L’état des tunnels bruxellois et la fermeture, pour au moins un an, du tunnel Stéphanie tandis que l’avenir du Léopold II reste incertain, ont dominé l’actualité ces derniers jours. Pour les employés qui travaillent à Bruxelles, qu’ils vivent ou pas dans la capitale, le trajet domicile-travail prend parfois des airs de retour de la mer du Nord un dimanche après-midi après un week-end estival… Ce qui, à la longue, peut devenir pesant, mais pas étonnant quand on sait que 71% des travailleurs belges se rendent au travail en voiture.
Ainsi, selon une enquête menée en septembre dernier par le fournisseur de services RH Securex, 53% des travailleurs qui trouvent les déplacements domicile-travail "accablants" veulent changer d’emploi. Pour attirer — et conserver — des collaborateurs, les entreprises comprennent donc de plus en plus l’importance de la mobilité "à la carte". Et la bonne vieille voiture de société, si elle reste très prisée dans notre pays (plus de 1 million rouleraient sur nos routes), n’est souvent plus suffisante pour séduire les angoissés du bitume qui aspirent à plus de flexibilité… Train, tram/bus/métro, vélo, parking à la demande, ou rien de tout ça contre du cash, de nombreuses formules sont possibles. Voici comment votre employeur peut rendre votre fiche de paie "mobility-friendly"!
"Bruxelles, c’est vraiment Brompton-City."
Transports en commun pour tous
Selon Securex, 60% des travailleurs se rendent au travail au volant de leur propre voiture. Si votre entreprise est facilement accessible en transports en commun, vous pourriez décider de la laisser au garage pendant la semaine, surtout si votre employeur n’intervient pas dans vos frais de déplacement avec un véhicule privé. Votre entreprise a en effet l’obligation, si vous ne disposez pas de voiture de société, d’intervenir dans vos frais d’abonnement aux transports en commun (train, bus, tram, métro).
Pour le train, un minimum légal est prévu par une convention collective nationale. Mais des conventions collectives sectorielles peuvent prévoir un remboursement supérieur. Par ailleurs, si votre employeur pratique le système du tiers payant, il doit intervenir à minimum 80% dans le prix de l’abonnement, le reste étant à la charge de l’État. L’employé ne paie donc rien et ne doit rien avancer. Pour les travailleurs qui utilisent les transports en commun (STIB/TEC/De Lijn), l’intervention de l’employeur est obligatoire, à condition que la distance domicile-travail ne dépasse pas 5 km.
Au niveau fiscal, ces interventions de l’employeur sont totalement exonérées d’impôts et de cotisations ONSS. Si vous déclarez vos frais réels, vous pouvez toujours reprendre votre trajet domicile-travail, même si votre employeur a payé l’abonnement pour vous.
Pouvoir choisir sa rémunération "mobilité"
Les employés qui disposent d’une voiture de société ont un peu plus de mal (rationnellement parlant) à la laisser au garage, surtout s’ils doivent prendre en charge leurs transports en commun pour rejoindre leur lieu de travail. D’autant plus que les transports en commun ne sont pas toujours la solution idéale chaque jour, que ce soit pour des raisons personnelles (aller chercher les enfants à l’école le jeudi par exemple) ou indépendantes de leur volonté (grèves, retards, etc.).
Ce que les employés veulent avant tout, "c’est être à la barre pour choisir leur rémunération, notamment sur le plan de la mobilité", explique Jean-Luc Vannieuwenhuyse de SDWorx. Les employeurs sont en train de doucement le comprendre et deviennent de plus en plus inventifs dans l’aspect mobilité de leur offre salariale. "C’est devenu une manière d’attirer et de garder des collaborateurs", poursuit-il.
En quoi cela consiste? Troquer le budget traditionnellement réservé à la seule voiture de société accompagnée de sa carte essence pour un mix personnalisé de différents éléments liés au transport: une voiture (plus petite), un abonnement de train, un parking au bureau, un parking de délestage près de la gare, des chèques taxis, des litres de carburant, etc. Objectif? Désengorger les villes aux heures de pointe et assurer la transition vers une mobilité plus verte sans surcoût pour l’employeur, ni pour l’employé. Et sans obligation, ni pour l’un, ni pour l’autre non plus.
Employeurs à l’avant-garde
Mais si les plans de mobilité sur mesure ne concernent encore "qu’un faible pourcentage des entreprises", c’est que les employeurs se heurtent à certains freins, notamment juridiques, fiscaux et sociaux. En 2013, Jef Van den Bergh (CD & V) a présenté une proposition de loi visant à instaurer un cadre au "budget mobilité", qui harmoniserait les règles fiscales (imposition) et sociales (ONSS) des différentes composantes du budget, selon les moyens de transports utilisés, les kilomètres parcourus, etc. "Pour le moment, rien n’a encore bougé", regrette Jean-Luc Vannieuwenhuyse.
