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Quand on emprunte pour pouvoir emprunter

Accéder à la propriété sans apport de départ conséquent est quasi impossible pour la plupart des emprunteurs. Certains ménages recourent à des stratagèmes parfois risqués.
©ANP XTRA

A l’exception de Belfius, qui accorde "exceptionnellement" des emprunts hypothécaires à quotité supérieure à 100% en fonction de la solidité financière du demandeur et de la valeur des biens mis en garantie, plus aucune banque ne veut prêter un montant supérieur à la valeur de l’habitation. Or, on évalue les frais d’acquisition à environ 15% du prix d’achat (droits d’enregistrement et frais de notaire).

→ Un appartement coûte en moyenne 215.000 euros en Belgique, selon les chiffres des notaires. À l’exception de l’achat de son habitation propre et unique en Région bruxelloise, où il existe désormais un abattement fiscal important sur les droits d’enregistrement, il faudrait donc environ 30.000 euros d’apport de départ pour pouvoir acquérir un appartement "moyen" en Belgique.

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Il s’agit d’un frein important pour les ménages qui n’ont pas eu l’occasion de constituer une épargne suffisante ou qui ne peuvent pas compter sur le soutien financier de la famille. De fait, depuis le 1er avril 2017, il n’est plus possible de contracter un prêt personnel à but immobilier pour financer les frais inhérents à une acquisition.

Prêt personnel

Selon le notaire Renaud Grégoire, de plus en plus de ménages feraient dès lors appel à des crédits à la consommation "classiques" pour financer les droits d’enregistrement et les frais de notaire. "C’est un fait. Il est toutefois difficile de l’objectiver, étant donné que ces emprunteurs contractent des prêts personnels tous motifs", explique-t-il. En effet, la plupart des institutions de crédit proposent des prêts personnels "tous motifs", ce qui signifie que l’emprunteur ne doit pas expliquer à quoi il destine les fonds libérés.

©Vincent Dubois

L’année dernière, l’Union professionnelle du crédit a recensé 186.000 crédits de ce type, soit une augmentation de 20% depuis 2013. Impossible de savoir combien de crédits destinés au financement des frais de notaire s’y cachent.

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Patrick Segers, courtier de crédit chez Segers & Associés, confirme cependant que certains de ses confrères n’hésitent pas à proposer cette solution aux emprunteurs qui n’ont pas d’apport de départ, "le problème étant que les taux des crédits à la consommation sont très élevés, les échéances de remboursement sont courtes, le montant du remboursement mensuel peut donc être élevé". En effet, le taux des crédits à la consommation "tous motifs" démarre à un taux de 6% environ, ce qui représente un remboursement mensuel de 435 euros sur 7 ans pour un emprunt de 30.000 euros. "Si le couple qui a acheté ne peut plus rembourser ou se sépare, la situation peut devenir catastrophique. En effet, en cas de revente du bien à brefs délais, les parties seront dans l’incapacité de rembourser le crédit hypothécaire et le crédit à la consommation", prévient Renaud Grégoire.

La Banque nationale de Belgique (BNB), qui suit de près la santé du marché hypothécaire et notamment les risques constitués par les quotités d’emprunt élevées, indique ne pas enregistrer les buts des prêts personnels et ne peut donc pas analyser cette problématique.

Stratagème

Selon Stéphane Blondeau, courtier de crédit chez VDV Conseil, faire un prêt personnel "tous motifs" pour payer les frais de notaire ne servirait cependant à rien, "car les prêteurs demandent l’origine des fonds propres et se méfient des prêts souscrits récemment". Certaines banques refusent d’ailleurs d’accorder des prêts hypothécaires si le demandeur a contracté un prêt personnel dans les trois mois qui précèdent la demande.

Chez KBC, "pour la partie des ressources propres que le client utilise dans le financement, nous demandons une preuve documentaire (états de compte, etc.). De cette façon, nous essayons de limiter le risque que le client finance ses propres fonds par un prêt à tempérament", explique Pieter Kussé, porte-parole de KBC.

Mais des stratagèmes existeraient toutefois. "L’emprunteur peut contracter le crédit à la consommation et le crédit hypothécaire le même jour pour éviter que son crédit ne soit répertorié à la centrale des crédits au moment de la demande de crédit hypothécaire", poursuit Renaud Grégoire. KBC confirme que cette situation peut en effet se produire: "en tant que banque, nous devons déclarer chaque nouveau prêt à la centrale des crédits dans les deux jours. Pendant cette période, deux crédits peuvent être demandés en même temps", explique Pieter Kussé, qui précise qu’il s’agit d’un risque théorique, presque jamais rencontré dans la pratique.

