"Lorsque l’on a commencé à mettre la maison de ma compagne en location via Airbnb, le but était de couvrir au maximum ses frais d’emprunt. L’objectif n’est pas atteint, mais clairement, ce revenu est un bon supplément", affirme Olivier Tournay. Avec sa compagne Sandrine, ils mettent en location chaque week-end "La douce folie", une maison à Oteppe (province de Liège) qui peut accueillir jusqu’à cinq voyageurs ou "guests", si vous parlez le langage Airbnb. Le couple, qui réside dans les environs de Rixensart, demande 95 euros par nuit pour deux personnes et 15 euros par personne supplémentaire. Airbnb prélève 3% de commission. Et les revenus, qu’ils tirent majoritairement de Booking.com, sont taxés au taux de 33%, car la maison de Sandrine est en société. "Nous déclarons donc les revenus de la location comme des revenus de la société", explique-t-il. En net, la nuit de location ne leur rapporte donc pas beaucoup plus que 60 à 70 euros selon le nombre de personnes, un montant dont il faut encore retirer les consommations, les factures internet, etc. Du coup, pour rester "break-even", il faut faire le ménage, changer les draps et repasser soi-même. "C’est beaucoup de travail. On aimerait bien louer aussi la semaine, mais vu que l’on gère tout nous-mêmes et que l’on habite à quarante minutes de voiture, c’est impossible pour le moment", poursuit Olivier.
Alors de fait, on le croit quand il dit que l’objectif "premier" n’est pas la rentabilité. "Nous adorons nous occuper des gens. Dans moins de dix ans, on retournera dans cette maison et on y accueillera des hôtes. Pour le moment, notre système permet de nous lancer, tout en restant maître des lieux. Nous souhaitons que les gens se sentent bien chez nous. Quand ils arrivent, le frigo et les placards sont remplis de produits de première nécessité. Ils peuvent les remplacer ou mettre des pièces dans une tirelire. Certains ne font ni l’un, ni l’autre, mais en général, cela se passe très bien". D’ailleurs, Olivier et Sandrine ne font pas d’état des lieux et ne sont généralement pas présents quand leurs hôtes quittent le logement. La confiance règne.
Maître des lieux
Et ce n’est pas ironique. Jean a commencé à louer son appartement entre le centre de Bruxelles et Tour et Taxis quand il travaillait à l’étranger. "Rien n’a jamais disparu, ou en tout cas je ne l’ai jamais remarqué", assure-t-il. Cet indépendant, actif notamment dans l’organisation d’événements, loue son appartement de deux chambres à partir de 100 euros par nuit pour deux personnes. Mais cela lui arrive aussi de louer une des deux chambres quand il est présent. "C’est ça qui est précieux avec Airbnb. C’est la flexibilité et le contrôle que l’on garde sur son bien. J’ai vécu en colocation pendant plus de dix ans. Je ne voulais plus avoir quelqu’un tout le temps chez moi. Maintenant, je choisis les moments", explique cet amoureux de Bruxelles.
"J’ai vécu en colocation pendant plus de dix ans. Je ne voulais plus avoir quelqu’un chez moi tout le temps. Maintenant, je choisis les moments."
"Mes rentrées financières sont donc aussi très variables. J’ai déjà loué mon appartement pendant un an. Et il m’arrive de ne pas le louer pendant un mois… L’argent que je gagne via Airbnb me permet de gérer le fait d’avoir un boulot de saisonnier. Cela me permet de réinvestir dans mon appartement et j’ai aussi eu l’occasion d’en acheter un deuxième, poursuit-il. Mais pour pouvoir en vivre, je devrais avoir au moins quatre appartements! Cependant, si vous commencez à avoir dix chambres, le côté ‘chez l’habitant’ risque de disparaître. Je pense que les gens ne s’imaginent pas la complexité, l’organisation et la flexibilité que cela demande. Beaucoup ont renoncé pour remettre leur bien en location classique".
Courir les administrations
"Si la législation devient encore plus complexe, cela me poussera à arrêter."
D’autant plus que depuis avril 2016, si vous êtes logeur bruxellois, vos heures de "travail" ne se limitent plus au temps passé à accueillir, conseiller les voyageurs, faire le ménage et le repassage avant un check in, etc. L’ordonnance bruxelloise fixant les modalités de l’hébergement touristique et son décret d’application entraînent en effet les logeurs dans une jungle administrative dont très peu sont déjà sortis. "Il faut désormais obtenir l’accord de la copropriété dans laquelle vous habitez, beaucoup échanger avec les voisins, obtenir une foule de documents de l’urbanisme, des services d’incendie, etc. Et quand vous appelez l’administration pour poser une question, elle ne semble pas au courant. J’ai dû faire vraiment beaucoup d’efforts pour trouver le formulaire à remplir pour m’acquitter de la nouvelle taxe bruxelloise sur les logements Airbnb (lire l’encadré plus bas). Il faut compter entre six mois et un an pour se mettre en ordre légalement, même si l’on est de bonne volonté. Si la législation devient encore plus complexe, cela me poussera à arrêter. Si le but est d’être soumis aux mêmes règles qu’un hôtel, autant ouvrir un hôtel! Mais ça, ça ne m’intéresse pas, c’est une toute autre démarche", explique Jean.
La démarche de Jean s’inscrit en effet en plein dans l’économie collaborative et locale. "J’ai aussi le sentiment de contourner le circuit de l’économie générale où l’on veut toujours construire et créer davantage. Ici, j’ai de la place pour accueillir des voyageurs, je l’utilise. C’est une démarche qui consiste à utiliser les ressources qui existent déjà. Je chine aussi énormément pour décorer mon appartement, j’essaie de faire beaucoup de neuf avec de l’ancien".
