Pour de nombreux entrepreneurs, leur société familiale représente la majeure partie de leur patrimoine. Sa transmission à la génération suivante peut engendrer de nombreux litiges, à l’instar de la faillite du constructeur d’autobus Van Hool.
Mais pourquoi cette transmission est-elle si souvent source de conflits?
"La question de la succession est souvent mise sur la table de manière inopinée ou à la suite d’une pression familiale. Généralement, je reçois beaucoup d’appels pendant la période du Nouvel An parce que la succession a été évoquée autour d’un repas de fête", explique Jozef Lievens, avocat chez Roots Lawyers et inspirateur de l’Instituut voor het Familiebedrijf (IFB).
"Mais l’analyse ne doit pas se limiter à la seule transmission du patrimoine ou à la fiscalité. Une approche holistique est nécessaire. Le transfert de propriété n’aboutit qu’à l’issue d’un processus complexe qui dure entre cinq et dix ans (voir encadré)." Tour des questions à se poser.
1/La succession familiale est-elle possible?
De nombreuses familles d’entrepreneurs rêvent que leurs enfants suivent leurs traces et poursuivent le développement de l’entreprise. L’un des principes clés d’une succession familiale est de maintenir à la fois la propriété et la gestion de l’entreprise au sein de la famille.
"Mais d’autres solutions sont à envisager. N’est-il pas préférable d’opter uniquement pour un contrôle familial, donc que la famille reste propriétaire de l’entreprise, mais qu’un tiers en prenne la direction? Par ailleurs, s’il n’y a pas de successeur en capacité de gérer l’entreprise ou si la mésentente règne entre les enfants, la vente peut être, elle aussi, une meilleure option", explique Jozef Lievens.
"La vente du patrimoine peut être une option dans le cas où aucun successeur compétent ne serait disponible ou en cas de conflits entre les enfants."
"Dans la pratique, environ 60% des entreprises optent pour une succession ou un contrôle familial et 40% pour une vente. Ce rapport a évolué ces dernières années. Il y a une dizaine d’années, 70% des entreprises choisissaient encore la succession ou le contrôle familial."
La succession familiale n’est évidemment possible que si un fils ou une fille est disposé(e) à entrer dans l’entreprise familiale, s’il ou elle a l’ambition nécessaire et une attitude qui correspond à la culture et aux valeurs de l’entreprise et de la famille.
"Le successeur doit également posséder les compétences requises. Dans 70 à 80% des transmissions, nous organisons une évaluation professionnelle pour le successeur afin de vérifier s’il possède les qualités requises. S’il est tout à fait apte, il gagnera encore en crédibilité auprès de son entourage. Cependant, il peut s’avérer nécessaire de renforcer certaines compétences, par exemple, à travers une formation complémentaire", explique Jozef Lievens.
"En outre, si plusieurs enfants veulent être actifs dans l’entreprise, leurs rôles respectifs doivent être bien cernés. Et l’éventuel processus nécessaire à cet effet doit être objectivé", fait remarquer Bart Verdickt, avocat chez June.
"S’il y a des enfants qui ne sont pas actifs dans l’entreprise, leur rôle doit également être clairement défini. Qu’attend-on d’eux s’ils ne sont que des actionnaires?"
2/Devez-vous donner ou vendre votre entreprise?
Si un ou plusieurs enfants souhaitent prendre le contrôle de l’entreprise familiale, dans ce cas, les parents peuvent soit donner, soit vendre l’entreprise à leur progéniture. "Nous constatons que les entreprises familiales sont plus souvent vendues que données. Mais il est possible de combiner les deux", précise Jozef Lievens.
"Nous constatons que les entreprises familiales sont plus souvent vendues que données. Mais il est possible de combiner les deux."
Pourquoi la vente est-elle le choix le plus fréquent? "Certains parents estiment que leur enfant ne doit pas recevoir la société familiale comme un cadeau ou un dû, ce qui serait de nature, selon eux, à en faire des chefs d’entreprise laxistes", répond Jozef Lievens.
"D’autres parents n’ont pas mis assez d’argent de côté et ont besoin du produit de la cession pour passer de vieux jours sans soucis."
