Le droit successoral belge est un droit du sang: les enfants légitimes et naturels sont des héritiers privilégiés qui peuvent toujours revendiquer une part de l’héritage. "Cette ‘réserve’ est sacrée: il est impossible de déshériter totalement un enfant dans notre pays", insiste Vincent Hovine, planificateur de patrimoine chez Puilaetco Dewaay.
L’importance de cette part réservataire dépend du nombre d’enfants, c’est-à-dire tous les enfants légitimes et naturels du défunt, qu’ils soient nés d’une relation antérieure ou de la relation actuelle. Les beaux-enfants, soit ceux qui sont nés d’une relation antérieure du/de la partenaire du défunt, par contre, n’ont pas de droits successoraux légaux ou réservataires vis-à-vis du défunt.
En quoi consiste cette part réservataire?
- Lorsqu’il y a un enfant, celui-ci reçoit au moins la moitié de la succession.
- Deux enfants reçoivent chacun au moins un tiers de la succession.
- Trois enfants ou plus reçoivent ensemble au moins les trois quarts de la succession.
Vous ne pouvez disposer librement que de la partie restante de votre succession, qu’on appelle la "quotité disponible". Vous pouvez la distribuer comme bon vous semble, en la donnant par exemple à un de vos enfants, mais aussi à un ami ou à une bonne cause, que ce soit par donation ou par legs stipulé dans votre testament.
Attention!
Le législateur ne tient pas seulement compte de votre patrimoine au jour de votre décès, mais aussi des donations que vous avez faites de votre vivant. Les enfants ont droit à une fraction de ce qu’on appelle la masse fictive. Toutes les donations que vous avez faites – que des droits de donation aient été payés ou non – sont fictivement ajoutées à ce que vous possédez (et à vos dettes) au moment du décès.
Si vous avez donné plus que la quotité disponible, un enfant lésé peut exiger sa part. "La donation sera alors (en partie) résiliée et le bénéficiaire devra rapporter ce qu’il a reçu en trop, explique Bart Verdickt, avocat chez Cazimir. Cette réduction ne se fait pas automatiquement. L’enfant lésé décide lui-même s’il demande cette réduction ou pas".
1. Comment aider les enfants lors de l’achat d’une maison?
Le mieux pour celui qui veut traiter ses enfants sur un pied d’égalité est de donner la même chose au même moment à tous les enfants.
Même si vous savez que vos enfants recevront de toute façon une part de votre succession, vous avez peut-être envie de leur donner un coup de pouce plus tôt. L’augmentation de l’espérance de vie retarde la survenance des héritages, au point qu’ils arrivent parfois à un moment où les enfants n’en ont plus vraiment besoin. Et ce, alors qu’ils ont parfois dû ramer quand, plus jeunes, ils ont acheté ou construit leur logement. Peut-être aussi souhaitez-vous planifier votre succession, pour échapper aux taux les plus élevés des droits de succession (voir tableau p.33). "Généralement, les parents veulent traiter leurs enfants de la même façon, mais ce n’est pas toujours évident, reconnaît Carol Bohyn, notaire. Le mieux, pour celui qui veut traiter ses enfants sur un pied d’égalité, est de donner la même chose au même moment à tous les enfants. Mais il n’en est pas souvent ainsi dans la pratique. Parce que tous les enfants n’achètent pas leur maison en même temps, par exemple", reconnaît Vincent Hovine. Cela ne pose pas de problème quand on donne de l’argent.
- Problème: donner de l’argent à l’un, un immeuble à l’autre
Ce qui est plus problématique, c’est lorsqu’un des enfants reçoit de l’argent et un autre un bien immobilier. Même si les deux donations ont la même valeur au moment où elles sont faites, cela peut engendrer des problèmes par la suite, en raison de la valorisation des biens au moment où le donateur décède. En effet, l’immeuble est évalué selon sa valeur au jour du décès et non pas au jour de la donation. Or la valeur d’un immeuble peut avoir fortement augmenté, a fortiori si la donation remonte à pas mal d’années. Contrairement à l’immobilier, l’argent est évalué à sa valeur au moment de la donation.
- Solution: la technique de l’acte double
"Pour résoudre ce problème, le mieux est de fonctionner avec la technique de l’acte double", indique Vincent Hovine. Prenons l’exemple d’une famille avec deux enfants. Les parents donnent aux deux enfants la totalité de l’argent et de l’immeuble. Ils sont de ce fait en indivision. Dans un deuxième temps, l’enfant à qui l’immeuble était destiné rachète à son frère/sa sœur sa part dans la copropriété et devient ainsi plein propriétaire de l’immeuble.
