La crise sanitaire et le confinement allaient-ils modifier voire bouleverser le marché immobilier belge? La question s’est posée durant quelques mois. Et même s’il est difficile de tirer un bilan définitif à l’heure où le virus court toujours, les chiffres et les experts offrent une première lecture de l’effet Covid-19 sur le secteur.
1. Des transactions en légère baisse
Sur les trois premiers trimestres de 2020, le nombre de transactions immobilières a reculé de 3,5% par rapport à la même période en 2019, selon le dernier baromètre des notaires. Même s’il y a eu un effet de rattrapage au troisième trimestre, avec une augmentation de l’activité de 11,6% par rapport à l’année précédente, celui-ci n’a pas été suffisant pour récupérer le retard pris pendant le confinement, lorsque l’activité était au point mort.
Ce recul du nombre de transactions n’est pas à mettre uniquement sur le dos de la crise sanitaire. L’année 2019 avait été exceptionnelle en tous points pour le marché immobilier. L’activité avait été particulièrement boostée en fin d’année suite, en Flandre, à l’annonce de la suppression de l’avantage fiscal appelé "woonbonus" au 1er janvier 2020.
Mais, d’une Région à l’autre, l’activité n’a pas repris le même entrain post-confinement. La Wallonie enregistre le plus faible recul proportionnellement à l’année précédente (-0,5%), tandis qu’il est plus marqué en Flandre (-4,7%) et surtout à Bruxelles (-6,9%).
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Le notaire Renaud Grégoire explique cet écart: "On observe une différence entre les marchés wallon et flamand d’un côté et le marché bruxellois de l’autre. Les marchés wallon et flamand ont été soutenus par des personnes qui acquièrent un bien pour y résider. Après le confinement, il y a eu la volonté d’un retour à plus de ruralité. Du côté bruxellois, on a vu une reprise moins forte. Il est important de rappeler que le marché bruxellois est celui qui avait eu l’activité la plus soutenue en début d’année. Par ailleurs, il est également davantage soutenu par les investisseurs. Ceux-ci attendent encore sans doute un peu pour faire leur retour sur le marché." Le notaire ressent, depuis peu, "un retour à la normale: on voit que les choses sont en train de rentrer dans l’ordre".
2. Des prix toujours en hausse
Au sortir du confinement, bon nombre d’économistes tablaient sur un recul des prix de l’immobilier. ING parlait d’une baisse de 2% en 2020, BNP Paribas Fortis prévoyait un recul de 1%, tandis que Belfius donnait une fourchette allant de -2,5% à -3%. "On pensait, en termes économiques, que la crise aurait un impact sur les prix de l’immobilier. C’était notre crainte, car, si les revenus diminuaient, il y aurait un impact sur la croissance des prix. Mais ce n’est pas le cas", explique Steven Trypsteen, économiste en immobilier chez ING.
En effet, force est de constater, toujours selon le dernier baromètre des notaires, que les prix n’ont pas été refroidis par le confinement. Une maison coûte désormais 274.409 euros en moyenne en Belgique, soit 4,7% de plus qu’en 2019. Pour les appartements, l’augmentation est encore plus forte, avec +6,7% par rapport à l’année dernière - 243.818 euros en moyenne en Belgique –, c’est même la plus forte hausse depuis 2011.
"Après le confinement, la demande a été très importante. Dans le même temps, on constate une légère diminution du nombre de biens mis en vente sur le marché. Beaucoup de biens sont partis en un temps record", explique Renaud Grégoire.
"Beaucoup de biens sont partis en un temps record."
La hausse du prix des maisons depuis début 2020 a été moins forte à Bruxelles (+3,9%) – où il faut désormais débourser près d’un demi-million d’euros en moyenne - qu’en Flandre (+5,5%) et en Wallonie (+5,3%). Au nord du pays, et pour la première fois, le prix moyen d’une maison dépasse les 300.000 euros, tandis qu’en Wallonie, le prix d’une maison (207.000 euros) reste 25% inférieur au prix moyen en Belgique.
Ces hausses de prix partout en Belgique ont poussé les banques à revoir leurs prévisions. Belfius table désormais sur un recul des prix de l’ordre de 0,5% en 2020 et de 1% en 2021. ING parle, de son côté, d’une augmentation des prix de +5% en 2020 et de +3% en 2021.
3. Un marché robuste
"Actuellement, les différents gouvernements maintiennent les revenus des ménages grâce à certaines mesures exceptionnelles (droit passerelle, chômage économique, primes…), ce qui permet de soutenir également le marché immobilier", explique l’économiste en immobilier d’ING, Steven Trypsteen. Ces mesures de soutien, les taux maintenus à des niveaux planchers ainsi que la présence des investisseurs, dont certains se sont détournés des marchés boursiers actuellement instables, mettent la pression sur les prix.
"Les différents gouvernements maintiennent les revenus des ménages grâce à certaines mesures exceptionnelles, ce qui permet de soutenir le marché immobilier."
Mais, pour 2021, on peut s’attendre à une croissance moins forte du marché. "Il devrait y avoir moins de mesures de soutien de la part des gouvernements et on prévoit de nombreux licenciements qui feront augmenter le taux de chômage et donc diminuer les revenus des Belges. Tous ces éléments feront inévitablement ralentir la croissance du marché immobilier en 2021, on peut dès lors anticiper des prix plus stables", prévoit Steven Trypsteen, qui s’attend toutefois à ce que les investisseurs restent présents sur le marché immobilier, se détournant des marchés actions vers une "valeur refuge plus stable et qui permet d’avoir un peu de rendement, comme l’immobilier. Tout cela fait qu’on n’anticipe plus une baisse des prix à proprement parler".
"On n’anticipe plus une baisse des prix à proprement parler."