Pour régler les problèmes de mobilité, les sociétés de leasing habituées à fournir des flottes de voiture doivent aussi s’adapter. Selon Kristof Huysecom, responsable de la transformation du business chez KBC Autolease, "les formules petites voitures + vélo n’ont pas de succès. Ni celles d’une voiture plus petite avec possibilité de prendre une plus grande en cas de besoin". Les employés n’aiment pas conduire une voiture qu’ils n’ont pas choisie ou qui a déjà servi à d’autres pendant plusieurs années. En revanche, la vraie tendance, c’est le vélo! "Nous avons testé auprès des employés de KBC le système suivant: pour une réduction de 30, 50 ou 70 euros brut de leur salaire, ils peuvent obtenir un vélo en leasing. La première catégorie correspond déjà à un vélo de 1.300 euros. Il y a déjà un modèle électrique pour ce budget. Le leasing comprend l’entretien, l’assistance et l’assurance. Il est de trois ans pour un vélo électrique et de quatre ans pour un vélo traditionnel". KBC AutoLease a 3.000 vélos dans le pipeline pour d’autres sociétés que KBC, et entre 2.000 et 3.000 au sein de KBC.
"Le concept séduit les Flamands et les Bruxellois, mais pas encore les Wallons. Bruxelles, c’est vraiment Brompton-City!", poursuit-il. Parce qu’avec un budget de 70 euros par mois en leasing, les employés peuvent s’offrir la crème du vélo pliant…
Cependant, certaines entreprises sont très en avance sur ce sujet et font déjà preuve d’une grande souplesse. C’est par exemple le cas chez Proximus, qui est particulièrement bien situé (à côté de la gare du Nord) pour inciter les employés à venir (par exemple) en train au travail…
Quelle est la politique? De base, les cadres peuvent choisir une voiture de société ou du cash.
Ceux qui ont opté pour la voiture de société peuvent choisir de descendre en gamme, de limiter leur carte carburant ou de renoncer à leur place de parking. En faisant ces choix, ils dégagent du budget mobilité. "Ces employés choisissent en octobre de chaque année ce dont ils auront besoin pendant les douze prochains mois: abonnements aux transports en commun, dépenses de parking à proximité du bureau ou à la gare, etc. Tout est valorisé à un certain montant. Ce qui reste est converti en litres chargés sur une carte carburant", explique Gregory Jacobs, responsable Compensation and Benefits chez Proximus. Toutefois, à la fin de l’année, ce qui n’a pas été dépensé n’est pas rendu en cash à l’employé. "Ce système a permis de réduire le nombre de kilomètres parcourus chaque année par une voiture de 35.000 à 26.000, ce qui réduit l’empreinte écologique aussi les frais de carburant, d’assurances, d’entretien, etc.", poursuit-il. Et la formule semble plaire, car chez Proximus, 65% des travailleurs non-itinérants et 40% des travailleurs itinérants (qui se rendent presque toujours en clientèle) choisissent cette flexibilité.
En pratique, les employés disposent d’une carte XXImo, partenaire des principales sociétés de leasing, qui permet de payer les frais de carburant, de parking, de transport public, etc. Ce système est déjà utilisé par 25.000 personnes dans de grandes entreprises comme Proximus, mais aussi KPMG ou encore SDWorx.
Le contexte plus large du salaire à la carte
Chez SDWorx, on explique que ces plans de mobilité font partie d’un modèle plus large de personnalisation de l’offre salariale, le Flex Income Plan. Les travailleurs déterminent eux-mêmes leur package salarial, et la mobilité n’est qu’un outil parmi d’autres. Certains avantages extralégaux, comme la voiture de société, les jours de congé supplémentaires, les assurances ou les abonnements, sont convertis en valeur monétaire. Au travailleur d’adapter ces avantages dans la limite du montant qui lui est attribué. Le chiffre d’affaires de SDWorx pour ce Flex Income Plan a été multiplié par quatre entre 2011 et 2015. "Cela bouge chez nos clients!", constate le fournisseur de services RH.
Ainsi, chez CTG, une entreprise de consultance IT à Diegem, les employés qui choisissent une plus petite voiture ne doivent pas forcément dépenser le budget en mobilité. "Ils dégagent du budget avec lequel ils peuvent obtenir des jours de congé supplémentaires, des allocations familiales extralégales, un contrat d’assurance hospitalisation d’attente, des bonnes œuvres, un plan de warrants ou une meilleure contribution à l’assurance groupe, explique Ferdi Claes. Plus de quatre employés sur dix choisissent les allocations familiales complémentaires", poursuit-il. Elles ont notamment l’avantage de ne pas être soumises aux cotisations ONSS.
Selon les experts en ressources humaines, ce nouveau style de rémunération va s’imposer naturellement. L’ère du shopping salarial est arrivée, avec des employés qui iront de plus en plus regarder si le salaire n’est pas plus personnalisé dans l’entreprise d’à côté.