La situation familiale entre également en ligne de compte, surtout si tous les enfants ne se lancent pas dans l’entreprise. "Si vous effectuez une donation avec des parts égales à chaque enfant, c’est assez facile. Mais peu de gens ont cette possibilité. Plus l’entreprise se porte bien, plus elle constitue le gros des actifs à léguer, ce qui complique le partage", explique Joze Lievens.
"Avec une vente, il est évidemment aisé de donner l’argent obtenu en parts égales aux enfants."
3/Combien votre entreprise vaut-elle?
Vendre, mais à quel prix? "Il faut procéder à une évaluation indépendante de l’entreprise, de manière à éviter toute discussion ultérieure entre les enfants", conseille Bart Verdickt.
Le successeur familial s’attend généralement à ce que l’on ne lui fasse pas payer un prix correspondant à la valeur de marché de l’entreprise. "Les parents sont prêts à accorder à leurs enfants un rabais de 30 à 50%, pour éviter aux enfants d’être trop dépendants de crédits bancaires", explique Jozef Lievens.
"Mais les parents veulent aussi généralement préserver l’égalité entre les enfants. Un pacte successoral global ou ponctuel permet de stipuler les modalités. Par exemple, le pacte peut fixer la valeur de la donation et convenir qu’un enfant reçoit l’entreprise et un autre une compensation."
"Examinez les possibilités de financement de la reprise de la société. Par exemple, l’enfant peut-il racheter l’entreprise avec sa propre société holding, qui empruntera à la banque à cet effet?", explique Bart Verdickt.
4/À quoi penser lors d’une donation?
Une entreprise ou une société familiale peut être donnée sans passer par la case impôts. Dans les trois Régions, l’opération bénéficie d’une exonération des droits de donation.
"Mais veillez à demander à l’administration fiscale de vérifier à l’avance si cette exonération est d’application", recommande Bart Verdickt. Dans ce cas, la donation revient moins chère que transmettre l’entreprise familiale via un héritage (voir plus loin).
S’il y a plusieurs enfants et que l’entreprise familiale est donnée à l’un d’entre eux, la donation peut être faite sous forme d’avance sur la part d’héritage.
Cela montre ainsi clairement que le donateur ne souhaite pas favoriser cet enfant en particulier, parce que l’entreprise familiale donnée sera déduite de la part d’héritage. Cette déduction prend en compte la valeur du bien au moment de la donation, qui est ensuite indexée selon l’indice des prix à la consommation jusqu’au décès du donateur.
5/Peut-on assortir la donation de conditions?
"En votre qualité de père ou mère, vous pouvez assortir la donation de conditions, de charges et d’autres modalités. Ces conditions peuvent être destinées à protéger le patrimoine d’une part et le donateur d’autre part", explique Bart Verdickt.
Protection du patrimoine
"Des clauses spécifiques dans l’acte de donation permettent de protéger le patrimoine des conséquences d’un éventuel divorce des enfants ou de situations imprévues dans lesquelles il est souhaitable que l’enfant n’en soit plus propriétaire, par exemple en cas de toxicomanie ou d’alcoolisme", explique Bart Verdickt.
"Il est également possible de protéger le patrimoine contre de futurs créanciers des enfants."
> Modalités possibles:
1. Une clause d’exclusion, imposant au donataire la charge de maintenir le patrimoine dans ses "biens propres" à tout moment. Il ne peut donc pas être intégré dans la communauté de biens matrimoniale.
2. Une condition résolutoire (dissolution) de la donation, en cas de prédécès de l’enfant, de toxicomanie, d’alcoolisme, de faillite et d’insolvabilité, entre autres. "Il est important de fixer précisément ces conditions résolutoires. En cas de prédécès d’un enfant, c’est facile, mais quand peut-on parler d’addiction?" explique Bart Verdickt.
"Si le donateur pouvait en décider, il aurait ainsi le droit de dissoudre la donation de sa propre initiative. Mais cela n’est pas autorisé, car une donation doit être irrévocable. Si le donataire reconnaît qu’il souffre d’une addiction, la décision de dissolution n’est pas unilatérale. Si le donataire n’est pas d’accord, il doit y avoir une procédure permettant à un tiers d’établir l’existence d’une addiction."
