Le Parlement européen devrait approuver ce 29 mars le texte de la directive dite de transparence des rémunérations. Cette nouvelle législation vise notamment à combler l'écart de rémunération entre les hommes et les femmes. En Europe, on estime que les femmes gagnent encore en moyenne 13% de moins que les hommes. En Belgique, cette différence serait de 5,3%, soit la moitié moins qu'il y a 10 ans.
"Mais l'écart salarial réel est probablement plus important", souligne le professeur Xavier Baeten (Vlerick Business School), spécialisé dans les rémunérations. "Parce que ces pourcentages ne tiennent compte que du salaire fixe, et non des primes. Et comme ces dernières sont également calculées sur le salaire fixe, les chiffres restent sous-estimés. "Il s’agit aussi d’un écart de rémunération sur une base horaire", ajoute l'avocate Jennifer Granado Aranzana (Linklaters LLP). "L’écart de rémunération calculé sur une base annuelle – ce qui intègre donc l’effet du travail à temps partiel qui concerne très largement les femmes – est nettement plus élevé. Et pire encore, il ne diminue pas."
L’Europe entend donc contraindre les entreprises à s’attaquer résolument à cette différence salariale entre les hommes et les femmes.
Comment l’Europe veut-elle la combler?
Les employeurs seront soumis à un certain nombre d'obligations d'information. Ce devoir de transparence commence dès l’offre d’emploi. "Les employeurs devront y fournir des informations sur le niveau de salaire initial que gagnera la nouvelle recrue. Pas nécessairement un montant exact, mais au moins une fourchette", précise Nele Van Kerrebroeck, avocate chez Linklaters LLP.
Par ailleurs, un employeur ne sera plus autorisé à vous demander le montant de votre salaire chez votre ancien employeur. Aujourd’hui, cette rémunération précédente est souvent le point de départ des négociations salariales, mais cela ne sera plus possible. "Une bonne chose", insiste Xavier Baeten, "parce que vous traînez longtemps cet historique de salaires." Les nouvelles règles visent ainsi à prévenir les différences de salaire ou les (éventuelles) discriminations du passé.
Mais rien ne vous empêchera évidemment de continuer à négocier votre salaire. "Une marge de négociation est toujours possible. L'objectif de la directive est de fournir à tous les mêmes informations", explique Jennifer Granado Aranzana.
"Une différence de rémunération n'est pas anormale, l'expérience, l'ancienneté et la performance individuelle jouent également un rôle."
L'obligation d'information n'est pas limitée aux candidats à un emploi. Ainsi, les salariés devront pouvoir consulter les critères utilisés par leur employeur pour un certain niveau de salaire. Une même transparence sera exigée pour les facteurs déterminant une augmentation salariale ou une promotion.
Les salariés auront également le droit de demander à tout moment des informations écrites sur leur rémunération et sur le niveau de salaire moyen des collègues effectuant un travail équivalent, ventilé par sexe. Ainsi, les femmes sauront ce que gagnent les hommes qui font le même travail. Et inversement.
"C'est bien que cette information soit mise à disposition", souligne Xavier Baeten, "mais elle crée un certain risque. Surtout lorsque l'information n'est pas correctement interprétée ou placée dans son contexte. Une différence de rémunération n'est pas anormale, l'expérience, l'ancienneté et la performance individuelle jouent également un rôle. Il est donc très important que les entreprises qui appliqueront la nouvelle directive communiquent bien."
Pourrais-je savoir ce que gagne mon collègue?
"Vous ne pourrez pas consulter directement le salaire d'un collègue en particulier – cela violerait les règles de confidentialité du GDPR - mais bien le niveau de salaire moyen pour le même poste ou un travail équivalent", explique Jennifer Granado Aranzana. "
La directive permet toutefois aux États membres d’aller plus loin. Ils pourraient, par exemple, choisir d'autoriser la divulgation individuelle, pas directement au salarié, mais via le syndicat ou les services de l'inspection sociale. Il leur appartiendra alors d'informer le salarié s'il y a ou non discrimination salariale et s’il y a lieu d’entamer une procédure à cet égard", ajoute Nele Van Kerrebroeck.
Pourrais-je exiger un salaire plus élevé?
Oui, vous pourrez exiger de bénéficier du même salaire que vos collègues. "Mais aussi de récupérer le manque à gagner antérieur. La ligne directrice va très loin à cet égard: elle vise non seulement le salaire fixe, mais également tous les avantages que vous auriez pu obtenir, comme une prime ou une voiture de société", précise Nele Van Kerrebroeck. Les salariés pourront également s'adresser collectivement à leur employeur. "Des organisations comme Unia auront le droit d'agir au nom d'un groupe de travailleurs."
Qui est concerné par la directive?
Les règles s'appliqueront à toutes les entreprises, y compris celles du secteur public. Les PME sont visées également. "La seule exception concerne l'obligation de reporting. Elle ne s'appliquera pas aux entreprises de moins de 100 salariés", précise Jennifer Granado Aranzana. Car oui, les entreprises devront établir également des rapports sur les écarts salariaux. Ce reporting sera annuel pour les entreprises de plus de 250 salariés et triennal pour les entreprises employant entre 250 et 100 salariés.
Les entreprises devront y indiquer l'ampleur de l'écart salarial. Et ce n'est pas sans conséquence. Si l'écart est supérieur à 5%, et s'il ne peut pas être objectivement justifié, et s'il n'est pas corrigé dans les six mois suivant la publication, l'entreprise devra établir un plan d'action en concertation avec le conseil d'entreprise.
Quand les nouvelles s’appliqueront-elles?
Ce n’est pas encore pour demain. La directive devrait entrer en vigueur au niveau européen avant l'été. Les États membres auront alors 3 ans pour transposer la directive dans leur législation nationale. "Une directive européenne fixe des règles minimales que chaque État membre doit suivre. Mais les États membres peuvent toujours être plus stricts", explique Sylvie Dumortier, consultante en fiscalité chez Claeys&Engels.
Mais les entreprises auraient tort de ne pas s’y préparer dès à présent, soulignent tous nos interlocuteurs. Car les obligations de transparence vont très loin. "De nombreuses entreprises ne sont pas toujours conscientes de la réalité des écarts salariaux dans leur entreprise. La première étape consiste donc à cartographier les pratiques salariales. S'il s'avère qu'il existe un écart salarial, elles doivent déterminer des critères objectifs - comme l'expérience ou la formation – pour les justifier. Mais cela prend du temps", prévient Nele Van Kerrebroeck.