Le code civil stipule que le père et la mère sont tenus d’assumer, à proportion de leurs facultés, l’hébergement, l’entretien, la santé, la surveillance, l’éducation, la formation et l’épanouissement de leurs enfants. "Il s’agit bien d’une obligation. Cela n’a rien d’optionnel", souligne de façon catégorique Nathalie Massager, avocate spécialisée en droit familial et professeur à la faculté de droit de l’ULB. Cela vaut jusqu’à la majorité de l’enfant et au-delà s’il n’a pas achevé sa formation ou ses études. Et on verra que la jurisprudence laisse peu d’occasions aux parents de se dérober en invoquant des difficultés financières, de mauvaises relations avec le jeune, leur désaccord concernant ses choix, etc.
Pour autant, il n’est pas question de financer les caprices et errements d’un éternel étudiant. L’étudiant a bien sûr aussi des obligations.
Des limites et balises ont été fixées pour tenir compte des réalités de la vie et des nouvelles tendances tout en évitant les abus.
"Certains parents acceptent mal de ne pas avoir voix au chapitre concernant les études de leurs enfants alors qu’ils en sont les sponsors jusqu’à la fin et qu’ils doivent aussi accepter d’éventuels errements (années doublées, réorientation) en cours de route", contextualise Nathalie Massager.
Quels sont les grands principes?
Le choix des études
Vous auriez rêvé que votre fille étudie la médecine à l’UCL et voilà qu’elle n’a qu’une idée en tête: faire des études de droit à l’ULB, partir en Erasmus et devenir avocate…
Tant pis pour vos états d’âme. Si votre enfant est majeur, vous n’avez pas voix au chapitre et vous ne pouvez pas refuser de financer ses études sous prétexte qu’elles ne correspondent pas à vos aspirations.
Le jeune double, traîne en route, change d’orientation…
Vous devez financer le cursus de votre enfant pour autant que celui-ci effectue un parcours "normal". "Le jeune a droit à un cycle d’études supérieures, le droit de doubler, de faire une spécialisation, de se réorienter", résume Nathalie Massager.
Le fait qu’il double, voire qu’il trisse ne constitue donc pas un motif valable pour lui couper les vivres, a fortiori si l’échec est dû à des circonstances extérieures ou particulières. Les parents sont tenus de continuer à soutenir financièrement un enfant qui aurait fait un mauvais choix et se réoriente. "Les jeunes ont droit à une deuxième et même à une troisième chance tant que leur motivation à réussir est là", souligne Fednot (fédération du notariat) dans un communiqué publié récemment.
"Certains parents acceptent mal de ne pas avoir voix au chapitre concernant les études de leurs enfants alors qu’ils sont les débiteurs légaux."
En revanche, il est exclu que cela se transforme en prime à l’oisiveté ou à la paresse. L’idée n’est pas de financer ceux que la jurisprudence qualifie de "princes étudiants"! Le jeune qui traîne en rhéto à 21 ans ou celui qui a raté sa première année d’études supérieures dans trois branches différentes, a fortiori s’il glande, aura peu d’argument à faire valoir. "Le chemin parcouru – qu’il soit cahoteux ou non – et les efforts déployés par l’élève sont des points importants qu’un juge prendra en considération si une situation de conflit réel devait survenir", précise Fednot.
L’avocate rapporte ainsi le cas d’un étudiant "qui a raté quatre fois avant de finalement se réorienter, et qui a obtenu que ses parents continuent à financer ses études. Le juge a tenu compte du fait que la séparation de ses parents avait été très difficile, que le jeune avait été livré à lui-même pendant des années, et qu’il avait in fine fait les efforts nécessaires pour se relancer."
Un, deux ou trois diplômes
L’obtention d’un diplôme d’humanité n’est pas un aboutissement. Il est donc normal de financer la suite de la formation ou des études supérieures en haute école ou à l’université.
Mais cela s’arrête là. Si votre fils a déjà décroché un diplôme d’ingénieur commercial ou d’instituteur, vous n’êtes pas tenu de financer ensuite des études de droit, un coûteux MBA aux Etats-Unis ou une thèse de doctorat!
