Cigarettes, armes, paris, alcool… S’il est peu éthique d’investir dans ces secteurs, il n’en demeure pas moins qu’ils offrent de meilleurs rendements que les placements dans des entreprises traditionnelles. C’est ce que révèle l’indice américain du vice, qui suit les résultats des entreprises fournissant des biens et des services "peu convenables": il se porte souvent mieux que le Standard & Poor’s.
Mais peut-être ne vous retrouvez-vous pas dans ce type de placements et vous considérez-vous plutôt comme un investisseur "responsable", qui, en plus des critères financiers, tient compte des aspects durables ou éthiques de ses investissements. Dans ce cas, vous n’aurez que l’embarras du choix, car les entreprises et fonds d’investissement au label "durable" sont légion. Et il semble parfois bien difficile de séparer le bon grain de l’ivraie. Que cache donc l’étiquette "durable"? N’est-ce pas un bel emballage autour d’un paquet dont vous ne connaissez pas le contenu? Et à qui êtes-vous prêt à faire confiance les yeux fermés?
1. Quel type d’intermédiaire privilégier?
Pour Geert Noels, économiste et fondateur du gestionnaire de patrimoine Econopolis, la réponse est claire: "Si vous proposez des produits durables, l’ensemble de votre gamme doit être durable ou éthique. Sinon, cela tient de la schizophrénie. Si vous voulez être crédible, il n’est pas imaginable de proposer d’une part des produits durables et d’autre part des fonds qui ont en portefeuille des sociétés comme Lockheed Martin, la plus grande entreprise d’armement au monde."
"Une banque qui propose à la fois des produits durables et des fonds ayant en portefeuille des sociétés comme Lockheed Martin, la plus grande société d’armement au monde, n’est pas crédible."
Même si l’économiste reconnaît qu’il est parfois difficile de résister à la tentation. "Tous les analystes savent que les sociétés du secteur de la défense auront à un moment donné, à cause de la rhétorique du président américain Donald Trump, le vent en poupe. Mais ce n’est que si vous jouez à fond la carte des investissements durables que vous pourrez créer un effet de levier et avoir malgré tout un certain impact."
2. Quid du rendement?
Dirk Coeckelbergh, auteur d’ouvrages de référence et de guides pratiques sur les investissements éthiques et durables et qui a accumulé une longue expérience en tant que directeur de plusieurs institutions financières (Bacob, DVV, Centea, Crelan et NewB), partage en partie l’avis de Geert Noels. "Les plus grands distributeurs de produits durables ISR (investissement socialement responsable, NDLR) en Belgique sont les grandes banques qui, à côté d’investissements durables, proposent aussi des produits classiques. Si les investisseurs des grandes banques devaient se retirer du créneau durable, 80% de ces investissements disparaîtraient de notre pays. Ceux qui souhaitent investir durablement devraient plutôt s’adresser à des petits acteurs comme Van Lanschot, VDK ou la banque Triodos." Ou encore Econopolis, qui propose également une gamme complète d’investissements durables.
D’autre part, Dirk Coeckelbergh estime lui aussi que si les grandes banques veulent être vraiment cohérentes, elles devraient rendre l’ensemble de leur gamme durable. Et ce, pour une raison très simple, qu’elles citent en permanence comme argument de vente. "Les grandes banques vendent des fonds durables, moins pour rendre le monde meilleur que parce qu’ils offrent de meilleurs rendements à long terme que les fonds ordinaires et ce, avec moins de risques. Si une banque avance cet argument, elle n’a pas d’autre choix que de rendre toute sa gamme durable. Car pourquoi une banque ou un gestionnaire de fonds proposerait-il encore des fonds ‘ordinaires’? poursuit Dirk Coeckelbergh. Pratiquement toutes les études montrent qu’à long terme, les investissements éthiques offrent un rendement plus élevé ou au minimum équivalent à celui des formules d’investissement classiques. Tout le monde est d’accord sur ce plan."
3. La "liste d’exclusion" est-elle un bon fil conducteur?
Étant donné le rendement intéressant de ce type de placements, il y a de fortes chances pour que votre banquier vous propose un produit durable. Mais que contient-il concrètement? À cette question, votre banquier vous expliquera qu’il refuse délibérément d’investir dans certaines entreprises, secteurs ou pays, et qu’il travaille avec une liste d’exclusion.
Souvent, les gestionnaires se réfèrent à la liste d’exclusions du plus grand fonds de pension au monde, le fonds de pension national norvégien, qui compte plus de 1.000 milliards d’euros d’actifs sous gestion. Les entreprises qui figurent sur sa liste noire ne trouvent pas grâce auprès d’Econopolis notamment. La liste est également utilisée par Portfolio21 de Belfius Insurance, Candriam et Vigeo entre autres.
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"Le fonds souverain norvégien refuse d’investir dans les entreprises qui ne respectent pas les droits de l’Homme, contribuent à la production d’armes nucléaires, fabriquent des cigarettes ou sont très polluantes", explique Maxim Gilis, d’Econopolis.
La réalité est cependant moins radicale, car le fonds souverain norvégien, s’il s’est retiré du charbon, est néanmoins connu comme "fonds pétrolier" et investit encore dans des entreprises polluantes du pétrole et du gaz. Il a néanmoins annoncé récemment vouloir se défaire de ses participations dans des activités pétrolières.
