Des taux planchers, des prix en hausse, une demande soutenue: le marché immobilier et du crédit hypothécaire achève 2020 en "pleine forme". Mais, pour 2021, les effets de la crise sanitaire et économique devraient commencer à se faire sentir sur le secteur. À quoi faut-il s’attendre?
1. L’impact du Covid-19
Les gouvernements régionaux et fédéral maintiennent actuellement l’économie sous perfusion à l’aide des nombreuses mesures de soutien pour les secteurs impactés par la crise du coronavirus, notamment via le chômage économique, le droit passerelle, certains plans de paiement ou encore différentes primes régionales. "Nous n’avons pas encore observé l’impact de la crise sur le marché du travail suite aux nombreuses mesures. L’accélérateur financier, un phénomène rencontré lorsqu’on se trouve au cœur d’une crise économique, n’a pas encore été observé, alors qu’on aurait dû le rencontrer entre mars et août. Il devrait donc intervenir en 2021", prévoit Philippe Ledent, économiste chez ING.
"Il devrait y avoir moins de crédits accordés en 2021, car les effets de la crise seront plus présents qu’en 2020."
Son confrère spécialisé en immobilier, Steven Trypsteen, confirme: "Il devrait y avoir moins de crédits accordés en 2021, car les effets de la crise économique seront plus présents qu’en 2020. On verra vraiment l’impact pour les ménages: le taux de chômage et les faillites devraient augmenter, et il y aura moins de mesures de soutien, puisqu’elles ne dureront pas éternellement. Tout cela aura des conséquences sur les revenus des ménages et donc sur leur capacité d’emprunt."
2. L’impact des mesures de la BNB
Outre l’effet Covid-19, les mesures prises par la Banque Nationale de Belgique (BNB) le 1er janvier 2020 sur les quotités des crédits hypothécaires continueront de produire leurs effets. On observe déjà, entre 2019 et mi-2020, un recul des crédits à quotité élevée: la proportion de crédits ayant des quotités allant de 90 à 100% a baissé de 28 à 20% de la totalité des crédits. A contrario, les crédits ayant une quotité inférieure à 80% ont nettement progressé en quelques mois, passant de 49% à 55% sur la même période.
Mais "il y a sur ces statistiques l’impact à la fois des mesures macroprudentielles de la BNB et l’impact de la crise sanitaire", précise Steven Trypsteen. "Il est difficile d’isoler l’impact d’une mesure prudentielle. La crise a sans doute conduit les moins solides financièrement à annuler ou à reporter leur achat, car ils auront davantage souffert des effets de la crise (capacité d’emprunt, revenus). Ils ont probablement été moins présents sur le marché cette année. Ce sont les gens qui ont les reins les plus solides qui ont acheté en 2020", ajoute Philippe Ledent.
Mais si l’on devait isoler l’impact des mesures sur les quotités, "il se sentirait probablement davantage sur le type de crédits octroyés que sur le taux. On peut avoir l’effet d’un léger relèvement des taux ou bien tout à fait l’inverse, une baisse des taux, simplement parce que ce sont des dossiers de meilleure qualité qui passent, auxquels on accorde un meilleur taux", détaille l’économiste.
3. Des taux toujours au plancher
Justement, ces taux planchers, le resteront-ils l’an prochain? L’ensemble des experts du secteur partage le même avis: les taux resteront très bas et relativement stables en 2021.
"On voit mal comment les taux pourraient augmenter en 2021."
"On voit mal comment les taux pourraient augmenter, car la Banque centrale européenne (BCE) est et sera toujours là. En 2021, on a l’assurance que ses politiques budgétaire et monétaire seront toujours accommodantes et soutiendront l’économie", anticipe Philippe Ledent. "La BCE doit prendre de nouvelles mesures début décembre, ce qui devrait maintenir les taux à la baisse."
La banque Belfius ajoute: "Nous attendons de la BCE qu’elle étende son programme de rachat d’urgence de pandémie de 500 milliards d’euros et qu’elle le poursuive jusqu’à la fin 2021." La BCE avait déjà, au printemps dernier, annoncé un plan à 750 milliards d’achat d’actifs, qui a ensuite été augmenté de 600 milliards. Ce programme a donc permis à la BCE de maintenir des taux bas pour soutenir l’économie de la zone euro. Si elle poursuit la même politique d’achat d’actifs, "cela va encore contraindre les taux longs, on voit donc vraiment mal comment ils pourraient augmenter", souligne Philippe Ledent. Dès lors, cela permettra aux États membres de continuer à emprunter à bon marché et, en conséquence, "les banques pourront continuer à prêter à des conditions favorables aux familles et aux entreprises", explique Belfius.
"Les banques pourront continuer à prêter à des conditions favorables."
Mais pour la fin de l’année 2021, voire 2022, Philippe Ledent se montre plus prudent: "S’il est clair qu’en 2021 les taux vont rester à des niveaux très bas, si la situation économique s’améliore en fin d’année, la BCE interviendra peut-être moins, ce qui peut éventuellement provoquer une remontée des taux longs. Mais tout dépend de la situation économique à la même période dans un an."
4. De nouveaux records à la baisse?
Les records de taux se sont succédé en cette année 2020. Le dernier en date s’élève à 0,82% négocié pour un taux à 20 ans fixe, accordé par ING à l’un de ses clients. Et en moyenne, selon les chiffres de la BNB début octobre, le taux moyen pour le 20 ans fixe (avec une quotité de 80%) s’élève à 1,29%. Alors avec une politique monétaire accommodante de la part de la BCE, peut-on anticiper de nouveaux records de taux à la baisse?
