Le bonus logement va coûter cher aux Régions. Alors que les négociateurs de la réforme de l’État se sont mis d’accord pour transférer aux collectivités régionales les moyens nécessaires pour financer cet avantage fiscal lors de la première année du transfert de cette compétence, rien n’est encore prévu en cas d’augmentation des déductions dans les années à venir. Or, ces déductions connaissent une croissance importante. Selon l’inventaire des dépenses fiscales fédérales, entre les exercices d’imposition 2004 et 2011, le coût budgétaire des divers avantages fiscaux liés à l’habitation propre et unique, communément appelés "bonus logement", a enregistré une croissance annuelle de 9% en moyenne. Par conséquent, alors que l’État fédéral avait dû consacrer 1,8 milliard d’euros aux avantages fiscaux des habitations lors de l’exercice d’imposition 2011, portant sur les revenus des contribuables de 2010, ce montant devrait, dans l’hypothèse d’une croissance annuelle de 9%, atteindre 2,5 milliards d’euros dès 2014 (exercice d’imposition 2015), première année de mise en œuvre de la réforme de l’État, puis 2,7 milliards d’euros en 2015 (exercice 2016) et 3 milliards d’euros en 2016 (exercice 2017). Le budget prévu dans le cadre de la réforme institutionnelle (voir infographie), a prévu l’évolution jusqu’en 2014, qui correspond au montant prévisible de 2,5 milliards d’euros. Mais le financement des années suivantes reposera sur les trois Régions.
Or, comment se répartit cette charge budgétaire entre les trois Régions? Nos confrères du quotidien "De Tijd" révélaient mardi dernier que, côté flamand, le budget de 1,5 milliard d’euros alloué à la Région serait d’ores et déjà insuffisant: selon une estimation du "Woonraad" (conseil consultatif en matière de logement), il faudrait plutôt tabler sur 1,7 milliard d’euros pour financer les divers avantages fiscaux liés au logement bénéficiant aux contribuables flamands. Ceci correspond assez bien aux projections que l’on peut faire en tenant compte d’une croissance annuelle de 9%: dans cette hypothèse, on arrive en effet à un coût budgétaire pour la Flandre de 1,7 milliard d’euros dès 2014 (exercice d’imposition 2015).
Rien avant les élections
Et côté francophone? Entre les exercices 2004 et 2011, le coût budgétaire des déductions fiscales liées à l’habitation propre a aussi augmenté dans le sud du pays… Alors que l’on peut tabler sur un montant de l’ordre de 730 millions d’euros pour le bonus logement wallon en 2014 (exercice 2015), celui-ci pourrait augmenter à 800 millions d’euros dès l’année suivante, avant d’atteindre 870 millions en 2016 (exercice 2017). Et à Bruxelles, venant d’un coût budgétaire de 135 millions d’euros en 2014 (exercice 2015), les deux années suivantes verraient l’addition monter à 150 millions puis 165 millions d’euros respectivement. Alors qu’en Flandre, le débat a déjà bien progressé à ce sujet, la Wallonie et Bruxelles semblent se tâter sur les décisions à prendre pour surmonter cette escalade des coûts budgétaires liés à la fiscalité du logement.
"À l’heure actuelle, nous n’avons pas encore de plan bien balisé, ce qui ne signifie pas pour autant que nous n’y travaillons pas", indique le ministre des Finances de la Région de Bruxelles-Capitale, Guy Vanhengel. "Maintenir le marché immobilier accessible pour les moyens revenus et principalement les jeunes couples désirant acquérir leur propre habitation, représente l’une des priorités du gouvernement bruxellois. Nous avons déjà développé plusieurs mesures dans ce sens. Grâce aux nouvelles compétences, nous étudions actuellement à Bruxelles toutes les pistes pouvant encore améliorer cette situation."
L’exécutif bruxellois a mis sur pied un groupe de travail composé de professeurs d’université qui doivent présenter un rapport dans le courant du mois d’octobre. Mais côté politique, on exclut toute décision avant le scrutin de 2014 qui risque de modifier la donne entre les partis. "Le travail de la task force (le groupe de travail, ndlr) doit être vu comme une préparation de la prochaine législature", estime le ministre Vanhengel.
Ce dernier précise toutefois d’ores déjà sa position au sujet des avantages fiscaux octroyés aux contribuables qui sont déjà propriétaires: "Les avantages existants pour les prêts hypothécaires déjà contractés, doivent être préservés."
