Cette semaine, le rachat de Lampiris par le groupe français Total a fait couler beaucoup d’encre. La réputation de fournisseur d’énergie verte — argument qui a contribué au succès de la PME liégeoise -, a en effet pris un sérieux coup suite à ce rapprochement avec le géant pétrolier. De nombreux consommateurs ont exprimé leurs doutes et leur colère sur les réseaux sociaux. Certains ont même appelé au boycott de ce fournisseur et cherchent depuis lors une alternative verte crédible.
Dans un tweet, le député fédéral Ecolo, Jean-Marc Nollet, a répondu à leur demande en les invitant à visiter la page du site de Greenpeace qui propose un classement des fournisseurs d’électricité verte. Attention, celui-ci se base sur des données collectées à la fin de l’année 2013. "Depuis lors, de nouveaux fournisseurs sont apparus et certains chiffres peuvent ne plus refléter la réalité actuelle du marché", selon l’organisation de défense de l’environnement. Notez qu’une mise à jour est prévue pour septembre 2016.
Le passage de Lampiris sous la coupole de Total est en tout cas l’occasion de remettre certaines choses à plat et de décortiquer l’appellation "énergie verte".
1 Jusqu’ici, Lampiris méritait-elle sa réputation de fournisseur d’énergie 100% verte?
Pas vraiment! Pour revenir au classement de Greenpeace, la PME liégeoise n’arrivait qu’en troisième position avec un score de 13/20, derrière Eneco (16/20), mais surtout derrière 3 sociétés coopératives qui se partagent la première place du podium avec un score parfait de 20/20. Le score attribué par Greepeace reflète en fait la production des fournisseurs et leur choix pour l’avenir en matière d’investissements. Plus l’entreprise ou la coopérative produit de l’énergie renouvelable ou y investit des ressources, plus le score est élevé.
Le critère 100% vert, tout le monde peut l’avoir, il suffit d’acheter des LBO en quantité suffisante." Michaël Corhay, Administrateur-délégué de Mega
Or, Lampiris a une capacité de production propre limitée: il s’agit d’une éolienne à Couvin et de l’exploitation de la centrale hydroélectrique du barrage de la Plate Taille dont la capacité totale est de 140 mégawatts (MW), soit l’équivalent d’une soixantaine d’éoliennes.
À côté de cela, Lampiris a une politique d’achat positive de son énergie auprès de petits producteurs locaux et verts. Ces achats ne sont cependant pas suffisants pour couvrir l’ensemble de la demande en électricité de ses quelque 800.000 clients. Par conséquent, la PME doit — comme la plupart des fournisseurs d’électricité en Belgique — acheter le reste de son énergie (soit environ 60%) sur les marchés. Et cette énergie-là peut être d’origine nucléaire ou fossile…
2 Que signifie "pool market"?
Pour bien comprendre, il faut imaginer le marché de l’électricité comme une piscine. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’on utilise le terme de "pool market" pour en parler, justifie Damien Ernst, professeur à l’ULg, spécialisé dans les systèmes électriques.
Concrètement, cette piscine est alimentée par différentes sources d’eau. De l’eau "verte", de l’eau "nucléaire", de l’eau "fossile", etc. Quand un fournisseur veut puiser dans l’eau de cette piscine pour la redistribuer à ses clients, il s’agit donc d’un mélange de toutes ces eaux. "La molécule d’électricité n’est donc jamais traçable", explique Damien Ernst. Autrement dit, même si un consommateur a opté pour un contrat de fourniture d’électricité 100% verte, au moment où il allume son interrupteur, il lui est impossible de connaître l’origine de l’électricité qui lui permet d’obtenir de la lumière. Elle peut tout aussi bien être d’origine nucléaire que d’origine éolienne par exemple.
