affaires du commerçant. "Un tel loyer peut être convenu d’emblée dans le bail originaire, généralement avec un minimum, mais peut aussi être convenu en cours de bail, par un avenant, durant ces mois de crise", explique Vincent Defraiteur. Reste à savoir si le commerçant a intérêt à communiquer son chiffre d'affaires à son bailleur dans la perspective d'un retour des beaux jours et d'un embellissement de sa situation financière...
4/ Quelles aides existent?
En Région bruxelloise, il existe un système de prêt sur le loyer commercial au taux de 2% qui permet de payer des mensualités du premier semestre 2021, mais aussi celles qui n’ont pas pu être honorées depuis avril 2020. Ce prêt couvre au maximum 4 mois de loyer.
Mais un geste du bailleur est nécessaire pour obtenir ce prêt. Ainsi, il doit être d’accord de renoncer complètement à 1, 2, 3 ou 4 mois de loyer (charges comprises) et accepter que le paiement de 1, 2, 3 ou 4 autres mois de loyer (charges comprises) soit couvert par le prêt. Le preneur ne peut pas avoir d'arriérés de paiement antérieurs au 18 mars 2020.
Notez également que le gouvernement fédéral a prévu un coup de pouce fiscal pour les propriétaires qui acceptent d'annuler (partiellement) leur loyer dans le cadre d'activités mises (temporairement) à l'arrêt depuis mars 2020 comme l'horeca, l'événementiel ou les salles de sport. Ils bénéficieront pour les loyers annulés au mois de mars, avril et mai 2021 d'une réduction d'impôts de 30%. La mesure sera plafonnée à 5.000 euros par contrat et par mois et à 45.000 euros par propriétaire et par mois. La réduction d'impôts sera disponible tant pour les personnes physiques que les sociétés.