Le nombre de données échangées dans le cadre du CRS (Common Reporting Standard) a progressé de façon spectaculaire. La Belgique a reçu l’an dernier du fisc étranger 2.789.750 informations sur le patrimoine mondial de ses contribuables dans le cadre de l’échange automatique d’informations, selon le rapport annuel du SPF Finances. C’est environ deux fois plus qu’en 2017, lorsque ces échanges ont été introduits.
Grâce aux informations partagées via le CRS, auquel participent une centaine de pays – y compris le Luxembourg, la Suisse et Monaco – l’administration fiscale a désormais une vue imprenable sur votre patrimoine mobilier et immobilier à l’étranger. Paradoxalement, elle en sait même bien plus que vous sur vos avoirs en Belgique.
Cette transparence totale concerne potentiellement tout le monde. Aussi bien celui qui a ouvert un compte pour son salaire et ses dépenses courantes durant une mission de 6 mois à l’étranger que le propriétaire d’une résidence secondaire qui touche des loyers ou encore celui qui détient une assurance-vie, un compte-titres, une structure patrimoniale ou de l’immobilier. N’importe qui peut donc très bien être "fiché CRS" sans pour autant avoir quoi que ce soit à se reprocher, ni être suspecté de fraude ou être un gros poisson!
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Penser que l’on peut échapper aux radars de l’administration fiscale est aujourd’hui illusoire. "Il faudrait pour cela avoir de la chance chaque année, car l’échange d’informations va se poursuivre et à ce jeu-là, les récalcitrants seront nécessairement perdants tôt ou tard", prévient l’avocat fiscaliste Thierry Afschrift. Pourtant, certains irréductibles fraudeurs espèrent encore passer entre les mailles du filet. Mais qui sont-ils? Pourquoi s’obstinent-ils en dépit des évidences?
Ce sont souvent des contribuables particulièrement téméraires et/ou de mauvaise foi qui ont zappé les trois DLU (déclaration libératoire unique) précédentes et qui se retrouvent enfermés dans leur logique. La première DLU a eu peu de succès car elle suscitait la méfiance. Ensuite, il y a eu la DLU bis, la DLU ter qui a duré très peu de temps et enfin la DLU quater qui, elle, impose des conditions draconiennes et coûte très cher, confirment tous les fiscalistes. Mais qu’arrivera-t-il à ceux qui renâclent? Le jeu en vaut-il la chandelle?
Pas de rapatriement sans régularisation préalable
"Lors de nos rendez-vous avec des clients qui ont des avoirs à l’étranger mais qui n’ont encore entrepris aucune démarche, nous mettons l’accent sur l’urgence d’envisager une régularisation fiscale avec l’aide d’un spécialiste. Car si ces clients ont une connaissance de l’origine des capitaux, leurs enfants et petits-enfants l’ignorent, ce qui rendra la régularisation et/ou le rapatriement très difficile en cas de succession", indique Sophie Slits, Legal Advisor – Estate Planning à la Banque Nagelmackers.
"Même si le capital a une origine tout à fait légale, beaucoup de gens sont effectivement incapables d’en apporter la preuve lorsque le compte remonte à une ou deux générations, confirme Thierry Afschrift. Comment fournir les justificatifs des revenus d’un grand-père, alors que les banques ne conservent les extraits de compte que durant une dizaine d’années?" Faute de preuves, l’argent est présumé noir… et taxé à 40% (lire encadré plus bas)!
Tant que l’argent est conservé sur un compte à l’étranger qui est déclaré, même s’il n’est pas régularisé, le fisc ne peut rien reprocher. Par contre, ces fonds seront souvent difficiles à rapatrier.
"Cela amène les gens qui sont dans ce cas à déclarer plutôt qu’à régulariser, poursuit l’avocat bruxellois. L’administration taxe dans ce cas les revenus. Celui qui détient un compte depuis 30 ans préfère payer l’impôt sur les revenus des 7 voire des 10 dernières années, plutôt que 40% sur le capital. La dernière DLU est tellement lourde qu’elle génère peu de régularisations".
"Le fisc n’a en effet rien à dire s’agissant d’argent conservé sur un compte à l’étranger qui est déclaré, même s’il n’est pas régularisé". Mais cette solution a ses limites. "Les contribuables en délicatesse fiscale peuvent admirer leur appétissant gâteau derrière une vitrine, mais ils ne peuvent pas le déguster", simplifie Me Grégory Homans, avocat associé au cabinet Dekeyser & Associés.
Car il est devenu quasi impossible de rapatrier de l’argent en Belgique sans avoir fait auparavant une DLU quater dans les règles. Conscientes du risque pénal qu’elles encourent, les banques vérifient en effet de façon scrupuleuse et détaillée l’origine des fonds et, en cas de doute, ne laissent rien passer. "Le ‘compliance officer’ de la banque belge signalera ces mouvements de fonds suspects à la Cellule de traitement des informations financières (CTIF) qui pourra les renseigner à son tour au parquet. Le contribuable en délicatesse sera alors en principe convoqué par les autorités pénales et pourra se voir proposer une transaction pénale… dont le montant risque d’être équivalent voire supérieur au coût d’une DLU quater", explique Me Homans.
Comment le fisc utilise-t-il les données CRS?
En coulisses, l’administration fiscale belge ne chôme pas. Elle exploite évidemment toutes les informations relatives aux avoirs financiers étrangers des contribuables belges. Cette transparence lui permet de débusquer aisément les contribuables en délicatesse fiscale. Il lui suffit en effet de comparer les données figurant dans leur déclaration fiscale avec les renseignements figurant sur leur fiche CRS (intérêts, dividendes, loyers perçus, etc.)