2. Vous êtes en froid avec un enfant?
Des conflits avec les enfants, cela arrive. Par exemple un enfant avec qui vous avez perdu tout contact. En droit belge, il est impossible de déshériter totalement un enfant. Faire un testament dans lequel vous léguez la totalité de votre patrimoine à un de vos deux enfants n’a aucun sens. Vous devez en effet toujours tenir compte de la part réservataire de l’autre. "Les disputes sont souvent un frein à une véritable planification successorale. Généralement, on fait alors une planification horizontale, en favorisant au maximum le partenaire", indique Vincent Hovine.
3. Comment donner un coup de pouce à ses enfants ou ses beaux-enfants?
Il n’est déjà pas évident de traiter sur un même pied des enfants légitimes, naturels ou adoptés. Que dire alors des enfants des beaux-enfants dans les familles recomposées! "C’est la conséquence de la réserve pour les enfants légitimes/naturels. Ne peut aller aux beaux-enfants que la quotité disponible, que ce soit par testament ou par donation", prévient Bart Verdickt.
- On peut traiter de la même façon un enfant naturel/légitime et un bel-enfant, s’il n’y a pas d’autres enfants. Comme le premier a d’office droit à la moitié du patrimoine, il suffit de donner l’autre moitié (la quotité disponible) à l’autre.
- Mais dans les familles où il y aurait par exemple un enfant naturel/légitime et deux beaux-enfants, c’est impossible, puisque le premier s’accapare déjà la moitié de la succession à lui seul. Il ne reste alors que l’autre moitié à partager entre les deux beaux-enfants.
Les beaux-enfants paient-ils le même tarif qu’un enfant naturel/légitime?
Les enfants légitimes/naturels paient les taux les plus faibles, qu’il s’agisse des droits de succession ou des droits de donation. C’est ce qu’on appelle la ligne directe. Dans les familles recomposées, le nombre d’enfants peut toutefois s’étoffer. Les enfants que le partenaire actuel a eus d’une relation antérieure n’ont pas de lien de sang avec le partenaire de la nouvelle relation, le beau-parent. Quelles règles s’appliquent si ces derniers font une donation ou un legs à ces enfants?
Les beaux-enfants paient le même taux que les enfants naturels/légitimes à condition que leur parent soit marié ou en cohabitation légale avec le beau-parent. En cas de cohabitation de fait, il faut qu’elle soit ininterrompue depuis au moins un an et qu’au cours de cette période ils formaient un ménage commun.
Les enfants accueillis bénéficient eux aussi des taux réduits. Un enfant accueilli doit avoir vécu au moins trois ans avant son 21e anniversaire chez le parent qui l’a accueilli et avoir reçu pendant cette période l’aide et les soins que les enfants reçoivent normalement de leurs parents.
"Une possibilité consiste à adopter les beaux-enfants, pour pouvoir tous les mettre sur un pied d’égalité, avance Vincent Hovine. Mais cela a un lourd impact émotionnel. Les motifs juridiques et fiscaux ne peuvent pas être le seul moteur." D’autant qu’une éventuelle séparation par la suite ne viendrait pas annuler cette adoption. En outre, une adoption ne fonctionne en pratique que pour des enfants majeurs, car pour les mineurs, l’autorisation de l’autre parent naturel est nécessaire…
4. Comment lier des conditions à une donation?
"Une donation à des enfants est quasi toujours une avance sur l’héritage", dit Vincent Hovine. Lors du partage de la succession plus tard, la donation déjà reçue est imputée sur la part de cet enfant. Même si un seul enfant a reçu une donation, en fin du compte, tous recevront la même chose. Mais on peut aussi faire une donation "hors part", avec l’objectif inverse: le parent veut alors favoriser cet enfant, en dehors de sa part normale dans la succession.
"Une donation aux enfants est irrévocable, rappelle Bart Verdickt. C’est pour cela qu’il est important d’examiner les modalités de la donation." Quelles sont les clauses les plus fréquentes associées à une donation?
