Depuis quelques années, des spécialistes se réunissent le samedi matin sous la houlette du ministre de la Justice Koen Geens (CD&V). L’objectif de ces réunions, où se rencontrent professeurs, notaires et politiciens, est de remettre les Codes belges au goût du jour. Sur quoi planchent-ils concrètement ?
Un nouveau droit matrimonial
→ Pourrait entrer en vigueur le 1er septembre 2018
Le groupe de travail qui a préparé le nouveau droit successoral a débattu ces derniers mois de la manière d’actualiser les conséquences du mariage en droit matrimonial. Ils partent en cela du constat qu’un mariage qui dure "jusqu’à ce que la mort nous sépare" est aujourd’hui plutôt l’exception que la règle. Rappelons que le régime matrimonial choisi détermine notamment la manière dont le patrimoine sera partagé en cas de divorce. Et le ministre estime que celui qui partage le pire et le meilleur pendant le mariage doit aussi être solidaire dans le partage des biens lorsque la relation vacille.
Le ministre de la Justice, Koen Geens, estime que celui qui partage le pire et le meilleur pendant le mariage doit aussi être solidaire dans le partage des biens lorsque la relation vacille.
À ce stade, "le groupe de travail a transmis ses propositions au ministre. Au monde politique à présent à décider celles qu’il reprendra à son compte et celles qu’il n’avalisera pas", entend-on de personnes proches du dossier. Il s’agit en effet d’un exercice d’équilibre délicat entre solidarité familiale et liberté contractuelle. Reste à voir si le balancier penchera plutôt dans l’une ou l’autre direction. Car l’intention ne peut pas être que les couples ne voient plus l’intérêt de se marier, parce que le cadre est trop strict. Ou, à l’inverse, parce qu’il est trop laxiste.
L’idéal serait que le nouveau droit matrimonial entre en vigueur le 1er septembre 2018, en même temps que le nouveau droit successoral. Car ils sont indissociablement liés, le contrat de mariage déterminant notamment ce qui se trouve dans la succession d’un conjoint. Les observateurs pensent que la date butoir du 1er septembre 2018 est réaliste. En principe, le projet de loi devrait être prêt pour la fin de cette année, si bien que le parlement pourrait en débattre dans la première moitié de 2018 et l’approuver encore avant l’été
Un nouveau cadre pour les cohabitants légaux
→ En phase de négociation
Le groupe de travail, qui continue de se réunir le samedi matin, planche à présent sur les droits et devoirs patrimoniaux des cohabitants légaux. De plus en plus de couples optent de nos jours pour la déclaration de cohabitation légale. Nombreux sont ceux qui pensent qu’elle offre une protection semblable au mariage. En réalité, en cas de rupture ou de décès, la relation est très précaire. "C’est comme un préservatif avec des trous", lance de façon imagée un spécialiste du droit de la famille.
Un nouveau cadre pour les cohabitants de fait
→ Peu probable qu’il voie le jour pendant cette législature
L’idée est de mener une réflexion quant à un cadre du droit patrimonial pour les cohabitants de fait. Vivent en cohabitation de fait les personnes domiciliées à la même adresse. Ni plus ni moins. Ce cadre est totalement inexistant pour l’instant. Mais tout le monde n’est pas favorable à encadrer plus strictement les cohabitants. Il y a d’ailleurs peu de chances que ce dossier se concrétise au cours de la présente législature.
Ce qui est certain, c’est que la manière dont vous cohabitez déterminera aussi à l’avenir ce dont votre partenaire héritera. Quelles sont actuellement les différences et qu’est-ce qui est sur la table?
1. Vous êtes cohabitant de fait
Qui hérite de quoi?
C’est très simple: les cohabitants de fait ne sont pas des héritiers légaux l’un de l’autre. Votre partenaire n’héritera donc de vous que si vous l’avez réglé ainsi, par exemple par testament. Il n’est pas permis à des cohabitants de fait de s’attribuer mutuellement leur succession dans un contrat de vie commune.
Quid en cas de séparation?
Chaque partenaire conserve ses biens. Du point de vue du droit patrimonial, il n’y a aucun patrimoine commun à partager.
Conseil
Pour éviter toute discussion à propos des biens, vous pouvez faire un inventaire de ce qui appartient à chacun et l’intégrer dans un contrat de vie commune. Vous pouvez aussi y prévoir ce qui se passe si la vie commune prend fin. Par exemple, une compensation pour le fait qu’un des deux est resté à la maison pour s’occuper des enfants et a donc mis sa carrière "entre parenthèses". Mais aussi, qui restera dans la maison familiale et comment répartir l’éventuel compte commun? Bien peu de couples en cohabitation de fait établissent aujourd’hui un tel contrat.
2. Vous êtes cohabitant légal
Qui hérite de quoi?
Le partenaire survivant hérite automatiquement de l’usufruit sur l’habitation familiale et sur les meubles qui s’y trouvent. Mais c’est tout. La nue-propriété va à la famille du défunt, par exemple les parents ou les frères et sœurs en l’absence d’enfants. Le partenaire survivant ne pourra donc rien faire avec le bien sans l’accord des héritiers légaux. Cette situation est évidemment loin d’être idéale, même lorsque les relations entre le partenaire et la famille du défunt sont excellentes. Si les partenaires veulent régler la répartition de leurs biens autrement, ils doivent rédiger un testament.
Attention!
