Que l’on ait vu ou pas le film "Le Viager" signé Pierre Tchernia qui vient de nous quitter à 88 ans, lier la brique qu’on aura un jour dans le ventre à la mort d’une personne a quelque chose d’immoral, chaque jour qui passe étant doublement savouré par le vendeur et égrené par l’acheteur.
Pourtant, à y regarder de près, cette formule encore peu répandue sous nos latitudes peut au final satisfaire – tant financièrement que moralement — les deux parties. "Le viager s’est fortement développé ces dernières années chez nous et concerne en moyenne 2% des transactions immobilières, ce qui nous a poussés à créer un service dédié. En ces temps de disette sur les placements sécurisants, surtout si on a une retraite insuffisante, beaucoup de seniors devraient y penser pour arrondir leurs fins de mois", insiste Eric Verlinden, le CEO du réseau Trevi, dont une filiale est spécialisée dans le courtage en viager.
Le principe
Les propriétaires qui vendent leur habitation en viager en conservent l’usufruit tout en disposant d’un capital (acompte) appelé "bouquet" et d’une rente mensuelle, de surcroît indexée et non taxée. La formule est d’autant plus dans l’air du temps que l’espérance de vie s’allonge et que les héritiers éventuels sont, la plupart du temps, à l’abri du besoin. "Nous conseillons un écart d’âge de minimum 20 ans entre vendeur et acquéreur d’un viager; et en général à partir de la septantaine, voire auparavant si le bien est immédiatement disponible pour l’acquéreur. Dans ce cas, on parle de ‘viager libre’: outre le bouquet, le vendeur souhaitera bénéficier d’un revenu régulier indexé sans plus aucune contrainte de gestion locative ou fiscale — un super loyer en quelque sorte…", détaille le patron de Trevi.
Du côté des acquéreurs, la formule a de quoi attirer les investisseurs. Elle permet en effet d’entrer sur le marché immobilier avec un faible apport (bouquet et frais d’acte) et d’épargner via le versement des rentes mensuelles. Au décès du vendeur, on devient propriétaire d’un bien que l’on peut mettre directement en location et dégager ainsi des revenus complémentaires à sa pension. "Il n’est d’ailleurs plus rare de rencontrer des investisseurs qui achètent un viager pour leurs enfants: une fois adultes, ils peuvent ainsi disposer d’un toit provisoire à eux ou d’un revenu locatif", ajoute Eric Verlinden.
Les risques
Ils sont assez évidents et varient diamétralement entre les contractants: pour le vendeur, décéder trop vite; et pour l’acquéreur, payer trop longtemps. S’agissant d’un contrat aléatoire, le rendement net n’est jamais connu à l’avance. Mais l’accord théorique vise à satisfaire les deux parties. Le notaire qui établira le contrat veillera d’ailleurs à ce qu’il reste équilibré et protège le vendeur contre tout risque de rente impayée.
Cas vécu
La clause de gestion locative
Guillaume R., 75 ans, vend son appartement place Flagey à Bruxelles en viager. Le bouquet demandé (acompte à la signature du contrat) est de 10.000 euros et la rente mensuelle est fixée à 600 euros durant 15 ans. Techniquement, Guillaume vend la nue-propriété. Dans le pire des cas, la dépense totale théorique à amortir est de 118.000 euros (10.000 + 600 x 12 mois x 15 ans). Sauf si Guillaume vit au-delà de 90 ans et conserve son usufruit, sans rentrée mensuelle.
Dans les faits, le scénario est souvent différent: Guillaume R. vend son immeuble à 75 ans; 5 ans plus tard, il perd de l’autonomie et souhaite vivre dans une maison de repos assistée. Il conserve toutefois sa rente et va pouvoir donner son immeuble en location pour en retirer un profit supplémentaire.
Viager Fund propose d’emblée une clause contractuelle de "gestion locative", déchargeant le propriétaire âgé des tracas de gestion et la prenant à sa charge… moyennant versement de 50% du loyer. C’est beaucoup, mais c’est confortable. Et la rente mensuelle avoisine au final les 1.000 euros.
Viager Fund: diversifier le risque
Après la titrisation des bureaux, des commerces, des logements meublés ou pas, des maisons de repos, des kots d’étudiants, des cliniques spécialisées, des cafés ou des hôtels, les toits mis en viager devaient tôt ou tard susciter la créativité d’"assembliers" en quête de nouveaux produits. C’est ce qui a suscité la rencontre de deux professionnels dans leur segment respectif. Leur projet: créer un portefeuille immobilier dont tous les actifs seraient en viager et lever des fonds pour élargir le portfolio tout en mutualisant le risque sur plusieurs biens et plusieurs têtes. Ainsi est né en 2015 Viager Fund.
