Vous pensiez peut-être qu’il n’était pas possible de tomber plus bas. Que les taux d’intérêt de votre livret d’épargne ne pouvaient pas être plus déprimants. Si vos économies sont logées sur un compte d’épargne classique d’une banque tout aussi traditionnelle, rassurez-vous, c’est sûrement le cas, étant donné qu’elle vous propose depuis plusieurs années le minimum légal, à savoir un taux global de 0,11% (face à un taux d’inflation qui devrait à nouveau dépasser les 2% en 2018).
Par contre, si vous épargnez sur des comptes à "haut rendement" - ne nous emballons pas, on parle de 1,20% maximum actuellement - il n’est pas exclu que vous subissiez un nouvel abaissement de taux. Et ce, même si les perspectives sur le marché obligataire sont plutôt à la hausse. Le mouvement a déjà commencé. Par exemple, rien que ce mois-ci, BNP Paribas Fortis, le leader de l’épargne en Belgique, a abaissé le taux de son compte Etoile au minimum légal de 0,11%, alors qu’il rapportait encore 0,46% jusque là. Les comptes d’épargne Hello4You et Logement ont également subi des réductions de taux et n’offrent plus que 0,21% d’intérêt. Cette semaine, c’était au tour de Belfius d’annoncer que ses comptes Epargne+ seront moins rémunérateurs à partir du 1er octobre. Le taux global passera à 0,31%, contre 0,51% actuellement.
Ce que ces comptes ont en commun? Ce sont des comptes "à conditions". C’est-à-dire qu’ils offrent en théorie de meilleurs taux à l’épargnant, pour autant que ce dernier n’y verse pas un montant trop élevé tous les mois ou tous les ans. En l’occurrence, 500 euros par mois maximum pour le compte Epargne+ de Belfius, 9.000 euros par an pour le compte Etoile de BNP Paribas Fortis ou encore 6.000 euros par an pour le compte Epargne logement.
"Les taux des livrets d’épargne ne devraient pas remonter avant fin 2019."
Ce que l’on peut déduire de ces adaptations de taux, c’est que les banques qui tentent d’offrir un avantage concurrentiel - c’est-à-dire de proposer davantage que les 0,11% du minimum légal - pour certains comptes à certaines conditions, semblent commencer à jeter l’éponge. C’est d’autant plus marquant lorsque c’est BNP Paribas Fortis, la banque qui donne habituellement le ton pour le reste du marché, qui passe à l’acte. Mais pourquoi maintenant, alors que sur le marché des taux c’est le calme plat et que les anticipations sont à la hausse? Parce que la période des taux bas s’éternise. Et c’est cette durée qui rend la situation intenable pour les banques. Explications.
La faute aux taux négatifs
Lorsque vous déposez de l’argent sur un compte d’épargne, vous prêtez de l’argent à votre banque. "Il s’agit d’une source de financement comme une autre pour la banque. Elle utilise ce passif pour accorder des crédits qui se trouvent à l’actif de son bilan", explique Philippe Ledent, économiste chez ING. Or, actuellement, ce financement "par dépôt" se trouve en concurrence sur les deux plans (passif et actif).
1. Au passif. Outre les dépôts d’épargne, les banques se financent en grande partie sur le marché interbancaire. Il s’agit de taux à court terme, qui sont actuellement négatifs. "Lorsque les banques doivent rémunérer les dépôts avec un taux d’intérêt minimum de 0,11%, ce taux est donc déjà hors marché", poursuit-il. Concrètement, elles peuvent se financer à des taux bien plus bas sur le marché interbancaire.
2. A l’actif. Une fois qu’elles ont collecté des dépôts, elles accordent des crédits, que ce soit aux entreprises ou aux particuliers. Or, ce marché est très concurrentiel en Belgique. "En période de taux bas, les taux d’intérêts des crédits sont poussés à la baisse. Or, les banques gagnent de l’argent grâce à la différence entre les taux auxquels elles empruntent et ceux auxquels elles prêtent. Si une banque veut être concurrentielle sur les taux d’intérêt des dépôts d’épargne, elle n’aura pas beaucoup de possibilité d’augmenter les taux auxquels elle prête, en raison du jeu de la concurrence. Sa marge est donc réduite", explique l’économiste.
Actuellement, il est impossible d’épargner sur un livret sans perdre du pouvoir d’achat.
Or, les banques ne peuvent pas éternellement absorber une baisse de leur rentabilité. C’est pourquoi, si elles le peuvent encore, elles sont parfois amenées à abaisser leurs taux. Sauf si leur business model leur permet de rester concurrentielles, comme c’est par exemple le cas des banques "challenger" de l’épargne (lire plus loin).
Pas de hausse avant 2019
Ce qui influence directement les taux courts, ce sont les taux directeurs de la Banque centrale européenne (BCE). Et le taux de dépôt de la BCE est largement négatif (-0,40%). Tant que l’institution monétaire ne remontera pas ce taux, on n’assistera pas à une remontée générale des taux d’intérêts sur les livrets d’épargne. Comme l’explique Hilde Junius, porte-parole de BNP Paribas Fortis, "les taux des livrets remonteront quand les taux courts remonteront et quand la courbe des taux deviendra plus pentue. Actuellement les taux courts sont négatifs et la BCE ne va rien pouvoir y faire avant un moment (…). Ce n’est donc pas demain que les banques auront les moyens de remonter les taux des livrets".
