Voilà environ huit mois que le coronavirus a chamboulé nos relations de travail. Sans surprise, le télétravail qui s’était imposé dans l’urgence s’est installé durablement. Et "il devient la règle pour toutes les fonctions qui le permettent", a annoncé vendredi soir le Premier ministre, Alexander De Croo. Face aux rebondissements dramatiques d'une situation inédite dont on reste incapable de prédire la durée et l’impact, le vaste dispositif de règles et mesures temporaires instauré dans la précipitation est évalué régulièrement en fonction de l'évolution de la situation sanitaire... qui s'est à nouveau sérieusement détériorée.
Certains dispositifs ont pris fin. D’autres sont théoriquement voués à disparaître d'ici la fin de l'année. D’autres encore restent en vigueur avec des règles (régulièrement) adaptées. Dans la pratique quotidienne, beaucoup de choses flottent: en entreprise, on s’adapte au gré de l’évolution du virus, des recommandations sanitaires et/ou de la santé du business.
Avec le concours de spécialistes du droit du travail, le temps est venu de refaire le point sur les mesures mises en place et de s’interroger sur leurs conséquences à plus long terme. Histoire de donner des repères aux employés qui se posent légitimement une série de questions.
Télétravail
Nombreux sont ceux qui prestaient désormais 2 ou 3 jours par semaine, voire plus, à domicile et pour lesquels le télétravail occasionnel est devenu structurel. Et bien que la situation s’éternise et se soit à nouveau aggravée, "on considère toujours que le télétravail lié au Covid-19 est occasionnel", constate Catherine Mairy. "Dans ce cas, l’employeur n’a pas l’obligation de fournir du matériel, d’octroyer une indemnité pour les frais occasionnés à domicile (chauffage, électricité, télécoms, eau, etc.), ni de fixer ces aspects dans une convention écrite." Tout est laissé à l’appréciation des parties, alors que, dans le cadre du télétravail structurel, ces aspects sont réglés et obligatoires.
L'employeur peut accorder des forfaits de 20 euros par mois pour l'utilisation du PC privé et de la connexion internet privée.
Mais une nuance clé est apparue lorsque "le fisc a publié en juillet une circulaire qui fixe le montant de l’indemnité de bureau à 129,48 euros par mois maximum pour chaque télétravailleur, qu’il soit à temps partiel ou à temps plein, et quelle que soit sa fonction. L'indemnité est exonérée d’impôt et de précompte professionnel. Mais surtout, elle peut être octroyée pour un travail à domicile régulier et structurel à partir de 5 jours ouvrables par mois. Il s'agit donc bien des principes généraux", souligne Isabelle Caluwaerts, Legal expert chez Partena Professional. Attention, il ne s'agit toutefois pas d'une obligation pour l'employeur.
Mais attention, prévient Nicolas Tancredi, dès lors que le télétravail corona devient structurel, cela suppose une série d'obligations pour l'employeur (qui sont fixées dans une CCT télétravail): avenant au contrat, modalités du télétravail, indemnités, assurances, conseiller en prévention, etc. Tôt ou tard, il faudra se pencher sur la question!
Alors qu'ils travaillent (quasi) non-stop à domicile, des salariés s'interrogent sur l'opportunité de déclarer les frais réels plutôt que de se contenter du forfait (30% des revenus, max. 4.810 euros) . Mais les spécialistes mettent en garde: outre le fait que le forfait est déjà relativement élevé, déclarer ses frais réels est contraignant (conserver les justificatifs des paiements et dépenses, pouvoir prouver qu’ils sont en rapport avec son travail, évaluer la partie du domicile dédiée au bureau, etc.) et risqué car cela a tendance à titiller la curiosité du fisc.
Sans compter que "la plupart des employeurs remboursent déjà des dépenses qui sont avancées par l'employé (kilomètres parcourus pour raisons professionnelles, parking, restaurant, matériel), via des notes de frais ou un forfait mensuel fixe qui varie entre 20 et 300 euros net, selon la fonction et le niveau hiérarchique", rappelle Nicolas Tancredi. "Il ne faudrait donc pas réclamer une déduction de frais réels en plus des remboursements déjà obtenus par ailleurs..."
