Alors que les Pandora Papers ont révélé des réseaux complexes de sociétés offshore, utilisés par des personnalités parmi les plus riches et puissantes du monde pour cacher leur richesse et se livrer à l’évasion fiscale et dans certains cas au blanchiment d’argent, en Belgique, le petit poisson et le contribuable lambda verront sous peu leur situation financière totalement mise à nu. Voici pourquoi et comment.
La transparence financière est en marche depuis un certain temps déjà, mais le tempo s’accélère. Les banques sont déjà tenues de communiquer au Point de contact central (PCC, base de données informatisée) de la Banque nationale de Belgique, les numéros de comptes et types de contrats de leurs clients. Et d’ici au 31 décembre 2022, au plus tard, elles devront également fournir les soldes des comptes bancaires et de paiement, ainsi que les montants globalisés des comptes titres et des valeurs de rachat des polices d’assurance-placement, pour les années 2020 et 2021.
Autant dire que votre situation financière n’aura potentiellement plus aucun secret. Mais pour qui? Et avec quelles conséquences?
"Les informations centralisées au PCC ne peuvent servir qu'à alerter le fisc sur l’existence de soldes plantureux sur des comptes belges..."
Aujourd’hui, "lorsque des revenus sont produits par des comptes, les organismes bancaires prélèvent d’office le précompte mobilier libératoire. Les informations centralisées au PCC ne sont donc d’aucune utilité pour la perception de l’impôt en tant que tel. Elles ne peuvent dès lors servir qu’à alerter le fisc sur l’existence de soldes plantureux sur des comptes belges, pour qu’il s’interroge sur l’origine de ces montants", observe l’avocat fiscaliste Thierry Litannie (Law Tax). "Le patron du Point de contact régulation (PCR) n’a-t-il pas récemment déclaré qu’il y avait environ 40 à 50 milliards d’argent noir en Belgique…" Alors CQFD? Voyons à quoi pourrait bien servir cette mine d’informations.
Accès limité
L’administration fiscale n’a pas pour autant libre accès aux données du PCC. Elle ne peut en effet agir qu’en présence d’indices de fraude, issus par exemple du datamining ou dans le cadre du recouvrement de l’impôt. Pas question, donc, de partir à la chasse aux informations ex nihilo. "La consultation n’est ouverte qu’à certains agents du fisc dans le cadre d’une procédure stricte établie par le SPF Finances qui gère l’autorisation et l’authentification des accès", indique la Banque nationale de Belgique (BNB).
Dans le système actuel, l’administration fiscale ne peut solliciter une banque que si le contribuable a refusé de lui communiquer des informations sur ses comptes bancaires, qu’il les dissimule ou ne donne pas de réponse satisfaisante. Dans ce cas, comme le fisc ignore auprès de quel(s) établissement(s) le contribuable détient des comptes, le fait d’avoir accès à la banque de données du PCC est évidemment un atout de taille. Cela lui épargne des recherches fastidieuses et une perte de temps."Auparavant, l’administration fiscale interrogeait les 4 ou 5 plus grosses banques, mais si le contribuable avait un compte auprès d’un petit établissement très confidentiel, c’était évidemment bien plus compliqué", note Me Litannie. Désormais, le fisc aura accès d'un coup à l’ensemble des données qui permettent de se faire une idée précise des revenus du contribuable.
"Les banques communiqueront en effet les informations suivantes: ouverture et fermeture de compte, octroi et révocation d’une procuration (avec l’identité du mandataire), solde périodique de ce compte bancaire et ses coordonnées, utilisation d’espèces dans des transactions financières, existence de contrat d’assurance-vie, etc.", détaille Me Grégory Homans, avocat associé au cabinet Dekeyser & Associés.
Protection de la vie privée
Les données sont conservées au PCC durant 8 ans. Elles sont ensuite supprimées. La liste des demandes d’informations du PCC introduites par les personnes habilitées à recevoir l’information est conservée par la BNB pendant deux années civiles. "La protection de la vie privée d’une personne enregistrée dans le PCC est garantie par l’application de diverses mesures", assure la BNB. L’Autorité de protection des données a néanmoins estimé qu’il s’agit "d’une centralisation inutile, particulièrement importante et risquée de données (à caractère personnel) financières, qui n’est pas proportionnée aux finalités poursuivies..."
Zoom sur des fonds partiellement régularisés ou pas régularisés
"Reste en effet à savoir à quoi ces informations vont servir et, surtout, comment le fisc et (le cas échéant) le parquet vont s’en servir", se demande Me Litannie. "Les professionnels craignent que cela attise la convoitise du fisc à l’égard de personnes qui auraient fait les choses le plus légalement du monde ‘à l’époque’ (régularisations de 2014 et 2016, NDLR) et qui, maintenant, se verraient inquiéter, éventuellement au niveau pénal", explique l'avocat fiscaliste. Allusion à des fonds qui n’ont pas été régularisés ou qui ont fait l’objet d’une régularisation partielle portant uniquement sur les intérêts. Le contribuable pourrait aujourd’hui être invité à apporter la preuve de la taxation en bonne et due forme du capital (impôts directs ou droits de succession), suggère-t-il.