L’interdiction d’apporter une donation dans une communauté matrimoniale
Une préoccupation fréquente vient des conséquences d’une éventuelle rupture de la relation de l’enfant avec son/sa partenaire. L’ex-partenaire pourrait-il/elle s’envoler avec mon argent? Une partie de la réponse se trouve dans la manière dont votre enfant a juridiquement construit sa relation. Est-il marié avec ou sans contrat de mariage? S’il est marié sous le régime légal, toute donation qui lui est faite est un bien propre, qui ne doit donc pas être partagé en cas de séparation. C’est également le cas dans la séparation de biens ou si votre enfant est en cohabitation.
"Le danger vient de ce que votre enfant fait par la suite de ce qu’il a reçu, signale Bart Verdickt. Ainsi, un enfant peut décider d’apporter le bien reçu dans la communauté matrimoniale. Ou il peut décider de changer de régime matrimonial, en passant de la séparation de biens au régime légal et en apportant les biens reçus dans la communauté matrimoniale. Vous pouvez éviter ce risque en insérant dans l’acte de donation une interdiction formelle d’apport ultérieur dans la communauté matrimoniale."
Les parents veulent conserver des revenus
Donner quelque chose tout en continuant à en percevoir les revenus? "C’est possible en liant à la donation la charge de payer une rente, qu’il s’agisse d’un montant fixe ou d’un pourcentage", explique Bart Verdickt.
Un filet contre l’adversité
- Que se passe-t-il si un enfant vient à décéder avant le parent qui a fait la donation? On peut prévoir une clause de retour dans l’acte de donation. "Un sujet brûlant actuellement dans les donations immobilières est la clause de retour optionnel au cas où l’enfant décède avant le parent donateur.
- "Une autre possibilité est la donation résiduelle", poursuit le notaire. En quoi cela consiste-t-il? Lorsqu’on fait une donation à un enfant, il a la totale liberté de disposer des biens donnés. Dans l’acte de donation, on peut cependant stipuler à qui reviendra la partie qui reste de cette donation au moment du décès de l’enfant donataire. Cela peut être les parents eux-mêmes ou encore les frères et sœurs. "Le fisc considérera qu’il s’agit d’une donation directe des parents aux donataires ultérieurs, par exemple les frères et sœurs, précise Carol Bohyn. Cette façon de procéder est souvent utilisée pour des enfants sans descendance."
Circonstances résolutoires
Vous pouvez prévoir une clause selon laquelle la donation est résolue (révoquée) si le donataire rencontre certains problèmes, par exemple en cas de dépendance à la drogue.
L’achat scindé
"Des parents peuvent aussi impliquer leurs enfants dans l’achat d’une seconde résidence ou d’un immeuble de rapport par exemple", explique Carol Bohyn. Par la technique de l’achat scindé, les parents achètent l’usufruit et les enfants la nue-propriété. Au préalable, les parents donnent aux enfants l’argent pour acheter la nue-propriété. Sur la donation des fonds, il y a 3% (3,3% en Wallonie) de droits de donation à payer. "La valeur de la nue-propriété dépend de l’âge et du sexe du donateur et varie grosso modo entre 50% et 80%, ce qui permet à cet achat scindé de procurer une économie en comparaison avec le scénario où les parents achètent le bien immobilier et le laissent dans leur succession."
Un cadeau n’est pas une donation
Vous donnez une enveloppe à un enfant pour un bon bulletin, son anniversaire ou au Nouvel An? Nombre de parents et grands-parents mettent de l’argent de côté pour leurs (petits-) enfants à l’une ou l’autre occasion. Or, toutes les enveloppes ne sont pas remplies de la même façon… Jusqu’à quel montant parle-t-on d’un simple cadeau et à partir de quand s’agit-il d’une donation?
«Aussi longtemps que le montant reste limité, l’enveloppe sera considérée comme un cadeau de circonstance ou d’usage courant», explique Bart Verdickt, avocat chez Cazimir. «Il n’y a pas vraiment de règle légale, mais en pratique un cadeau qui représente jusqu’à 1% de votre patrimoine mobilier et immobilier est admis comme cadeau de circonstance.» Ne pas considérer une enveloppe comme une donation a le grand avantage qu’elle reste hors de portée du fisc. Aucun droit de donation n’est dû. En outre, l’enveloppe reste hors champ lors du décès du «donateur»: même en cas de décès dans les trois ans, il ne faudra pas payer de droits de succession.
Un autre avantage est que le cadeau de circonstance est définitif. Il n’en sera pas tenu compte lors de la liquidation d’une succession. «Cela signifie que vous pouvez sans problème mettre plus dans l’enveloppe de l’un que dans celle d’un autre», observe Bart Verdickt.