L’économiste rappelle par ailleurs que le nouveau gouvernement n’ayant pas prévu de changer la fiscalité immobilière dans son accord de gouvernement, "on peut s’attendre également à ce que cette fiscalité avantageuse (faible taxation sur les revenus locatifs, déduction ordinaire d’intérêt…) supporte le marché".
"Les prix de l’immobilier dépendent de quatre facteurs: la capacité d’emprunt des ménages, le pouvoir d’achat, l’inflation et la fiscalité", souligne l’économiste Jean-Baptiste Van Ex. "Au vu du contexte économique, on ne peut plus s’attendre à ce que la croissance des prix soit aussi forte dans les années à venir que précédemment. Il s’agira d’un marché à deux vitesses. Les immeubles qui répondront aux besoins de demain prendront de la valeur (le neuf, les biens avec de bonnes performances énergétiques, proches des transports en commun). Tandis que ceux qui ne répondront plus à ces critères, soit les vieux immeubles très énergivores, perdront en valeur."
Marc Delforge, responsable crédits hypothécaires chez BNP Paribas Fortis, pointe, lui, le côté stable du marché immobilier belge. "On a la chance, en Belgique, d’avoir un marché qui, depuis des années, semble stable, et même en croissance, et est assez bien régulé. On a des normes, des règles, des acteurs sur ce marché, notamment les banques, qui sont relativement prudents, et cela assure une stabilité. En outre, on peut considérer que le marché belge est un marché mature."
"Les immeubles qui répondront aux besoins de demain prendront de la valeur alors que ceux qui ne répondront plus à ces critères perdront en valeur."
4. Des besoins en évolution
Là où le coronavirus a eu un impact, c’est essentiellement sur l’accélération de certaines tendances déjà bien présentes avant le confinement.
"Nous avons deux grands défis, à savoir la digitalisation et la transition énergétique. Tous les secteurs vont y faire face, dont l’immobilier. Concernant la transition énergétique, cela aura un impact important sur la valeur des immeubles. Et avec la généralisation du télétravail, qui est possible grâce à la digitalisation, cela force les promoteurs à revoir les espaces intérieurs et à adapter les logements pour permettre le travail à domicile", explique Jean-Baptiste Van Ex.
Il estime également que suite à l’évolution de nos modes de vie, plus mobiles et plus flexibles, le marché immobilier devrait tendre progressivement vers un marché plus locatif, alors qu’il est actuellement composé majoritairement de propriétaires. "Les gens ne pourront plus facilement acquérir un logement, il y a de plus en plus de familles monoparentales ou des célibataires, et avec un seul revenu il est très compliqué d’acheter. Les gens ont également besoin d’être plus flexibles, plus mobiles dans le monde d’aujourd’hui. La mobilité est aussi un critère fondamental. Le nombre de voitures privées tend à diminuer, les gens vont dès lors de plus en plus vivre en ville pour avoir accès à de multiples modes de transports et afin d’avoir tout à proximité."
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5. Des taux toujours attractifs
Les taux d’intérêt très bas pour les crédits hypothécaires n’ont que très peu été impactés par la crise du coronavirus. Ils se sont principalement mis sur pause pendant le confinement, mais, depuis mi-mai et la reprise du secteur, ils sont repartis à la baisse. Fin juin, Argenta passait sous le seuil de 0,9% pour un taux fixe négocié à 20 ans. Désormais, c’est Belfius qui détient le dernier record pour le crédit à 20 ans fixe, en ayant offert un taux de 0,84% à l’un de ses clients en septembre dernier.
Ces taux extrêmement bas s’expliquent par la politique menée par la Banque centrale européenne (BCE). Elle a, durant le confinement, annoncé un plan à 750 milliards d’achats d’actif, qui a ensuite été augmenté de 600 milliards. Ce programme a donc permis à la BCE de maintenir des taux bas pour soutenir l’économie de la zone euro.
"La BCE mène une politique de taux bas depuis déjà quelques années et il est certain qu’elle va continuer, nous n’avons pas de crainte à ce sujet", rassure Marc Delforge. Il ajoute: "Ce serait même du suicide de remonter les taux."
"La BCE mène une politique de taux bas depuis déjà quelques années et il est certain qu’elle va continuer."
Jean-Baptiste Van Ex ne dit pas autre chose: "Les taux vont rester bas, c’est indéniable. Au vu du contexte économique, c’est impossible que la BCE décide de les remonter."
6. Des temps difficiles pour les profils à risque
"Les conditions d’octroi des crédits hypothécaires seront de plus en plus strictes pour les emprunteurs."
Mais la crise n’est pas non plus sans effet, surtout pour les acquéreurs aux profils "plus à risque", notamment ceux ayant moins de fonds propres à apporter lors de l’achat d’un bien; on pense le plus souvent aux primo-acquéreurs. Les banques sont désormais plus frileuses dans l’octroi de crédits suite à la perte prévisible de revenus de certains ménages les plus à risque. "La crise du coronavirus, qui augmente l’incertitude et le risque, couplée aux nouvelles mesures macroprudentielles de la BNB prises le 1er janvier (les quotas à respecter par les banques pour les quotités, NDLR) font que certains emprunteurs ayant des profils à risque vont se retrouver sur le carreau. Il sera plus difficile pour eux d’obtenir un crédit hypothécaire et donc d’accéder à la propriété. C’est malheureux, mais c’est la réalité", se désole Steven Trypsteen.
Malgré des taux bas, "les conditions d’octroi seront de plus en plus strictes pour les emprunteurs. C’est aussi pour cela que l’on se dirige vers un marché locatif. Les marges des banques sur les crédits dépendront de la situation économique, mais il est certain que les conditions d’accès seront plus strictes et que les banques demanderont plus d’apport", appuie Jean-Baptiste Van Ex.