"Le fonds norvégien exclut relativement peu d’entreprises, explique Dirk Coeckelbergh. Mais bien entendu, il a un impact énorme." Les changements dans ce fonds sont suivis de près par les marchés financiers. Et quand le mastodonte décide de se retirer d’une entreprise, les considérations éthiques ne sont jamais très loin. Les Norvégiens ont annoncé qu’ils comptaient auditer les entreprises en portefeuille sur la base du critère de l’évasion fiscale et soutenir les plaintes collectives contre Volkswagen dans l’affaire des logiciels truqués. Cela a aussi fait beaucoup de bruit quand, pour des raisons éthiques, il a vendu un énorme paquet d’actions du géant pétrolier français Total.
4. Qui juge de la durabilité d’une entreprise?
→ L’évaluation de la durabilité d’une entreprise peut être confiée à une équipe interne de la banque ou du gestionnaire de fonds. "De nombreuses sociétés de gestion de fonds ont internalisé les études durant la période 2000-2010, entre autres parce qu’elles avaient trop de personnel. Un des dangers, c’est que les résultats des analyses s’alignent sur les souhaits du gestionnaire, poursuit Dirk Coeckelbergh. Par exemple, il est arrivé qu’un analyste attribue l’étiquette ‘durable’ à un groupe pétrolier sachant que le gestionnaire pour lequel il travaillait avait reçu cette année-là un mandat de gestion de 100 millions de dollars de cette même société. Mais le spécialiste de nuancer aussitôt. L’histoire de la société pétrolière est une exception. Les analyses des équipes internes sont publiées. Et au moindre soupçon de manipulation, les critiques ne tarderont pas. Il n’est pas facile de tricher."
→ Les banques et gestionnaires de fonds qui n’ont pas d’équipes internes (ou dont les équipes sont limitées) font souvent appel à des bureaux d’études externes, comme Vigeo-Eiris (www.vigeo-eiris.com) ou Sustainalytics (www.sustainalytics.com). Avec ses 100 collaborateurs, Sustainalytics passe au crible plus de 8.400 entreprises du monde entier sur la base des critères ESG (Environnement, Société et Gouvernance). Sustainalytics ne publie pas uniquement des rapports qualitatifs. "L’entreprise accorde aussi des scores de durabilité, qui vont de 0 à 100, et compare des entreprises du même secteur sur le plan de la durabilité", explique Maxim Gilis. Vous pouvez par exemple choisir des entreprises qui, dans leur secteur, font partie de ce qu’on appelle les "best in class."
Même si ces ratings ne sont pas la panacée (dans des secteurs qui comptent peu d’entreprises, un seul critère peut faire en sorte qu’une entreprise affiche de bien meilleurs résultats que les autres), ils peuvent malgré tout servir de repère.
5. Qui juge de la durabilité d’un fonds?
→ "Les fonds mis en avant par les gestionnaires belges comme étant durables répondent en règle générale aux critères définis par l’association belge des gestionnaires de patrimoine", explique Dirk Coeckelbergh. Ce sont les fonds ISRD qui, en plus des critères financiers habituels, tiennent structurellement et systématiquement compte de l’environnement, de la société et de la gouvernance lors de l’élaboration de leur portefeuille. Une liste des fonds répondant à ces critères est disponible sur le site de la Beama, l’association belge des gestionnaires d’actifs (http://www.beama.be).
→ Les banques et gestionnaires de patrimoine peuvent faire appel à une société externe pour obtenir la certification "durable" d’un fonds. Cette homologation implique que le fonds respecte les critères définis par le gestionnaire lui-même. Les instances qui sont reconnues en Belgique pour accorder ces certificats sont Ethibel, tous les commissaires réviseurs reconnus et un comité consultatif indépendant.
→ Certains distributeurs vont plus loin en tentant d’obtenir un label pour leurs fonds. "Dans ce cas, les fonds des banques ou gestionnaires de patrimoine doivent répondre aux conditions plus strictes fixées par ceux qui accordent la reconnaissance", poursuit Dirk Coeckelbergh. Par exemple, Argenta Fund Responsible Growth Fund, Candriam Fund Sustainable Index Equities Europe, Banque de Luxembourg BL Equities Horizon, bénéficient toutes trois d’un label Ethibel.
6. Mes investissements peuvent-ils avoir un impact réel?
Si vous avez la possibilité d’investir dans des entreprises qui se comportent de manière responsable en matière de ressources humaines, de société et d’environnement, vous pouvez aussi aller plus loin et opter pour des entreprises qui contribuent positivement à un monde meilleur. "Il s’agit de sociétés qui impliquent leur personnel, leurs clients et leurs actionnaires dans leur objectif sociétal", explique Geert Noels.
Ce qui nous amène aux vrais investisseurs "avec impact": "Des personnes qui souhaitent avoir un impact tangible sur la société ou l’environnement et dont le rendement financier n’est pas la priorité, poursuit le fondateur d’Econopolis. Ces investisseurs peuvent opter par exemple pour des entreprises qui recherchent activement des solutions aux conséquences du vieillissement de la population ou aux problèmes de santé. Ou qui veulent réduire la pollution."
"Ces entreprises ne sont pas nouvelles. Beaucoup penseront peut-être à Tesla. Mais le fondateur de Toyota a plaidé il y a quinze ans déjà en faveur de la conception d’une voiture qui ne consommerait qu’un litre de carburant aux 100 km. Et il ne faut pas oublier Unilever, qui, en tant que géant alimentaire, est la société qui se bat le plus farouchement contre l’obésité et la sous-alimentation. Les investisseurs qui veulent réellement avoir un impact doivent rechercher ce type d’entreprises", conclut Geert Noels.