D’autant plus que, comme l’explique Philippe Ledent, il faudra un peu de temps avant que la situation se normalise. Le marché monétaire anticipe actuellement une première hausse des taux de 10 points de base en septembre 2019. "Mais les conditions de marché devront atteindre 0,11% minimum avant que les banques puissent commencer à relever leurs taux. Il faudra donc attendre la fin de l’année avant d’observer un impact sur les taux des livrets", prévient-il.
Crédit hypothécaire
Et c’est souvent à ce stade que l’on se demande pourquoi les taux des livrets d’épargne continuent à baisser alors que les taux (officiels) des crédits hypothécaires, eux, ne baissent plus. Il faut d’abord nuancer, car dans les faits, si l’on regarde la moyenne des meilleurs taux hypothécaires à 20 ans fixes négociés par les clients, la tendance est toujours à la baisse. Les taux ne peuvent techniquement plus réellement s’écraser étant donné que dans la plupart des cas, ils ne sont presque plus constitués que de la prime de risque assortie à l’emprunteur, mais ils peuvent encore reculer à la marge. La preuve: selon le site guide-épargne.be, cette moyenne est passée de 2,20% en janvier 2018 à un peu plus de 2% en septembre. Les taux longs, qui influencent les taux des crédits hypothécaires, n’ont pourtant pas bougé depuis le début de l’année. C’est donc le signe que la concurrence bat son plein sur ce marché en Belgique, avec notamment l’arrivée des banques en ligne Keytrade et Hello home! (BNPP Fortis) sur le marché hypothécaire.
Ensuite, ce sont les taux longs, et pas les taux courts, qui influencent les taux hypothécaires. Ils sont toujours extrêmement bas. Cependant, ce ne sont pas uniquement les taux directeurs de la BCE qui ont un impact direct sur le niveau des taux longs en Europe, mais également son programme de rachats d’actifs. Pour relancer l’économie, la BCE avait lancé en 2016 un programme de rachat d’obligations privées et publiques. Chaque mois, elle rachète pour 30 milliards d’euros de ces actifs afin de maintenir les taux bas et de permettre à l’économie de mieux tourner. Dès le mois d’octobre, elle ne rachètera plus que 15 milliards d’euros d’actifs. Et fin décembre, ce dispositif anti-crise sera définitivement arrêté. Les taux longs devraient donc logiquement remonter (modestement), tandis qu’il faudra attendre plus longtemps pour les taux courts. Si la hausse se répercute sur les taux hypothécaires, les épargnants et les emprunteurs auront donc des raisons d’être mécontents, étant donné que leur épargne rapportera toujours si peu, alors qu’ils devront payer plus pour emprunter.
L’option des challengers
Ceci dit, il est toujours possible d’aller voir ailleurs si l’herbe n’est pas plus verte. Actuellement, il est impossible d’épargner sans perdre en pouvoir d’achat. De fait, le taux d’inflation devrait encore dépasser 2% en 2018 dans notre pays, et les banques les plus concurrentielles, à savoir Deutsche Bank et Beobank, proposent un taux d’intérêt de 1,20% sur leurs comptes d’épargne progressifs limités à un versement de respectivement 500 et 750 euros par mois. En termes réels et partant d’une hypothèse d’inflation de 2%, l’épargnant perd donc 0,8% de valeur sur ses économies chaque année. Cependant, il s’agit tout de même d’un bon moyen de limiter la casse, comparé aux 0,11% de rendement de la plupart des comptes d’épargne. Juste derrière ces deux banques, on trouve toujours Santander avec son compte Vision+ qui rapporte 0,65%, sans conditions de dépôt maximal.
Les banques qui parviennent à offrir de tels taux se basent en général sur un business model différent de celui des banques traditionnelles. Par exemple, les challengers sont souvent des banques étrangères qui ont une succursale en Belgique. Elles y "pompent" les dépôts d’épargne qu’elles reprêtent à l’étranger à de meilleures conditions qu’en Belgique.
Quoi qu’il en soit, vous pouvez retourner la situation dans tous les sens, si vous n’êtes pas prêt — ou que vous ne pouvez pas — prendre un peu de risque en investissant une partie de votre épargne, vous devrez prendre votre mal en patience.
Ceci dit, "investir" peut aussi signifier tout autre chose et peut ne rien avoir à faire, de près ou de loin, avec les marchés financiers. Si vous avez quelques milliers d’euros qui dépérissent sur votre compte d’épargne, pourquoi ne pas envisager de les investir dans votre logement pour en améliorer les performances énergétiques? Les études montrent par exemple qu’une bonne isolation du toit peut générer des économies d’énergie de 30%. Il n’est donc pas toujours si difficile de trouver un job intéressant pour votre argent… en attendant des jours meilleurs!