Chômage temporaire corona/économique
Tout le monde n'a plus forcément la possibilité de (télé)travailler... Mais "depuis le 1er septembre et jusqu’au 31 décembre, le chômage pour force majeure ‘corona’ (procédure simplifiée pour le chômage temporaire) n'est plus accessible qu'aux seuls secteurs et entreprises particulièrement touchés, ainsi qu'aux entreprises qui, au 2e trimestre, ont atteint au moins 20% de jours de chômage temporaire (sur le nombre de jours total déclarés à l’ONSS)", explique Catherine Mairy.
Le travailleur concerné perçoit une allocation de chômage équivalente à 70% de sa rémunération moyenne plafonnée, ainsi qu’un supplément de 5,63 euros par jour. L’allocation de chômage et ce supplément sont soumis à un prélèvement de 15%.
Les entreprises qui n’entrent pas dans ces catégories peuvent recourir au chômage temporaire économique (du 1er septembre au 31 décembre 2020) si elles remplissent les conditions requises.
Normalement, les allocations de chômage diminuent avec le temps. Mais comme il n’est pas évident de trouver du travail dans le contexte actuel, le gel de la dégressivité des allocations – qui avait dans un premier temps été décidé jusqu’à la fin août – a été prolongé jusqu’à la fin de l’année.
Il en va de même pour les allocations d’insertion.
13e mois et bonus
Le 13e mois est généralement octroyé sur la base de dispositions sectorielles. "Pour 2020, des secteurs ont déjà décrété que les périodes de chômage temporaire corona seront assimilées à du travail et n’impacteront donc pas la prime de fin d’année. Dans d’autres, celui qui a été au chômage temporaire corona durant six mois verra son 13e mois raboté de moitié. Et dans la chimie, par exemple, seuls les jours de chômage entre le 13 mars et le 30 juin seront assimilés", explique Catherine Mairy, Legal expert chez Partena Professional. "Vous ne découvrirez probablement le montant de votre 13e mois qu’au mois de décembre, lorsqu'il sera versé", prévient-elle. "Il n’y a pas d’obligation d’information préalable."
"Pour certains, la différence pourrait se monter à plusieurs centaines d’euros", estime Jean-Luc Vannieuwenhuyse, manager chez SD Worx, ajoutant que rien n’empêche l’employeur de faire un geste.
La même philosophie prévaut pour les bonus. "Le montant du bonus salarial CCT 90 – qui dépend des résultats collectifs d’une entreprise ou d’un groupe défini de travailleurs sur la base de critères objectifs – est fonction des prestations de travail effectives du travailleur individuel. Les périodes de chômage temporaire corona et de chômage économique ne sont pas assimilées, à moins que l’entreprise déroge à la règle", selon Legal World (Wolters Kluwer).
Les bonus collectifs liés aux résultats risquent de toute façon de tomber vu qu’en général les objectifs qui avaient été fixés avant la crise ne seront évidemment pas atteints. "L’entreprise ne peut pas adapter les objectifs fixés sur la base de la nouvelle situation économique."
Congés et pécule de vacances
Pour protéger le pouvoir d’achat des salariés, les jours de chômage temporaire pour force majeure en raison du coronavirus étaient déjà assimilés jusqu’au 31 août. Les partenaires sociaux sont tombés d’accord sur la prolongation jusqu’à la fin de l’année, moyennant le versement d’une compensation aux employeurs concernés. "Un point qui reste en discussion", précise Catherine Legardien, Legal expert chez Partena Professional. Tous les travailleurs devraient néanmoins recevoir un pécule de vacances complet en 2021.
Les entreprises qui ne rentrent plus en considération pour le chômage temporaire corona ont accès au chômage économique ordinaire qui, lui, est assimilé pour le pécule de vacances comme pour les jours de congé.