"Une succession est un bon moment pour (ré)examiner la structure de l’entreprise."
Protection du donateur
"Ces clauses garantissent le nécessaire maintien du contrôle ou assurent un certain flux de revenus aux parents", explique Bart Verdickt.
> Modalités possibles:
- 1. Une réserve d’usufruit, donnant à l’usufruitier le droit de voter à l’assemblée générale et de percevoir des dividendes. "Le droit de vote permet à l’usufruitier de décider de distribuer un dividende et de se l’attribuer. L’intervention du nu-propriétaire n’est pas nécessaire", précise Bart Verdickt. À l’extinction de l’usufruit, par exemple en cas de décès, de renonciation à l’usufruit ou au terme de la durée convenue, le nu-propriétaire reçoit la pleine propriété.
- 2. Une charge de payer un montant mensuel ou annuel. Le donateur s’assure ainsi un revenu. "Mais il est souvent nécessaire de préciser dans les clauses comment le donateur peut disposer de ces fonds. En général, les gens ne veulent pas dépendre des enfants", explique Bart Verdickt.
6/Quelle structure juridique donner à l’entreprise familiale?
"Une succession est un bon moment pour (ré)examiner la structure de l’entreprise", fait remarquer Bart Verdickt. Par exemple, il peut être souhaitable d’accorder aux parents une "golden share".
Cette action préférentielle permet au donateur, par exemple, de bénéficier de plus de bénéfices ou d’un droit de veto sur certaines décisions, de sorte que le donateur, avec un nombre limité d’actions, conserve une part importante des bénéfices et du contrôle. Une société de droit commun (SDC) ou une fondation de type néerlandais "Stichting-Administratiekantoor" peuvent également constituer une solution."
La forme juridique de SDC est la structure la plus simple pour une société. Elle est placée au-dessus de l’entreprise familiale par les parents. Qui donnent ensuite les parts de la SDC et donc également, indirectement, les parts de l’entreprise familiale. Les parents peuvent se réserver certains pouvoirs dans les statuts de la SDC, comme le pouvoir de gestion.
Une Stichting-Administratiekantoor néerlandaise (STAK) est un véhicule de contrôle qui sépare le droit aux dividendes et les droits de vote des actions. Les actions sont transférées à la fondation, qui émet des certificats en échange.
Cette certification permet ainsi de transférer facilement la propriété économique de l’entreprise familiale, mais de conserver, dans le chef du cédant, son contrôle juridique. Les parents restent des décideurs de l’entreprise familiale en tant qu’administrateurs de la STAK, puisque cette dernière en est le propriétaire légal.
7/Quid en cas de malheur avant le terme du processus de succession?
"L’organisation d’une succession est un long processus. Durant cette période, prévoyez un plan d’urgence en cas de décès du propriétaire de l’entreprise. "Sans cela, la transmission de l’entreprise familiale peut être une tragédie pour deux raisons", avertit Jozef Lievens.
"Les droits de succession sont des coûts à charge des personnes privées. Il est possible donc qu’il soit nécessaire de retirer des fonds de l’entreprise pour les transférer dans le patrimoine privé des personnes qui doivent payer les droits de succession.
"Il est irresponsable, d’un point de vue entrepreneurial, de ne pas savoir clairement qui dirigera l’entreprise. En outre, il faut vérifier chaque année si la société remplit les conditions requises pour bénéficier du taux favorable des droits de succession."
En Flandre et en Région bruxelloise, le taux de ces droits pour les entreprises et sociétés familiales dépend du lien de parenté: les enfants, les petits-enfants et les partenaires paient 3% et les autres 7%. En Wallonie, l’exoneration se fait sous conditions.
"Les droits de succession sont des coûts à charge des personnes privées. Il est possible donc qu’il soit nécessaire de retirer des fonds de l’entreprise pour les transférer dans le patrimoine privé des personnes qui doivent payer les droits de succession. En général, cette distribution de fonds par la société est soumise au précompte mobilier de 30%, mais il existe parfois des voies moins onéreuses", explique Bart Verdickt.
Supplément de L'Echo | Disponible le 14 septembre
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