C’est dans ce cadre qu’il a rejoint le projet "Host in Brussels", qui vise à faire entendre la voix des loueurs auprès des politiques et des administrations. Son but est d’encourager les nouvelles démarches entrepreneuriales et soutenir la diversification de l’offre d’hébergements qui existe à Bruxelles. "C’est vrai qu’en sept ans, j’ai amélioré mon offre, je me suis un peu professionnalisé. Mais pourquoi le gouvernement veut-il à ce point tuer dans l’oeuf l’esprit d’initiative, pénaliser ces projets alternatifs? Nous pourrions jouer à côté des autres acteurs, comme un acteur économique à part entière et complémentaire à l’offre existante", estime-t-il.
Entre deux feux
Un autre logeur bruxellois met à disposition des voyageurs une partie de son lieu de travail. Il souhaite rester anonyme. "L’autorisation est en cours. Mais c’est extrêmement compliqué et énergivore. Je n’ai pas compté ce que cela me coûte en temps et en énergie. Mais en coût financier, mon compteur atteint déjà 1.000 euros. Je rencontre principalement des problèmes de copropriété et de mise aux normes de l’électricité et de la sécurité incendie", explique-t-il.
Comme Olivier et Sandrine à Oteppe, ses revenus — entre 800 et 900 euros brut par mois — sont déclarés en revenus de société et taxés à 33%. "Si je ne le faisais que pour l’aspect financier, ça n’aurait pas de sens. Avec un taux d’occupation d’environ 80%, cela me prend tous les jours deux heures de travail, week-end compris. Et depuis février, il faut aussi compter la taxe de 3 euros par chambre et par nuitée", précise-t-il. Et ici aussi, le flou semble régner: dans son cas, le loueur doit-il se déclarer auprès de Bruxelles Fiscalité pour payer sa taxe Airbnb alors qu’il n’est officiellement pas autorisé à exercer? "Quand je pose la question, personne ne peut me répondre. Je suis pris entre deux feux", regrette-t-il. Et pourtant, pas question d’abandonner. Cet indépendant reste ultra motivé, passionné par le contact humain et heureux de faire découvrir sa ville aux jeunes artistes et aux étudiants de passage.
→ Lire aussi: Comment vos revenus occasionnels sont-ils taxés?
Un investissement
Ouvrir un Airbnb à Bruxelles demande donc parfois un réel investissement financier. Ce loueur, qui met à disposition tout le deuxième étage de sa maison schaerbeekoise, a fait sa demande de dossier en mai 2016. "La mise en conformité du gaz et de l’électricité a pris sept mois. Cela a coûté 750 euros de vérifications et 1.800 euros de remise en conformité. Maintenant, j’attends encore l’autorisation de l’urbanisme. Tout dépendra de la volonté de notre bourgmestre…", explique cet indépendant (aussi!) qui souhaite également rester anonyme. "Il faut aussi compter les consommations. Ma facture d’eau a doublé (+897 euros) depuis que j’ai commencé il y a un peu moins d’un an", poursuit-il.
"La veille d’une arrivée, j’en ai pour un jour et demi de travail."
Restons toutefois honnêtes: "au bout du compte, cela rapporte vraiment. Mais cela reste un revenu complémentaire, c’est mon second travail", précise-t-il. Ses revenus bruts se situent entre 1.100 et 1.700 euros par mois. Comment y arrive-t-il? Avec seulement une petite semaine de chômage locatif chaque mois, un prix par nuitée de 56 euros pour deux personnes (+ 10 euros par personne supplémentaire) et un tarif unique de 50 euros de nettoyage. "C’est moi qui le fais. La veille d’une arrivée, j’en ai pour un jour et demi de travail". On a déjà connu un travail mieux rémunéré… Cependant, la composante "do it yourself" est quasi essentielle dans un petit projet d’Airbnb. Ce n’est que lorsque les revenus deviennent plus importants que l’on peut commencer à envisager d’externaliser la gestion (check-in, check-out, ménage, repassage, comptabilité, etc.). Comme dans un hôtel?
la taxe airbnb à bruxelles
En tant qu’exploitant d’un hébergement touristique type Airbnb à Bruxelles, vous êtes redevable d’une taxe de 3 euros par chambre et par nuitée, depuis le 1er février.
1. Inscription. Dans un premier temps, vous devez vous inscrire en remplissant un questionnaire sur le site de Bruxelles-Fiscalité, que vous trouverez au lien suivant: http://fiscalite.brussels/taxe-regionale-sur-les-etablissements-d4hebergement-touristique. Si votre location existait déjà avant le 1er février, vous aviez jusqu’au 4 mars pour le faire. S’il s’agit d’un nouveau bien, vous disposez d’un mois après l’ouverture.
→ Attention: une amende de 1.000 euros peut être infligée en cas de manquement à cette obligation.
2. Déclaration. Ensuite, vous devrez chaque mois remplir sur le même site votre déclaration mensuelle (nombre de chambres occupées, nombre de nuitées). Vous avez également un mois pour le faire (jusqu’au 31 mars par exemple pour les nuitées du mois de février).
→ Attention: si vous ne le faites pas, l’administration vous enverra une notification de taxation d’office basée sur une situation de pleine occupation.
3. Paiement. Enfin, l’administration vous enverra chaque mois une demande de paiement mensuel anticipé.
→ Attention: une majoration de 2% est appliquée en cas de paiement tardif. On appelle ce paiement "anticipé" car le vrai décompte final aura lieu à la fin du cycle d’imposition (soit au 31 décembre). Vous recevrez alors un avertissement-extrait de rôle mentionnant le bilan final et le solde restant dû éventuel.