C’est une saga qui n’en finit pas. Instaurées par certaines communes dans les années 70, les taxes sur les résidences secondaires sont, depuis longtemps, dans le viseur de la justice.
Historiquement, "c’était une taxe compensatoire pour essayer de rétablir une égalité entre propriétaires résidents, qui paient des additionnels communaux à l’impôt des personnes physiques, et les propriétaires de résidence secondaire qui n’en paient pas", explique l’avocat Martin Jaspar.
"Cette taxe est notamment justifiée par la volonté de financer l’infrastructure communale. Or, tant les personnes domiciliées dans ces communes que celles qui ont une résidence secondaire et y séjournent occasionnellement profitent de l’infrastructure communale. Cette taxe uniquement due par les propriétaires de résidences secondaires crée une discrimination. Celle-ci a été condamnée à plusieurs reprises en justice", ajoute Me Baptiste Verbruggen, avocat fiscaliste chez Dekeyser & Associés.
"Cette taxe uniquement due par les propriétaires de résidences secondaires crée une discrimination."
Là où les tribunaux ont également tiqué, c’est sur le fait que, sur les dix communes côtières, trois d’entre elles, plus précisément Knokke, Coxyde et La Panne, n’appliquent pas d’additionnels à l’IPP pour leurs résidents, leur taux s’élevant exactement à 0%. "L’argumentation d’une taxe compensatoire n’était donc pas valable", souligne Me Jaspar, qui ajoute: "Le message est clair. On accorde un avantage aux personnes inscrites dans la commune au détriment des propriétaires de résidences secondaires."
Me Grégory Homans, avocat fiscaliste chez Dekeyser & Associés, chiffre: "La taxe annuelle sur les résidences secondaires s’élève, en 2020, à 760 euros pour Knokke, de 968 à 1.168 euros pour Coxyde et de 575 à 775 euros pour La Panne. Certaines de ces communes devraient d’ailleurs augmenter prochainement cette taxe."
Taxe en forte hausse
Outre la différence de traitement entre résidents et non-résidents, entre 2006 et 2014, toutes les communes taxant les seconds résidents ont augmenté leur taxe, en moyenne, de 79%. "Les communes de la Côte belge ont augmenté le taux de ces taxes à tel point qu’elles constituent aujourd’hui l’une de leurs principales sources de financement. La taxe sur les secondes résidences dépasse même les recettes provenant des centimes additionnels à l’impôt des personnes physiques", pointe encore Me Jaspar.
La cour d’appel de Gand et la cour de Cassation se sont prononcées à plusieurs reprises sur la constitutionnalité de ces taxes. La jurisprudence les a d’ailleurs condamnées au motif que les règlements-taxes communaux qui les instaurent violent les principes d’égalité et de non-discrimination.
D'une taxe compensatoire à une taxe sur la fortune
Puisque cet impôt ne peut pas être considéré comme étant "compensatoire", malgré les multiples tentatives d’argumentation balayées systématiquement par la justice, les communes du littoral ont déployé la justification d’une "taxe sur la fortune" afin de maintenir cet impôt. La possession d’une résidence secondaire serait, selon elles, l’indice d’une certaine capacité contributive, qui justifie qu’un impôt soit levé à charge de certains contribuables plus aisés.
"Cet argument pose également problème, car les communes mettent dans le même panier aussi bien les caravanes fixes que les studios, les appartements, ou encore les villas avec piscine. En mettant tous les propriétaires d’une seconde résidence sur un pied d’égalité, quel que soit le type de bien, sa superficie ou son prix d’acquisition, le règlement d’imposition viole ce principe d’égalité qui impose de faire une distinction entre les différents propriétaires", détaille l’avocat.
"En outre, si la possession d’un deuxième bien immobilier peut être considérée comme un indice de fortune, en quoi le fait qu’une personne soit ou non domiciliée dans ce bien constitue-t-il un indice de l’existence ou de l’absence d’une certaine capacité financière? Le fait qu’il n’y ait pas d’inscription sur les registres de la population pour le bien soumis à l’impôt ne constitue nullement un indice d’aisance", ajoute encore Martin Jaspar.
"Le fait qu’il n’y ait pas d’inscription sur les registres de la population pour le bien soumis à l’impôt ne constitue nullement un indice d’aisance."