3 En quoi le contrat proposé par Lampiris est-il donc 100% vert?
Comme Lampiris, la majorité des fournisseurs d’énergie en Belgique proposent des contrats "100% énergie verte" alors que, pour rappel, le caractère vert de l’électricité livrée via le réseau n’est jamais identifiable. Sorcellerie? Pas du tout! Pour rendre son énergie "verte", un fournisseur d’électricité a le droit d’acheter des labels de garantie d’origine (LGO) aux producteurs d’énergie verte.
4 C’est quoi un LBO?
Selon les explications du fournisseur Mega, chaque producteur d’électricité renouvelable (éolien, photovoltaïque, etc.) reçoit par MWH (= 1.000 kWh) injecté sur le réseau, un label de garantie qui matérialise l’origine verte de l’électricité. Ce label peut être racheté par n’importe quel fournisseur d’énergie.
Prenons un exemple concret: un ménage de Liège, client chez Mega, consomme 3.000 kWh d’électricité par an. Mega va donc lui fournir cette quantité d’électricité. Mais pour garantir le caractère vert de cette énergie, Mega va devoir acheter 3 LGO à un producteur d’énergie renouvelable. En moyenne, le prix d’achat oscille entre 20 et 50 centimes par LGO.
En agissant de cette manière, "notre électricité peut donc être qualifiée de 100% verte comme les autres fournisseurs du marché", selon Michaël Corhay, administrateur-délégué de Mega. "Mais pour être honnête, nous n’aimons pas ce système car l’électricité verte n’est pas toujours aussi verte que le prétendent les fournisseurs. De nombreux fournisseurs belges disent offrir de l’électricité verte, mais peuvent investir l’argent de leurs clients dans le charbon ou le nucléaire, ou ne jamais l’investir dans l’énergie renouvelable, car il leur suffit seulement d’acheter des labels de garantie pour quelques euros par an pour rendre l’électricité grise, verte."
5 Les LBO sont-ils achetés en Belgique?
Pas nécessairement. Les fournisseurs d’électricités sont libres de les acheter ailleurs en Europe. D’après le journal Le Soir, la plupart d’entre eux s’approvisionnent en Norvège, au Danemark ou en Islande. Ces pays vendent en effet leurs LBO à des tarifs inférieurs à ceux pratiqués en Belgique (en moyenne 2 euros). Dans ce cas, les fournisseurs ne soutiennent pas vraiment la production d’énergie verte locale. "Ceci dit, le montant d’achat d’un LGO est tellement faible qu’acheter de l’énergie 100% verte ne soutient pas directement le marché de l’énergie renouvelable", ajoute Michaël Corhay. Pour reprendre l’exemple ci-dessus, cela ne coûte que maximum 1,50 euro par an à Mega pour verdir l’énergie consommée par son ménage de Liège…
6 Qui contrôle ce système?
Comme expliqué ci-dessus, tant que les LBO ont une origine européenne, ils sont acceptés par les régulateurs belges de l’énergie. BRUGEL assume effectivement ce rôle de contrôle pour Bruxelles et de deux manières, comme l’explique Pascal Misselyn, son coordinateur. "D’abord en contrôlant le ‘fuel mix’ général de chaque fournisseur. Ce contrôle est effectué depuis 2016 sur base d’une déclaration mensuelle des fournisseurs du pourcentage d’électricité verte fourni à chacun de leurs clients. SIBELGA nous communique alors le volume de fourniture par client et par fournisseur. BRUGEL demande alors aux fournisseurs de couvrir la fraction verte de leur fourniture par des garanties d’origine. Ces garanties sont présentées par le fournisseur et détruites par BRUGEL. La fraction verte du fuel mix de chaque fournisseur peut alors être certifiée. Parallèlement, à titre individuel, chaque consommateur peut vérifier que son fournisseur déclare bien la fraction verte de sa consommation. Il peut le vérifier grâce à l’outil ‘greencheck’ (http://greencheck.brugel.be/) . Il lui suffit d’introduire son code EAN et il obtiendra la fraction déclarée verte ainsi que le pourcentage vert réellement couvert par le fournisseur. Il peut aussi connaître l’origine générale des garanties d’origine présentée par le fournisseur pour l’ensemble de ses clients."