Job d’étudiant
"Le fait que votre enfant bénéficie d’un revenu supplémentaire, grâce à un job étudiant par exemple, ne signifie pas qu’il doive utiliser ce revenu pour financer ses études. Il s’agit pour lui d’un extra qui ne vous libère pas de votre obligation de financement", souligne un communiqué de Fednot (Fédération du notariat). Si le revenu de votre enfant est "anormalement élevé", vous pourrez réduire quelque peu votre contribution.
Dépenses de luxe
L’obligation des parents a tout de même des limites. Ils ne sont évidemment pas tenus de financer tout et n’importe quoi! Les dépenses de "luxe" sont ainsi exclues. Par exemple payer un kot alors que l’école ou l’université est facile d’accès, le minerval d’une école privée s’il existe des alternatives valables beaucoup moins coûteuses, ou une formation coûteuse à l’étranger. Et encore. La notion de luxe s’apprécie en fonction de la situation financière des parents. L’appréciation se fait au cas par cas.
Nathalie Massager relate "le cas d’une mère qui avait pris l’initiative de louer un kot pour sa fille malgré le refus du père. Le juge a estimé que la décision de la mère était légitime pour éviter des trajets de plusieurs heures par jour à l’étudiante qui habitait à Bruxelles."
Bien sûr, un jeune Bruxellois qui réclamerait une voiture pour aller à l’ULB, par souci de confort n’aurait aucune chance d’obtenir gain de cause.
Stage d’insertion
On considère que l’obligation des parents se poursuit durant le stage d’insertion professionnelle (ex-stage d’attente) dans la mesure où aucune allocation de chômage n’est versée la première année.
Refus, conflit… justice?
Si ces droits et obligations sont inscrits dans la loi, on imagine quand même assez mal que des jeunes aillent jusqu’à faire appel à un avocat ou à saisir la justice pour contraindre leurs parents à s’exécuter, a fortiori s’ils ne roulent pas sur l’or. Pour beaucoup, le job étudiant est alors incontournable. "Mais souvent, des parents invoquent des difficultés financières et lorsqu’on examine leur budget, on constate qu’ils ont des smartphones coûteux, qu’ils partent en vacances, qu’ils vont au resto. Les études des enfants doivent être la priorité", insiste l’avocate.
Si un conflit éclate, c’est en général lorsque le jeune a claqué la porte car il ne supporte plus les contraintes de la vie familiale et refuse de se plier aux règles. S’il revendique alors une aide financière de ses parents, il devra saisir le tribunal. Mais c’est peu fréquent. "Les conflits sont heureusement pour la plupart désamorcés grâce à divers intervenants: CPAS, médiateurs, services sociaux des écoles. Un jeune désemparé peut s’adresser au CPAS pour obtenir une aide financière. Mais celui-ci se retournera ensuite d’office vers les parents pour leur faire assumer leurs obligations", souligne Me Massager. Laquelle conseille aussi à un parent séparé qui ne recevrait aucune contribution de son "ex" pour les études d’un enfant de saisir le Secal (Service des créances alimentaires). Cet organisme permet d’obtenir l’exécution d’un jugement qui condamne un parent au versement d’une contribution alimentaire pour les enfants. "Ils sont très efficaces."
Vous êtes tenu de financer le cursus scolaire de vos enfants, mais si certains bouclent leur formation en 3 ou 4 ans, voire se mettent directement à travailler, d’autres sont partis pour de (très) longues années et une spécialisation, voire une thèse. Une deuxième rhéto à l’étranger, une année sabbatique ou un MBA dans une prestigieuse université américaine, cela coûte cher aussi. Un réel investissement!
Les parents en quête d’un juste équilibre ont désormais la possibilité d’en tenir compte dans le cadre de leur succession, explique la Fédération du notariat (Fednot). Tous les membres de la famille pourraient ainsi s’accorder sur le fait que le financement des coûteuses études et du logement à l’étranger de Louise, l’aide apportée à Ludovic pour la garde de ses jeunes enfants, le studio gracieusement mis à disposition d’Alexandre pendant 3 ans ou la donation faite à l’un d’entre eux ont une valeur équivalente, même si cela ne reflète pas une égalité mathématique parfaite. Ce deal serait alors coulé dans un pacte successoral et ne pourrait plus être remis en question lors du calcul de la part de chacun dans l’héritage, au jour du décès des parents.