Impôt annulé
La cour d’appel de Gand a donc décidé, dans plusieurs arrêts prononcés entre septembre 2019 et mars 2020, qu’à défaut de justification de la différence de traitement instaurée par les différents règlements-taxe, ceux-ci violent les articles 10 et 11 de la Constitution et ne peuvent être appliqués, de telle sorte que les impôts doivent être annulés.
Qu’en est-il pour les propriétaires concernés?
Les propriétaires d’une seconde résidence à la Côte peuvent encore introduire une réclamation auprès de leur commune concernant l'enrôlement de la taxe (revenus 2019). Concrètement, à partir de la date d’envoi de l’avertissement extrait-de-rôle (AER) par l’administration fiscale (date qui figure sur l’AER lui-même), les propriétaires disposent d’un délai de trois mois et trois jours pour introduire cette réclamation. "La commune dispose ensuite d’un délai de 6 mois pour répondre. Si elle ne statue pas dans ce délai ou si elle rejette la réclamation du propriétaire, ce dernier pourra saisir le tribunal compétent", détaille Me Jaspar. Un recours devant le tribunal peut en effet être envisagé, tant lorsque la commune maintient l'imposition que lorsqu'elle ne se prononce pas dans un délai de six mois.
"Un recours administratif offre de belles perspectives de réussite, notamment au regard de la jurisprudence favorable aux contribuables."
Me Sébastien Thiry, avocat fiscaliste chez Dekeyser & Associés, le confirme: "Pour les contribuables concernés, un recours administratif et, le cas échéant, judiciaire offre de belles perspectives de réussite, notamment au regard de la jurisprudence favorable aux contribuables. Une procédure de restitution s’étalant sur cinq années (à compter du 1er janvier de l’année de perception de la taxe) pourrait également être envisagée dans certaines conditions (dégrèvement d’office)."
"Les communes comptent sur le faible nombre de recours de la part de leurs résidents secondaires."
De leur côté, les communes du littoral n’ont pas pour autant décidé de revoir leur position quant à cette taxe recalée à de nombreuses reprises. "Elles maintiennent leur taxe et comptent sur le faible nombre de recours de la part de leurs résidents secondaires", explique l’avocat, qui illustre: "Par exemple, à Coxyde, il y a 16.000 propriétaires concernés par cette taxe. Même si 10% d’entre eux introduisent un recours, cela n’impactera que faiblement les rentrées de la commune. Généralement, les gens hésitent en effet à introduire des recours, quand bien même l’impôt est irrégulier." Mais il est aussi possible de le faire via une "class action", c’est-à-dire avec plusieurs propriétaires d’une même commune, afin d’introduire ensemble le même recours, ce qui permet de partager les frais.
Certains propriétaires d'une résidence secondaire à la Côte, rassemblés sous le collectif Tweres, ont décidé, mi-octobre, de contester la taxe communale sur les secondes résidences à La Panne, à Coxyde, à Knokke-Heist et à Middelkerke (où les centimes additionnels pour les résidents seront progressivement réduits à zéro d'ici 2024 alors que la taxe sur les résidences secondaires sera sensiblement augmentée).
Les arrêts de la cour d'appel de Gand ont pourtant établi "clairement et sans équivoque" l'illégalité des pratiques fiscales discriminatoires, selon Tweres.
Le collectif dit s'efforcer d'établir un dialogue constructif avec les autorités locales. Certaines ont déjà indiqué qu'elles étaient ouvertes au dialogue et à la coopération. Mais "dans les quatre municipalités côtières, des tentatives de consultation entreprises par des résidents secondaires dans le passé n'ont malheureusement jamais abouti à des résultats concrets".
"Compte tenu des précédents jurisprudentiels, les chances de succès de la contestation de la taxe sur les résidences secondaires dans les quatre municipalités côtières mentionnées sont aujourd'hui très élevées", souligne Tweres qui appelle les propriétaires de résidences secondaires à La Panne, à Knokke-Heist, à Coxyde et à Middelkerke à se mobiliser et à rejoindre son action en justice.
L'action ne se limite pas à l'imposition actuelle de 2020, mais se poursuivra dans les années suivantes.