Les concepteurs de ce véhicule de niche, Philippe Verdonck, spécialiste de la finance et du droit commercial, et Patrick Menache, agent immobilier, ne sont pas des inconnus sur la place bruxelloise. Une fois l’option prise de créer une société de droit commun (société civile), sans personnalité juridique mais avec une indivision des actifs et des statuts qui régulent clairement les droits et les devoirs des contractants-investisseurs concernés, à l’image d’une SPRL classique, encore fallait-il sélectionner au mieux les biens pris en portefeuille. "Or, c’est moins évident qu’on ne le pense…", intervient Philippe Verdonck, inspiré par le modèle français.
L’enjeu était clair: établir des critères pour sélectionner les biens en viager mis en portefeuille afin qu’ils offrent un ratio coût/rendement/retour sur investissement optimal avec une mise de départ plancher de 60.000 euros par investisseur et un rendement final comprenant également une plus-value immobilière évaluée à 2,5% par an. "Je voulais vraiment que ce soit ‘à l’équerre’ comme on dit, que ce soit ficelé comme pour nous-mêmes si nous concevions ce véhicule pour d’autres. D’ailleurs, nous prenons une part dans chaque fonds que nous lancerons", explique Philippe Verdonck.
Aujourd’hui, le modèle prend lentement corps après une première levée de fonds de 2,4 millions d’euros. Elle permettra de réunir une vingtaine d’immeubles occupés dont la valeur vénale avoisinera les 220.000 euros nets à la revente, plus-value non escomptée, "avec des rentes limitées à quinze ans, un âge minimum de 74 ans (calé sur l’espérance de vie théorique) et pas d’héritier en ligne directe", précisent les concepteurs.
60.000 euros en cash
Chaque investisseur intéressé par Viager Fund met sur la table au moins une part de 60.000 euros en cash (les droits d’entrée sont dégressifs si on prend plusieurs parts). Au total, ce premier fonds réunit une quarantaine de copropriétaires prêts à attendre cinq ans avant de reprendre leur mise, avec la possibilité de sortir avant l’échéance. Ce capital investi permet d’avoir un effet de levier financier suffisant pour acquérir une vingtaine d’immeubles, seul le bouquet (estimé à 30.000 euros) devant être payé en viager pour se porter acquéreur.
Chaque investisseur devient donc propriétaire d’un quarantième de chaque immeuble mis en portefeuille en en mutualisant le risque et la gestion. À terme, une fois le portefeuille constitué, le rendement effectif avoisinerait, selon le concepteur, les 10% nets. Un pourcentage que certains mettent toutefois largement en doute pour l’instant, critiquant au passage les frais de gestion annuels jugés excessifs. "Même avec des frais de gestion de 4,3% par an sur 15 ans, le rendement réel estimé dépasse encore les 5%, ce qui n’est en théorie pas mal. Mais tout dépend de la mortalité des crédirentiers et des plus-values à la revente, qui restent aléatoires", commente un analyste.
Faire connaître la formule
Mais pourquoi se limiter à ce stade à une quarantaine d’actionnaires potentiels? C’est ce que se sont dit les initiateurs, qui lancent pour l’instant ViagerFund 2, sur les mêmes bases, et cherchent à nouveau 40 personnes désireuses d’investir 60.000 euros chacune pour créer le deuxième portefeuille. "Aujourd’hui, il y a trop peu de biens
répondant à nos critères pour accélérer la cadence. Il faut absolument intéresser et dynamiser le marché potentiel avec ce type de nouveau véhicule professionnel, ce qui n’est pas rien. En France, un loyer avec services en maison de repos tourne en moyenne autour de 4.000 euros nets. Et le viager est une solution pour régler la note quand la retraite ne suffit pas. Chez nous, il faudrait des mesures de soutien pour dynamiser cette niche", précise Philippe Verdonck.
Selon lui, c’est sur les services ajoutés offerts aux seniors susceptibles de vendre en viager qu’il faut travailler pour susciter l’intérêt des vendeurs potentiels parfois rebutés par les soucis pour trouver locataire-acheteur et se reloger avec la somme et la rente obtenues. Si Philippe Verdonck est en charge de la modélisation et du suivi financier et fiscal, Patrick Menache s’occupe pour sa part de la recherche et de l’évaluation des biens mis en portefeuille. Et justement, estime Philippe Verdonck, le seul vrai risque de son nouveau produit est d’ordre immobilier et non financier: que la valeur des immeubles mis en portefeuille se déprécie avant quinze ans, l’échéance théorique de revente. Ce qui, au regard du marché belge actuel, reste bien peu probable, davantage encore sur le segment de biens visé par le nouveau fonds (www.viagerfund.be).