Depuis 2019, le nombre de sociétés de management en Belgique a pratiquement doublé, passant de 41.000 à 80.000. Ce sont donc 80.000 indépendants qui exercent aujourd'hui leur activité (généralement de conseil ou de gestion pour d'autres sociétés) via une société. La société de management émet les factures et encaisse les revenus. L'administrateur de la société peut ensuite percevoir des rémunérations de la part de sa société, sous forme de salaire et/ou de dividendes.
Ce système fiscalement avantageux est aujourd'hui dans le viseur des autorités, qui ont cherché, au fil des projets de réforme fiscale ou autres "supernotes", à rendre le passage en société moins intéressant, sans que ces mesures ne soient encore concrétisées. Pourtant, selon plusieurs universitaires de l'ULB, la KU Leuven et l'U Antwerpen, réunis sous la houlette du professeur André Decoster (KU Leuven), l'explosion du nombre de sociétés de management contribue à creuser les inégalités de revenus dans notre pays. Car si les hauts revenus sont beaucoup moins taxés que la moyenne (23% pour les 1% de revenus les plus élevés contre 43% en moyenne), ce serait grâce au recours massif aux sociétés de management, qui permettent de réduire la pression fiscale à 35%, contre 60% pour les salariés.
Avantages fiscaux
De fait, engranger des revenus via une société de management permet de bénéficier des taux d'imposition de l'Isoc (impôt des sociétés), qui sont bien plus bas que ceux de l'IPP (impôt des personnes physiques): 20% sur les 100.000 premiers euros de bénéfice annuel (à condition que l'administrateur se verse un salaire annuel de minimum 45.000 euros) et 25% sur ce qui dépasse. À l'IPP, les taux progressent rapidement et atteignent déjà 50% à partir de 48.320 euros (en 2024).
La société de management permet également à l'administrateur de limiter le montant de son salaire, taxable à l'IPP, et de profiter d'une rémunération différée sous forme de dividendes qui, à partir du quatrième exercice fiscal, bénéficient d'un taux de précompte mobilier réduit de 15%.
Enfin, l'administrateur peut faire supporter à sa société toute une série de frais nécessaires à l'exercice de son activité, déductibles à l'Isoc: voiture de société, assurances professionnelles, cotisation dans un plan de pension, frais de fonctionnement, frais de représentation, etc.
Impact des cotisations sociales
À la fin, c'est donc souvent la société de management qui gagne. Prenons l'exemple d'une entreprise qui aurait 200.000 euros de budget à allouer à la rémunération d'une prestation. Sylvie Dumortier, tax partner chez Claeys and Engels, a comparé ce qu'il resterait en net au prestataire du service, selon qu'il serait employé par l'entreprise ou qu'il fournirait ses services au travers d'une société de management (voir le tableau ci-dessous).
L'hypothèse est la suivante: le salarié reçoit un salaire annuel brut de 150.000 euros ainsi qu'une voiture de société courante, type BMW X1, avec un TCO (total cost of ownership) de 12.000 euros par an, ce qui porte le coût salarial total à 199.823 euros (cotisations patronales de sécurité sociale incluses). L'indépendant en société de management facture de son côté le même montant annuel et se rémunère 45.000 euros par an, avec la même voiture de société.
"Dans nos calculs, l’impact, en termes de revenus nets, d’une constitution de société de management n’est pas négligeable: la différence est de 41%. Plus la rémunération est importante, plus le différentiel s’amplifie. L'impact d'un passage en société avec une rémunération brute moindre de 100.000 euros comme salarié serait plus faible en termes d’augmentation de revenus nets (environ 15%)", constate Sylvie Dumortier.
Ce sont en réalité surtout les cotisations sociales qui jouent: dans le cas d'un employé, elles sont calculées à des taux d'environ 27% (cotisation employeur) et 13,07% (cotisation employé) sur des rémunérations non plafonnées, alors que les cotisations sociales pour travailleurs indépendants sont limitées à environ 21.500 euros (pour l’année 2024). C'est pourquoi plus le revenu augmente, plus la différence entre le statut d'employé et celui d'indépendant en société de management augmente.
D'autres frais à prendre en compte
Toutefois, afin de rendre le calcul plus simple, Claeys and Engels a volontairement exclu tout avantage extra-légal (à l’exception du véhicule de société) dans la simulation: chèques-repas, remboursement forfaitaire de frais propres à l’employeur, assurance-hospitalisation, assurance de groupe, téléphone, abonnement, internet, etc. "Ce sont des éléments assez courants dans les packages de rémunération des travailleurs salariés, qui devront alors être financés par la société de management elle-même, peut-être pas dans les mêmes conditions, ce qui pourrait impacter la situation prise sous un angle plus large", prévient Sylvie Dumortier.
Le jeu de la rémunération différée
On le comprend aussi, passer en société de management est surtout intéressant si l'administrateur a les moyens de se verser un salaire peu élevé. Dans le cas où l'ensemble de ses revenus passeraient en rémunération "classique", la fiscalité remonte en flèche. La société va donc accumuler des bénéfices qui devront un jour sortir pour que l'administrateur puisse en profiter.
L’exercice d’une activité par le biais d’une société de management est une alternative à l’exercice d’une activité indépendante en personne physique. Elle est parfois présentée, de manière trop rapide ou inadéquate, comme une alternative à l’exercice d’une fonction salariée au profit de l’employeur.
Cela se fait généralement sous la forme de distribution de dividendes, qui devient fiscalement intéressant après le troisième exercice. De fait, si l'administrateur attend la quatrième année pour se verser des dividendes, il bénéficiera d'un précompte mobilier réduit à 15% (système VVPR bis) contre 30% après la première année et 20% après la deuxième. Dans la simulation, il est tenu compte d'une distribution au tarif normal de 30%.
Le risque des faux indépendants
Toutefois, rappelle Sylvie Dumortier, "l’exercice d’une activité par le biais d’une société de management est une alternative à l’exercice d’une activité indépendante en personne physique. Elle est parfois présentée, de manière trop rapide ou inadéquate, comme une alternative à l’exercice d’une fonction salariée au profit de l’employeur. Or, l’exercice d’une activité indépendante se caractérise par une absence de contrôle hiérarchique, une liberté d’organisation et du temps de travail. Certaines fonctions salariées ne pourront donc pas s’exercer dans ces conditions et ne se prêteront donc pas à un tel tournant à 360 degrés, au risque de s’aventurer sur le terrain glissant de la fausse indépendance".
- Les sociétés de management permettent de réduire la pression fiscale et les cotisations sociales pour son administrateur.
- Plus le revenu est élevé, plus la différence de revenus nets entre l'administrateur d'une société de management et un employé est élevée.
- Mais changer son statut de salarié pour percevoir ses revenus au travers d'une société de management n'est pas permis à n'importe quelle condition. Le risque est d'être considéré comme un faux indépendant.