Déclaration d'impôt 2021
Entre les mois de mai et de décembre, toutes les allocations de chômage temporaire sont soumises à un précompte professionnel réduit de 15% au lieu de 26,75%. "Les salariés conservent donc un net assez élevé, mais, pour certains, l'addition de l’ensemble des revenus professionnels qui auront été payés en 2020 générera sans doute une correction lors de la réception de l’avertissement-extrait de rôle", prévient Nicolas Tancredi, avocat spécialiste en rémunérations (Younity). "Les salariés qui ont reçu de leur employeur un supplément (sur lequel s'applique un précompte de 26,75%) aux allocations de chômage temporaire, afin qu'ils conservent 80% voire 100% de leur rémunération habituelle, pourraient également subir une déconvenue", poursuit l'avocat. "Surtout ceux qui ont une rémunération moyenne ou plus élevée, a fortiori si la période de chômage a été longue."
"Les contribuables qui sont habitués à un remboursement d’impôt, car ils ont droit à l'une des réductions et déductions fiscales (emprunt hypothécaire, épargne-pension), doivent être conscients qu'avec un montant touché en chômage temporaire, le remboursement sera sans doute moindre, ou qu’ils auront un supplément à payer."
Si l'année prochaine vous remplissez votre déclaration d'impôt via Tax-on-Web, sachez que vous pouvez obtenir directement une estimation de l’impôt qui sera dû ou remboursé, sans attendre l’avertissement-extrait de rôle.
Congé quarantaine
Les parents d’enfants mineurs (ou handicapés quel que soit leur âge) dont la crèche, la classe, l'école ou le milieu d'accueil ferme en raison du coronavirus peuvent invoquer le chômage temporaire pour raison de force majeure.
La mesure, entrée en vigueur avec effet rétroactif au 1er octobre, sera d'application jusqu'au 31 décembre 2020. Elle pourrait être prolongée.
Le travailleur peut invoquer le chômage temporaire pour cause de force majeure sur simple présentation d’une attestation de l’école ou de la crèche (disponible sur le site de l'Onem), précisant la période durant laquelle la fermeture/interruption de service s'applique.
La procédure ne requiert pas l'accord de l'employeur, qui doit toutefois en être directement informé.
Le travailleur concerné perçoit une allocation de chômage équivalente à 70% de sa rémunération moyenne plafonnée, ainsi qu'un supplément de 5,63 euros par jour de chômage temporaire.
Quarantaine et salaire
Pour une raison ou une autre (par exemple au retour d'un voyage en zone rouge ou suite à un contact rapproché avec une personne positive), vous pourriez être obligé de vous mettre immédiatement en quarantaine pour une durée d'au moins 7 jours. C'est le test obligatoire du cinquième jour qui déterminera si la quarantaine peut prendre fin ou si elle est reconduite pour 7 jours. Dans tous les cas, il faudra immédiatement prévenir votre employeur et lui délivrer un certificat de quarantaine (délivré lorsqu'un travailleur est apte à travailler, mais qu'il n'est pas autorisé à se rendre sur son lieu de travail).
Quid pour votre salaire? Si vous avez la possibilité de télétravailler, vous percevez votre rémunération normalement. Si ce n'est pas possible, votre contrat de travail sera suspendu pour cause de force majeure. Vous aurez donc droit à des allocations de chômage temporaire à charge de l'Onem pendant cette période. Cette allocation équivaut à 70% de votre rémunération moyenne plafonnée. Elle est soumise à un précompte professionnel de 15%.
Si votre entreprise appartient à la catégorie des entreprises "particulièrement touchées" (par la crise du covid-19), vous obtiendrez un supplément de 5,63 euros/jour à charge de l’Onem.
Si vous tombez malade pendant cette période (de chômage temporaire), vous recevrez immédiatement une indemnité de votre mutuelle, à condition d'introduire une déclaration d'incapacité de travail.
Si vous restez malade au-delà de la période de quarantaine, vous aurez droit à votre salaire garanti.
Coronalert
Selon les autorités, l'app de tracing Coronalert est un outil qui permet de détecter rapidement les contaminations potentielles et de prendre des mesures (de quarantaine) nécessaires. La majorité des employeurs recommandent donc fortement à leurs employés de l'installer. Toutefois, vous n'êtes pas obligé de le faire.
"Les employeurs peuvent encourager leurs collaborateurs à installer l’app, mais pas les y obliger."
Si votre smartphone est la propriété de l'entreprise, votre employeur a le droit d'installer l'app. "Cependant, cela n'entraîne à nouveau pas son utilisation obligatoire", selon Amandine Boseret, conseillère juridique chez Acerta.