Si des anomalies ou contradictions apparaissent, des demandes de renseignements sont adressées. De nombreux contribuables ont ainsi reçu récemment un courrier de l’administration fiscale les informant que leur fiche CRS révèle des comptes et revenus dont leur déclaration d’impôt ne dit rien.
"L’existence d’une divergence n’implique toutefois pas d’office une fraude dans le chef du contribuable", tempère Thierry Afschrift, prenant l’exemple d’un Belge qui détiendrait une Soparfi (société de participation financière) au Luxembourg. "Ces sociétés paient des impôts au Luxembourg, mais comme elles sont généralement considérées comme passives selon le CRS, l’administration fiscale belge qui reçoit les informations à leur sujet interroge le contribuable belge. Or, dans ce cas, il ne doit rien déclarer puisqu’il ne s’agit ni de son compte ni de ses revenus mais de ceux de la société. Cela n’empêche par contre pas l’administration de demander d’où provient l’argent de ladite société, explique-t-il.
Les données fournies dans le cadre du CRS concernent les années 2016 et 2017. "Sur cette base, l’administration fiscale peut taxer les revenus non déclarés révélés, et ce même en dehors des délais ordinaires d’imposition. Dans certains cas, elle pourrait même remonter jusqu’à 2011. L’impôt complémentaire doit toutefois être enrôlé dans les deux ans qui suivent la prise de connaissance des informations par le fisc belge. Si les données CRS manquent de clarté, l’administration fiscale peut mettre à profit le délai de deux ans pour réaliser des actes d’investigation. Mais cela ne l’autorise pas pour autant à aller à la pêche aux informations. Il existe deux limites. Une limitation temporelle: des informations CRS relatives à 2016 et 2017 ne devraient pas autoriser l’administration fiscale à solliciter la production d’extraits pour les années 2012 à 2015. Une limitation du champ matériel d’investigation: des données relatives à des comptes bancaires ne devraient pas permettre au fisc d’interroger le contribuable sur l’éventuelle détention d’un bien immobilier à l’étrange", détaille Me Grégory Homans.
Comment réagir à une demande de renseignements?
L’avocat recommande de faire abstraction de l’angoisse liée à une demande de renseignements. "Si l’administration fiscale est en droit de solliciter certaines informations en dehors du délai ordinaire d’imposition, elle n’est pas autorisée à pratiquer le phishing. Dans certains cas, il n’est pas exclu qu’il soit possible, en toute légalité, de refuser de répondre à tout ou partie des demandes de renseignements, sans craindre une taxation d’office", précise Grégory Homans.
Attention, une fois que le fisc a lancé une demande d’informations, il est trop tard pour introduire une DLU! Or, la régularisation fiscale spontanée est la seule façon d’échapper à des poursuites pénales pour fraude et blanchiment. "Si l’infraction fiscale se prescrit par l’écoulement du temps, ce n’est pas le cas de l’infraction pénale!", rappelle l’avocat Grégory Homans.
Le contribuable en délicatesse a donc intérêt à introduire une DLU quater le plus rapidement possible. Contrairement aux précédentes déclarations libératoires, la DLU quater est permanente et offre une double immunité: fiscale et pénale (moyennant le paiement d’une amende). Elle vise notamment les revenus financiers (dividendes et intérêts), les revenus professionnels et immobiliers, ainsi que les infractions à la TVA. Le souci c’est qu’elle a considérablement alourdi le coût de l’opération tout comme les procédures. Mais c’est le prix à payer pour s’assurer la tranquillité totale. "Ne rien faire n’est plus une option au regard de l’intensification des échanges automatiques d’informations et de l’augmentation de la transparence", estime Grégory Homans.
Le capital prescrit ne peut plus être taxé. Le délai de prescription normal est de 7 ans, sauf dans le cadre d’une succession où il est de 10 ans et quelques mois.
La régularisation des capitaux prescrits s’opère de la façon suivante: on prend une photo des capitaux au 31.12.2011. Sur ce montant, on applique un impôt dont le taux augmente chaque année. Actuellement de 39%, il atteindra un plafond de 40% en 2020. Si le contribuable n’est pas en mesure de prouver l’origine des capitaux non déclarés, il sera soumis à ce prélèvement.
S’agissant de capitaux non prescrits, la régularisation s’opère de la façon suivante: les revenus non-déclarés seront taxés à l’impôt des personnes physiques majoré de 24 points de pourcentage (2019). Cette majoration, qui a été relevée chaque année, atteindra également un plafond en 2020: 25%. Le fisc peut revenir 3 ans en arrière ou même 7 ans s’il prouve que des revenus imposables en Belgique n’ont pas été déclarés dans une intention frauduleuse.
De leur côté, les Régions ont chacune adopté un décret pour permettre la régularisation des droits de succession et d’enregistrement, mais cette procédure prendra fin le 31 décembre 2020.
→ En Région wallonne et à Bruxelles:
- succession non prescrite: impôt normalement dû + 24% (25% en 2020)
- succession prescrite: 39% (40% en 2020)
→ En Région flamande:
Droits de succession en ligne directe et entre partenaires:
- Impôt non prescrit: 35%
- Capitaux fiscalement prescrits: 39% (40% en 2020)
Droits de succession entre autres personnes:
- Impôt non prescrit: 70%
- Capitaux fiscalement prescrits: 39% (40% en 2020)
Droits d’enregistrement:
- Impôt normalement dû +20%
- Capitaux fiscalement prescrits: 39% (40% en 2020)