Si de nouveaux records ne sont pas à exclure pour les experts, ils ne devraient pas être trop importants. "Une nouvelle baisse des taux hypothécaires pour les particuliers semble plutôt limitée, étant donné que les coûts de financement des banques ne disparaîtront pas", rappelle BNP Paribas Fortis. Febelfin, la fédération représentant le secteur financier belge, ne dit pas autre chose: "On imagine assez mal comment ça pourrait descendre très fort. Une banque doit pouvoir faire sa marge. Quand elle prête sur 15-20 ans avec des taux sous 2%, c’est aussi un défi pour ses marges, pour sa rentabilité, ses renforcements de fonds propres, l’avenir, etc.", explique Rodolphe de Pierpont.
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5. Avec quel impact sur le marché immobilier?
"Les taux sont très importants pour la stabilité du marché immobilier", rappelle Steven Trypsteen, "et puisque nous pensons qu’ils resteront bas, cela soutiendra le marché, les transactions et les prix. Mais d’autre part, les revenus des ménages devraient diminuer suite à la crise économique, ce qui aura également un effet sur le marché. Pour toutes ces raisons, nous anticipons une croissance moins forte des prix en 2021 qu’en 2020. Les prix devraient avoir progressé de 5% cette année, pour 2021, on s’attend à une hausse de 3%", chiffre l’économiste d’ING.
6. Le taux variable a-t-il encore un intérêt?
La plupart des banques répondent que tout dépend du profil, du dossier et de l’opinion propre à l’emprunteur. Mais aujourd’hui, la différence entre un taux fixe et un taux variable étant tellement minime, la plupart des emprunteurs optent pour un taux fixe afin d’être certains de bénéficier d’un taux bas durant toute la durée de leur crédit. "Sur les 10 premiers mois de l’année, 9 clients BNPPF sur 10 ont opté pour un taux d’intérêt fixe", indique la banque leader sur le marché du crédit hypothécaire en Belgique.
Le courtier en crédits hypothécaires Patrick Segers conseille quant à lui clairement d’opter pour un taux fixe. "Il est le plus intéressant. Aujourd’hui, la différence entre un fixe et un variable est de 25 centimes, 30 dans certains cas, par mois. On ne va pas mettre cette épée de Damoclès sur 20 ans alors que la différence est minime pour avoir l’assurance sur toute la durée du crédit, surtout pour ceux de longue durée", explique-t-il.
Rappelons au passage que la variabilité d’un taux est plafonnée: la variation maximum est un doublement du taux. Concrètement, si vous obtenez aujourd’hui un excellent taux variable de 1%, il ne pourra jamais excéder 2% en cas de remontée des taux.
7. Une capacité d'emprunt affectée
C’est essentiellement sur ce point que la crise économique se fera le plus sentir, reconnaissent les acteurs du secteur. "Si on observe une augmentation du chômage et un nombre important de faillites, malgré la présence d’un vaccin, cela veut dire qu’en moyenne les emprunteurs présentent plus de risque qu’avant. Les banques devront alors augmenter un peu leur prime de risque", explique Philippe Ledent.
Son collègue Steven Trypsteen ajoute: "Il est clair qu’il sera plus difficile d’emprunter pour certains profils plus à risque l’an prochain. Les banques regarderont plus au risque, et elles accordent déjà actuellement moins de crédits à quotité élevée. Certaines banques accepteront d’accorder des crédits plus risqués, mais à des taux élevés, tandis que d’autres refuseront de prendre ce risque. Tout dépend du business model de la banque. Les bons dossiers financiers continueront, eux, à bénéficier de bons taux."
"Il est clair qu’il sera plus difficile d’emprunter pour certains profils plus à risque l’an prochain."
"La capacité de remboursement est et restera un critère très important l’an prochain", appuie de son côté Rodolphe de Pierpont.
Patrick Segers parle, lui, d’une capacité d’emprunt "affectée par la stabilité de l’emploi. On rentre dans un certain marasme et cela fait peur au prêteur, qui provisionne déjà pour les futurs contentieux. Les banques analyseront également de plus en plus les bilans des employeurs, surtout pour les PME et TPE, les taux de licenciement, etc. La difficulté à obtenir un crédit en 2021 est prévisible".
"La difficulté à obtenir un crédit en 2021 est prévisible."
Brecht Coene du site guide-épargne.be, spécialisé dans la comparaison des taux hypothécaires, constate déjà en cette fin 2020 que les emprunteurs qui n’ont "pas ou peu d’apports en fonds propres se voient très souvent refuser leur demande de crédit. Avant, il y avait plus de possibilités de négocier. Les mesures de la BNB renforcent également cela. Il n’y a pas de transparence sur les nouvelles règles, on ne sait pas qui a droit à quelle quotité ni où en sont les banques dans le nombre de crédits accordés selon les seuils", déplore-t-il.
8. Digitalisation du marché
La crise sanitaire et les confinements ont également poussé le secteur à se digitaliser encore plus rapidement. "Les banques investissent dans le digital. Ce n’est pas nouveau, mais le phénomène a été renforcé par la crise du coronavirus", reconnaît Rodolphe de Pierpont. "Il est désormais possible de signer un contrat à distance, de tenir un rendez-vous ou d’avoir des conseils à distance. Le secteur a dû s’organiser dès le printemps pour permettre aux collaborateurs de télétravailler. On utilise tous les moyens technologiques à notre disposition pour accompagner les clients dans leurs projets."