Les revenus et capitaux fiscalement prescrits sont obligatoirement soumis à un prélèvement de 40% sur le capital, qu’il soit détenu sous la forme d’une assurance-vie, d’un compte étranger ou d’une construction juridique (trust, fondation, société offshore, etc) à moins que le contribuable puisse prouver l’origine licite des avoirs.
S’agissant des revenus et capitaux fiscalement NON prescrits (la prescription fiscale est de 7 ans pour les revenus et 10 ans pour les successions), les contribuables doivent s’acquitter de l’impôt des personnes physiques qui aurait normalement dû être payé, majoré d’une pénalité de 25%.
Les indépendants peuvent demander une régularisation de cotisations sociales. Le prélèvement sera de 20% des revenus professionnels, mais n’ouvrira aucun droit aux prestations sociales.
Pour des opérations TVA fiscalement NON prescrites, les contribuables doivent s’acquitter de l’impôt qui aurait normalement été payé si les revenus avaient été déclarés, ainsi que d’une pénalité de 20% des revenus, à l’exclusion des cas dans lesquels la régularisation fiscale porte déjà sur des revenus professionnels soumis à l’impôt sur les revenus.
"Si l’administration fiscale constate qu’elle n’est plus en mesure d’agir, pour cause de prescription de ses pouvoirs d’investigation et d’enrôlement, il lui reste toujours la possibilité de dénoncer les faits au parquet. Le contribuable s’expose dans ce cas à des poursuites pénales pour blanchiment", poursuit-il.
D’où ce conseil. "Faites examiner votre situation par un professionnel pour évaluer le risque éventuel et sa dangerosité. On constate en effet pour l’instant que les contribuables qui ont procédé à des rapatriements sauvages ou incomplets sont interrogés par les banques, la BNB ayant sommé ces dernières de vérifier l’origine des capitaux rapatriés…"
Allusion à tous ceux qui sont passés par une DLU pour régulariser uniquement les revenus, la régularisation des capitaux étant alors facultative. Sauf que depuis lors, la DLU quater a rendu celle-ci obligatoire. Résultat, il est devenu impossible de rapatrier ces capitaux pour les utiliser, car plus aucune banque ne les accepte. Faute de pouvoir apporter la preuve de leur origine licite, la seule possibilité est de régulariser ces fonds, malgré le tarif prohibitif appliqué.
"Les banques ont en effet jusqu’à 2022 pour faire un tri dans leurs dossiers. Concrètement, les clients n’ont pas le choix. Soit ils fournissent des explications sur la provenance des fonds (ce qui est historiquement impossible), soit ils régularisent ces fonds malgré le tarif prohibitif, soit ils sont exclus de la banque, leurs fonds sont bloqués. Et dans le pire des scénarios, la banque les dénonce à la CTIF (Cellule de traitement des informations financières)."
Échange automatique de renseignements au niveau international
Il est évidemment difficile de qualifier les nouveaux pouvoirs du fisc de "disproportionnés" alors que, parallèlement, l’échange automatique de renseignements financiers entre États est organisé au niveau international depuis des années. Depuis 2015, les contribuables concernés sont d’ailleurs théoriquement tenus d’en communiquer eux-mêmes le numéro au PCC.
Il n'empêche que si cette transparence est officiellement destinée à la lutte contre le blanchiment et la fraude fiscale, que l’actuel gouvernement a inscrite comme priorité, ces données constituent bel et bien un cadastre des avoirs financiers.
Cadastre immobilier et registre UBO
Rappelons que le cadastre des biens immobiliers, lui, existe de longue date. Chaque année, vous devez en effet mentionner dans votre déclaration fiscale les revenus cadastraux des immeubles que vous possédez en Belgique (autres que votre habitation principale) ainsi que les revenus immobiliers (fictifs ou réels) de vos biens à l'étranger. Dès l'année prochaine, vos biens immobiliers étrangers seront également imposés sur la base d'un revenu cadastral.
Quant au registre UBO, il renseigne si vous êtes bénéficiaire effectif d’une société ou si vous y détenez une participation.
La loi du 8 juillet 2018 impose aux institutions financières d’informer le PCC de:
- l’ouverture et la fermeture d’un compte bancaire ou d’un compte courant, avec mention de l’identité du/des titulaire(s) et d’éventuels mandataires;
- les transactions financières impliquant des espèces dans lesquelles l’institution intervient;
- l’existence ou la fin d’un contrat financier avec un client: location de coffre, assurance-vie, crédit-hypothécaire, convention relative à des services d’investissement, etc.;
La loi programme du 20 décembre a ajouté :
- le montant globalisé périodique de certains contrats (réserves constituées de contrats d’assurance-vie des branches 21, 23, 25 et 26, conventions portant sur des services d’investissement)
Restait à fixer la périodicité de l’établissement des soldes et du montant globalisé, ainsi que les minima à partir desquels l’obligation de déclaration s’applique.
Un AR du 6 juin 2021 organise la concrétisation de ces nouvelles dispositions:
- les soldes des comptes bancaires et de paiement et les montants globalisés des contrats sont établis semestriellement (au 30/06 et au 31/12);
- les montants globalisés des contrats d’assurance-vie sont établis une fois par an (au 31/12);
- il n’y a pas seuil minimum pour la déclaration du solde et du montant globalisé. Tous les comptes sont donc concernés.