Recordbank

La seule banque qui propose officiellement, en tout cas dans les réseaux de courtage, une solution pour prêter la totalité des droits d’enregistrement et des frais de notaires est Recordbank. "Dans ce cas, la banque accorde un crédit hypothécaire de 100% ainsi qu’un prêt hypothécaire sans affectation de maximum 40.000 euros, avec un maximum de 15% du prix d’achat. Le taux est de 5,10% sur une durée de 10 ans, ou de 5 ans si le montant emprunté est inférieur à 15.000 euros", explique Stéphane Blondeau. Il ne s’agit pas d’un prêt à la consommation, mais d’un crédit hypothécaire sans affectation. Il se murmure que bpost banque s’apprête à lancer un produit équivalent, mais la banque n’a pas voulu confirmer, même si "un crédit pour financer les droits d’enregistrement et les frais de notaire pourrait faire partie du lancement de nouveaux produits. Rien n’est encore décidé."

Le nombre de ventes publiques réalisées à la demande des banques ne dépasse guère les 1.000 par an.
Le nombre de ventes publiques réalisées à la demande des banques ne dépasse guère les 1.000 par an. ©Emy Elleboog

Dans le cas d’un investissement immobilier, il existe cependant une autre alternative pour financer les frais d’acquisition. "L’emprunteur contracte un crédit hypothécaire de 100% et de 15% supplémentaires pour financer les frais, le tout dans un seul contrat de crédit, mais avec une hypothèque complémentaire sur un autre bien. Dans ce cas, deux biens sont donc donnés en hypothèque", explique Patrick Segers. Typiquement, un emprunteur qui a remboursé une bonne partie de son habitation principale peut utiliser la différence entre la valeur de l’habitation et le solde restant dû comme garantie pour son nouvel emprunt.

Peu de ventes forcées

D’après les chiffres de la Centrale des crédits aux particuliers (CCP), l’arriéré moyen des crédits hypothécaires se monte à 52.000 euros. Mais cela ne signifie pas pour autant que ces emprunteurs affichent 52 mois de retard (de par exemple 1.000 euros). Cette somme comprend le montant total exigible après dénonciation du crédit par la banque. Il s’agit donc de la somme de l’arriéré et du solde restant dû.

"Les arriérés de crédits hypothécaires sont d’ailleurs plus rapidement remboursés que les arriérés de crédits à la consommation. Plus de 60% des emprunteurs réussissent à rembourser dans les douze mois", explique Peter Neefs, chef de service à la CCP. En effet, les ménages font le maximum pour éviter une vente forcée qui les priverait de leur logement.

Il n’existe pas de chiffres précis sur le nombre de ventes forcées demandées par les banques. Mais d’après Ivo Van Bulck, le patron de l’Union professionnelle du crédit (UPC), le nombre de ventes publiques réalisées à la demande des banques ne dépasse guère 1.000 par an. "Pour les banques, la vente publique constitue le dernier recours. En effet, ces ventes rapportent en général 25% de moins qu’une vente de gré à gré. De plus, il faut attendre entre huit et neuf mois avant que la vente publique puisse être organisée. La banque doit d’abord examiner la possibilité de conclure un accord à l’amiable", explique Ivo Van Bulck. Il arrive d’ailleurs régulièrement que les ménages décident eux-mêmes de vendre leur maison, sans attendre l’injonction de la banque, lorsque l’arriéré devient trop important.

À l’inverse, peu de ménages remboursent leur emprunt hypothécaire anticipativement. "L’an dernier, on a dénombré plus ou moins 200.000 remboursements anticipés sur un total de 2.970.000 crédits (fin 2016). Seuls 100.000 ont été réellement remboursés plus tôt que prévu. Le solde portait sur des refinancements, c’est-à-dire des ménages qui remboursent leur emprunt parce qu’ils en ont souscrit un nouveau à des conditions plus avantageuses", conclut Peter Neefs.

Davantage de réserves pour les crédits forcés

L’an dernier, Johan Thijs, le patron du bancassureur KBC, avait déjà plaidé en faveur de la mise en place de certains mécanismes de protection afin d’éviter le surendettement. Il proposait notamment de limiter le montant emprunté à 80% du prix d’achat du bien.

Cette proposition est restée lettre morte. Le monde politique – en particulier le PS – s’y est opposé afin de maintenir un accès facile au crédit pour garantir à tous le droit au logement.

Les banques seront cependant obligées de constituer des réserves de capitaux plus importantes en fonction du niveau de risque de leur portefeuille de crédits. Cette mesure devrait entrer en vigueur début avril, moyennant l’approbation de la Commission européenne.

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