Vous n’êtes pas obligé de laisser l’usufruit de l’habitation familiale à votre cohabitant légal. Il est parfaitement possible – même à son insu – de l’attribuer à quelqu’un d’autre par testament. En d’autres termes, le cohabitant survivant n’a pas de certitude absolue de pouvoir rester dans l’habitation familiale après le décès de son partenaire.
Quid en cas de séparation?
Vous devrez passer devant le service de l’état civil de votre commune pour demander de mettre fin à la déclaration de cohabitation légale. Cela peut se faire ensemble, mais ce n’est pas indispensable. Les cohabitants légaux peuvent aussi convenir dans un contrat de vie commune de ce qui se passera si la relation prend fin, tout comme y faire un inventaire des biens qui appartiennent à chacun.
Nouveau
Quel sera le cadre juridique des cohabitants légaux à l’avenir? On n’en sait encore trop rien, les spécialistes se penchant toujours sur la question. Ils examinent entre autres s’il ne serait pas préférable de limiter la cohabitation légale aux couples qui sont dans une relation affective. Il ne serait alors plus possible pour un frère et une sœur par exemple ou un père et sa fille qui partagent la même maison de former un ménage.
3. Vous êtes marié
Qui hérite de quoi?
En vous mariant, vous élevez votre partenaire au rang "d’héritier privilégié". C’est le cas aujourd’hui et ça le restera dans le nouveau droit successoral. Celui-ci ne change rien en effet à ce dont hérite le conjoint, en fonction de vos autres héritiers. Le nouveau droit successoral ne change rien non plus au minimum dont doit hériter le conjoint survivant: soit l’usufruit sur (votre part dans) l’habitation familiale et les meubles qui s’y trouvent, soit l’usufruit sur la moitié des biens qui composent la succession.
Guide Succession
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Ce qui se trouve concrètement dans votre succession dépend du régime matrimonial que vous avez choisi. C’est pourquoi les projets de modification du droit matrimonial pourront impacter votre planification successorale.
Quel régime matrimonial?
Pour le moment, les couples ont le choix entre trois régimes matrimoniaux.
- Le régime de la communauté universelle consiste à mettre dans un pot commun tout ce que vous possédiez avant le mariage et tout ce que vous avez acquis pendant le mariage. Ce régime est toutefois rarement choisi.
- Si vous n’avez pas rédigé de contrat de mariage, la loi vous accorde le régime légal. Dans ce régime, tous les biens que vous possédiez avant le mariage et que vous avez reçus par donation ou testament pendant le mariage restent votre propriété. Mais les revenus de ces biens propres et ce que vous avez gagné pendant le mariage sont communs. Tout ce que vous avez constitué pendant le mariage appartient donc aux deux conjoints. Peu importe qui en est à l’origine.
- Dans le régime de la séparation de biens, il n’y a aucun patrimoine commun, mais uniquement un patrimoine propre à chaque conjoint. Même ce qui a été gagné ou épargné pendant le mariage reste la propriété de celui qui l’a gagné ou épargné. Un quart des couples qui se marient choisissent ce régime. Souvent à dessein: le patrimoine d’un des partenaires est alors protégé des créanciers de l’autre partenaire. Mais si l’un des deux gagne moins que l’autre, par exemple parce qu’il a mis sa carrière entre parenthèses pour s’occuper davantage des enfants ou pour soutenir l’autre professionnellement, il ne pourra pas profiter du patrimoine constitué par l’autre en cas de divorce.
Nouveau | Quid en cas de séparation?
Le ministre de la Justice, Koen Geens (CD&V), estime que des conjoints doivent être solidaires l’un de l’autre aussi bien pendant le mariage qu’après. Un mariage est un partenariat et aucun des deux partenaires ne doit rester les mains vides si le mariage vacille. Celui qui se marie sous le régime de séparation de biens peut déjà contrer cet état de fait en intégrant des clauses au contrat de mariage. Mais rares sont ceux qui savent que cette option existe. En outre, le partenaire le moins fortuné est tributaire du bon vouloir du partenaire plus aisé lorsqu’il s’agit d’insérer ces clauses.
D’où l’idée de créer un nouveau régime matrimonial: la séparation de biens avec imputation des acquêts. Tout les avoirs que les partenaires se sont constitué depuis le jour du mariage, à l’exception des donations et des héritages, sera réparti entre eux de manière égale en cas de divorce ou de décès. Les partenaires qui ne le souhaitent pas devront le déclarer explicitement.
La différence avec le régime légal actuel, c’est qu’il n’y a pas de constitution de patrimoine commun, mais qu’en cas de divorce, un partage s’opère comme si ce pot commun existait. Cela présente l’avantage que les créanciers d’un des partenaires ne peuvent pas demander de saisie sur ce que l’autre partenaire a gagné.
Nouveau
L’intention est aussi de mieux préserver à l’avenir l’équilibre entre les intérêts du conjoint survivant et ceux des enfants. Les époux pourront par exemple apporter des biens propres – c’est-à-dire des biens qu’ils possédaient avant le mariage ou qu’ils ont reçus pendant le mariage – dans le patrimoine commun. En outre, ils pourront s’attribuer la totalité de ce patrimoine par (modification de leur) contrat de mariage.
Évidemment, cela affecte les droits successoraux des enfants. Pour les enfants communs, cette disposition n’entraîne en réalité qu’un report: ils devront attendre le décès du conjoint survivant pour hériter de ces biens. Dans les familles recomposées, par contre, c’est différent, puisque les enfants de la relation antérieure ne sont pas des héritiers légaux du nouveau conjoint.