Même son de cloche du côté wallon. Cité par le quotidien "Le Soir" mercredi dernier, André Antoine, ministre du Budget de la Région wallonne, souligne: "Dans le prochain budget, il faudra certes faire des choix, mais ces bonus logement sont à mes yeux un élément capital à préserver."
Maintenir inchangée la fiscalité relative à l’habitation propre des ménages n’est ni soutenable, ni efficient, estime pourtant l’économiste Ivan Van de Cloot. "Le bonus logement ne sert pas l’objectif officiel de rendre le logement plus accessible", affirme-t-il. "Il contribue plutôt à augmenter les prix des habitations."
Le chef économiste de l’Itinera Institute s’interroge toutefois sur la capacité politique à modifier ce régime fiscal. "En matière d’accès au logement, les principaux concernés sont les jeunes", rappelle-t-il. "Mais ceux-ci ont peu de poids, politiquement, au contraire des propriétaires dont on tient plus compte." Avec un électorat composé en grande partie de propriétaires, "il faudrait beaucoup de courage politique pour revenir sur de tels avantages fiscaux", confirme le professeur de droit fiscal Marc Bourgeois (ULg).
En outre, les experts mettent en garde contre le risque d’une déstabilisation du marché immobilier. "Si la hausse des prix des maisons ne sert pas l’intérêt général, ce dernier n’est pas non plus préservé en cas de choc sur le marché immobilier, souligne Ivan Van de Cloot. En cas de changement de politique, il faudrait donc manœuvrer prudemment, de manière graduelle. L’avantage fiscal pourrait devenir progressivement moins important."
Solutions envisageables
Selon lui, si les décideurs ne trouvent pas d’accord pour revenir sur les avantages existants, il faudrait en tout cas prendre des mesures à l’égard des nouveaux prêts hypothécaires. Ce serait toutefois une mesure insuffisante, estime Ivan Van de Cloot: "Le stock de contrats existants est tellement grand que sa fiscalité ne sera pas tenable à terme. Certains répondront qu’on ne peut pas priver les propriétaires d’un avantage sur lequel ils ont compté au moment de leur achat mais je trouve que le monde politique doit oser faire des choix quand, compte tenu d’un coût budgétaire, il se rend compte qu’un tel système n’est pas soutenable."
Selon l’économiste, il faut choisir d’autres voies pour remplir l’objectif d’un meilleur accès au logement: "Il faut agir sur l’offre. Quand on assiste à une pénurie et que les prix sont trop élevés, c’est qu’il y a trop peu d’offres à certains endroits où il y a une forte demande." Pour lui, ce n’est pas un problème régional mais une question locale. Il estime qu’il faut donc d’abord dresser une carte des tensions entre l’offre et la demande sur le marché immobilier.
"Ensuite, si l’on veut augmenter l’offre, on doit oser remettre en question les règles d’aménagement du territoire qui constituent des contraintes trop importantes pour les nouvelles constructions, estime Ivan Van de Cloot. Cela ne veut pas dire qu’on va nuire à la nature en construisant des habitations partout. On peut augmenter la densité urbaine. Il y a de la place dans les villes et les agglomérations pour de nouvelles constructions, ce qui ne nuira pas aux espaces ouverts."
Le chef économiste de l’Itinera Institute évoque aussi les pistes d’une réduction de la TVA pour la construction de nouveaux logements, des incitants en faveur de la rénovation et des avantages fiscaux permettant d’atteindre les objectifs de politique énergétique. "Car même si on augmente les exigences d’isolation des nouvelles maisons, on ne pourra pas atteindre les objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre sans agir sur le bâti existant."
Enfin, l’idée d’une mesure en faveur de la location surgit aussi dans le débat. Mais comme en matière de propriété, la crainte est qu’un incitant à cet endroit provoque une hausse des prix: des loyers plus chers seraient un effet pervers indésirable à compenser par une stimulation de l’offre de baux. Parmi les pistes possibles, Ivan Vande Cloot estime que l’on pourrait réfléchir à la possibilité de transformer des immeubles de bureaux en logements.
Les Régions risquent de répondre à ces défis chacune à leur manière, étant donné que la fiscalité de l’habitation propre va leur être attribuée. Dès lors, une seule chose est sûre: "Cela va aboutir à beaucoup de complications", estime le fiscaliste Jeff Wellens. D’autant plus que la fiscalité immobilière qui n’a pas trait à l’habitation propre des ménages reste fédérale. "Ca va vraiment être très compliqué", confirme le professeur Bourgeois. Rendez-vous en 2015…