Un outil équivalent existe sur le site de la VREG (www.vreg.be), le régulateur flamand: le groencheck.
Par contre, rien de tel encore du côté de la Cwape, le régulateur wallon.
7 Quels fournisseurs produisent une part importante d’énergie renouvelable en Belgique?
Actuellement, ENGIE Electrabel propose l’équivalent de 523 MW d’énergies renouvelables produites en Belgique. "Nous continuons évidemment à investir dans les moyens de production d’énergie renouvelable", indique Anne-Sophie Hugé, porte-parole. "D’ici 2020, nous allons notamment doubler notre capacité éolienne on-shore pour atteindre 400 MW de capacité installée. La stratégie d’ENGIE est donc bien d’offrir une électricité verte locale et non pas de ‘verdir’ une production grise par le biais de garanties d’origine étrangères", ajoute-t-elle.
À ce propos, ENGIE a récemment fait évoluer son offre. Plutôt que de proposer un seul produit vert dans une gamme diversifiée, ce producteur/fournisseur permet dorénavant à chaque client, quel que soit son contrat, d’opter pour une fourniture réellement 100% verte et 100% locale. "Concrètement, chacune de nos offres peut être complétée par l’option ‘100% vert, 100% belge’ pour moins d’un euro par mois (via un montant en c€/kWh) pour un profil standard."
De son côté, EDF Luminus est également un gros producteur d’énergie renouvelable locale. "Nous sommes numéro un en énergie éolienne terrestre et numéro un en énergie hydroélectrique, affirme Nico De Bie, porte-parole. Notre parc éolien produit actuellement 267 MW. Autrement dit, 17% de l’énergie que nous produisons en Belgique est renouvelable."
Nico De Bie ajoute que les clients d’EDF Luminus restent bien sûr libres d’opter ou non pour une énergie renouvelable. "S’ils décident d’opter pour du renouvelable, nous leur garantissons qu’elle l’est à 100%". Et il rappelle que tenir cette promesse n’a rien de sorcier puisqu’une fourniture d’électricité à un client est considérée comme renouvelable si le fournisseur présente un nombre équivalent de LGO au régulateur concerné.
8 Conclusion, aucun producteur n’est donc capable de couvrir à 100% la demande de ses clients avec sa propre production?
Si! Les coopératives qui ont obtenu le score de 20 sur 20 dans le classement des fournisseurs de Greenpeace. Et il y a fort à parier qu’Eneco figurera aussi sur la première marche du podium lors de la prochaine mise à jour de ce classement. "Nous avons atteint l’objectif que nous nous étions fixé en 2011, se réjouit Christophe Degrez, son CEO. Désormais, grâce à nos propres installations en énergie renouvelable, nous couvrons totalement la demande en énergie de nos clients. Notre promesse de fournir 100% d’électricité verte à nos clients est donc bien une réalité."
En chiffres, Eneco dispose actuellement de 85 éoliennes on-shore, soit une production de 180 MW qui permet de couvrir les besoins en électricité de plus de 100.000 ménages. "Nous avons aussi deux parcs off-shore de 30MW et 150MW. Et d’ici fin 2018, nous pourrons compter sur le parc off-shore Norther que nous possédons à 50%. Sa production avoisinera les 300 à 450 MW, c’est-à-dire, une production d’électricité capable de soutenir la consommation de 330.000 ménages."
Notez qu’Eneco n’a pas encore d’offres pour les particuliers à Bruxelles car les modalités mises en place pour protéger les mauvais payeurs sont trop importantes. Il y a un délai de 130 à 135 jours avant de pouvoir faire appel à une procédure juridique à l’encontre de ceux qui tardent à honorer leur facture. "Cependant nous cogitons pour le moment sur une proposition d’offre 100% verte à Bruxelles", prévient Christophe Degrez.
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