Après une année bouillonnante tant sur le plan du nombre de transactions que sur le plan des prix, le marché immobilier semble ralentir au premier trimestre de 2022. Selon les chiffres des notaires, l’activité s’est tassée de 1,5% en mars dernier par rapport à mars 2021. Cependant, le prix de la brique continue, lui, de grimper: les maisons ont encore pris 7,1% au premier trimestre et les appartements 1,1%.
Dans son rapport annuel publié en février dernier, la Banque nationale de Belgique (BNB) chiffrait la surévaluation des prix de l’immobilier à 20,8% en moyenne, alors qu’elle s’élevait à 14% en 2020 et 7% en 2019. Le contexte de prix toujours haussier, malgré le ralentissement qui semble se dessiner, doit-il inquiéter propriétaires et investisseurs? Le marché est-il dans une bulle qui risque de se dégonfler?
Méthode de calcul
Il existe différentes méthodes de calcul selon les institutions financières. "La plus basique consiste à supposer qu’il y a une année X 'normale' et de comparer l’évolution des prix de l’immobilier par rapport aux revenus de la population avec cette année de base. Il s’agit d’une évolution comparée dans le temps des prix de l’immobilier par rapport à une autre grandeur légitime qui est celle du revenu des ménages", indique Etienne de Callataÿ, chef économiste d'Orcadia Asset Management.
La BNB, de son côté, estime la valeur normale des habitations en fonction du revenu disponible moyen, des taux d'intérêt hypothécaires, de la démographie et de la fiscalité immobilière. "C’est assez grossier, car il s’agit de moyennes de moyennes. Tout le monde n’a pas les mêmes revenus et les prix moyens varient fortement d’une région et d’un bien à l’autre", explique l’économiste.
"Surévaluation est le terme politiquement correct pour dire bulle."
"Si toute équation explique une bonne partie de l’évolution des prix, un modèle n’en montre jamais parfaitement l’évolution exacte. Il existe toujours un terme d’erreur appelé résidu. Et ce résidu, c’est justement la surévaluation", détaille Philippe Ledent, économiste chez ING, "pour le moment, il existe donc une différence entre les éléments fondamentaux du modèle (fiscalité, revenus, taux, démographie, NDLR) et les prix réels".
Surévaluation = bulle?
Selon Etienne de Callataÿ, "surévaluation est le terme politiquement correct pour dire bulle. Dès qu’il y a surévaluation des prix immobiliers, il y a bulle immobilière". Son confrère d’ING est plus nuancé: "Si l’on peut expliquer ces 20% par des éléments qui ne sont pas pris en compte dans le modèle de calcul, plutôt d’ordre psychologique, alors il ne s’agit pas d’une bulle."
"Une bonne partie des acquéreurs se font aider par leurs proches pour acheter un bien, ce qui a des effets en cascade."
Pour Philippe Ledent, cette surévaluation s’explique par le fait que l'on a assisté, à la suite de la pandémie et aux confinements, à une ruée vers des biens plus grands avec espace extérieur. "C’était la frénésie du moment. Le modèle est incapable de capter cette frénésie qui est un effet purement psychologique. Le fait également que les jeunes sont aidés financièrement par leurs parents, voire leurs grands-parents pour accéder à la propriété n’est pas non plus repris dans la méthode de calcul, alors que ce phénomène peut expliquer la surévaluation", analyse l’économiste.
"Une bonne partie des acquéreurs se font aider par leurs proches pour acheter un bien, ce qui a des effets en cascade. Les prix élevés de l’immobilier peuvent donc être le reflet d’une aide conséquente des familles", confirme Etienne de Callataÿ.
De fait, si l’on tient compte du modèle, les prix n’auraient pas dû augmenter de la sorte, puisque, les éléments repris dans le calcul comme les revenus des ménages, la démographie ou encore la fiscalité n’ont pas augmenté ou changé de façon considérable durant la pandémie.
Qu’est-ce qu’une bulle?
On peut parler de bulle à partir du moment où la surévaluation calculée par le modèle n’est pas expliquée, selon Philippe Ledent. "Imaginons que sur ces 20%, nous ne puissions identifier le moindre élément qui puisse expliquer cette surévaluation. Lorsque cela correspond à quelque chose d’irrationnel, on peut parler de bulle. On peut supposer que parmi ces 20%, il existe une part d’irrationalité, qui reste difficile à estimer, mais qui est ici ce qu’on appelle le 'fear of missing out' (fomo), lié au fait que les candidats se sont précipités à acheter un bien de façon irrationnelle de peur que, vu la forte augmentation des prix, l’immobilier ne devienne inaccessible", explique l’économiste.
"On observe une forte croissance des prix depuis deux ans, mais la période n’est pas encore assez longue pour considérer qu’il y a une bulle."
Pour son collègue Steven Trypsteen, économiste en immobilier, une bulle a plusieurs définitions. Dans le cas de l’immobilier, il s’agit, "lorsque les prix augmentent, d’un effet psychologique qui pousse les gens à acheter, car ils pensent que les prix poursuivront leur hausse, et cela durant plusieurs années. On observe sans doute une forte croissance des prix depuis deux ans, mais la période n’est pas encore assez longue pour considérer qu’il y a une bulle. Ils n’augmentent pas de 10% chaque année."
Quels sont les risques?
Une bulle peut décélérer progressivement ou exploser, ce qui signifie qu’il existe un risque de correction, d’ordre financier et économique. Pour le premier, si les banques ont prêté, par exemple, 200.000 euros pour un bien de 250.000 euros, mais qu’il n’en vaut plus que 150.000 après éclatement de la bulle et que le ménage ne peut plus payer, la banque doit saisir le bien, mais le revendre à un prix moindre.
"Pour les propriétaires occupants, l’éclatement d’une bulle se limiterait à l’effet de richesse."
"En Belgique, ce risque d’ordre systémique est relativement limité, car le ‘loan-to-value’ est réglementé par des seuils imposés par la BNB", rassure Etienne de Callataÿ. Pour le risque macro-économique, si l’immobilier perd en valeur, les citoyens peuvent se sentir moins riches, "il s’agit de l’effet richesse, qui peut alors pousser les consommateurs à moins consommer".
En Belgique, "il n’est pas possible de faire une faillite personnelle, cela n’existe pas. Pour les propriétaires occupants, l’éclatement d’une bulle se limiterait à l’effet de richesse. Cela peut par contre avoir plus de répercussions sur les investisseurs, notamment qui misent sur la plus-value, qui réaliseraient une perte, comme cela arrive également en bourse", analyse Philippe Ledent.
Une correction du marché immobilier ne serait pas suffisante pour mettre en danger les banques belges. "Il faudrait que cette correction soit combinée à des défauts de paiement pour que cela pose problème", ajoute l’économiste. "Pour peu que les banques restent prudentes dans leur octroi de crédit, les risques d’explosion sont limités en Belgique."
Et si les taux poursuivent leur hausse?
Pour les trois économistes, la hausse de taux qui s’est amorcée en début d’année devrait tempérer la hausse des prix. «D’autres facteurs vont également intervenir, comme les incertitudes autour des normes de rénovation énergétique, qui pousseront les prix des biens les plus énergivores à baisser, ou encore la fiscalité immobilière, qui devrait être revue par le gouvernement", explique Etienne de Callataÿ. "Des vents contraires comme la fiscalité, la fin de ‘fomo’ et les taux qui ont une trajectoire haussière vont ralentir la croissance des prix", appuie son confrère d’ING.