Bonne nouvelle pour les Belges qui détiennent des actions françaises. Face à l’inertie de l’administration fiscale belge en matière de double précompte mobilier sur les dividendes d’actions françaises perçus par des contribuables belges, les cours et tribunaux commencent à appliquer la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation, plus favorable aux actionnaires. Mais tant que le fisc ne se résout pas à suivre lui aussi ce point de vue, mieux vaut prendre les devants.
La double imposition des dividendes français perçus en Belgique est un problème qui ne date pas d’hier. La France prélève une retenue à la source de 15% sur les dividendes de ses sociétés et la Belgique applique quant à elle un précompte mobilier sur les dividendes perçus par ses contribuables. Résultat: un Belge qui détient des actions française est taxé deux fois. Par exemple, s’il perçoit 100 euros de dividendes français, il sera d’abord taxé à 15% en France: il lui restera alors 85 euros, montant qui sera soumis au précompte belge de 30% ; au bout du compte, cet investisseur ne percevra donc qu’un montant de 59,50 euros net d’impôt. Autrement dit, il aura subi un prélèvement total de 40,5%, alors que le précompte mobilier sur les dividendes d’actions belges est quant à lui de 30%.
Convention, fisc et cassation
La convention franco-belge préventive de double imposition était censée remédier à ce problème. Ce traité prévoit en effet que l’impôt belge doit être diminué "de la quotité forfaitaire d’impôt étranger (QFIE, ndlr) déductible dans les conditions fixées par la législation belge, sans que cette quotité puisse être inférieure à 15%" du montant obtenu après application de la retenue à la source française.
Mais c’était trop beau… La Belgique a unilatéralement supprimé la QFIE en 1988. L’administration fiscale belge a ensuite considéré qu’il n’était plus possible de diminuer le précompte belge d’une QFIE française puisque "dans les conditions fixées par la législation belge", il n’existait plus de QFIE!
En attendant que l'administration fiscale belge se conforme à la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation, il convient de continuer à introduire des recours – fût-ce conservatoires – à l’encontre des cotisations enrôlées en violation du traité fiscal franco-belge.
"Il a fallu quasiment 30 ans pour que la Cour de cassation belge se prononce sur la position adoptée par l'administration fiscale belge en matière de double précompte", souligne l’avocat Grégory Homans, associé gérant du cabinet Dekeyser & Associés. "Dans un arrêt du 16 juin 2017, la Cour a estimé que, dans le cadre du traité franco-belge, la Belgique s’était engagée à éliminer la double imposition via le mécanisme de la QFIE avec un minimum de 15% et ce, indépendamment de toute condition de droit interne belge." La Cour de cassation a donc jugé que si la convention dispose, certes, que la QFIE est déductible dans les conditions fixées par la législation belge, ce mécanisme doit surtout intervenir "sans que cette QFIE puisse être inférieure à 15%". C’est cet extrait du traité franco-belge qui est déterminant, pour la Cour.
Par conséquent, "à défaut d’accorder cette QFIE minimum, la Belgique viole le traité fiscal franco-belge", conclut Me Grégory Homans.
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Application sur le fond
La Cour de cassation a renvoyé l’affaire à la cour d’appel d’Anvers pour qu’elle applique cet enseignement sur le fond de l’affaire. Dans l’attente de cette mise en œuvre de la nouvelle jurisprudence, les conseillers fiscalistes ont encouragé les contribuables à introduire des recours conservatoires.
Mais "l’attente pourrait bientôt prendre fin", nous confie Me Homans. "En effet, d’autres juridictions ont eu à se prononcer sur des situations similaires et ont rendu une décision plus rapidement. C’est notamment le cas de la cour d’appel de Bruxelles. Dans un arrêt du 20 septembre 2018, récemment publié, elle estime que la disposition précitée du traité fiscal franco-belge 'ne peut être interprétée autrement que par l’instauration d’une QFIE minimale de 15% du montant net des dividendes, déductible de l’impôt dû en Belgique, lorsque par application de la législation belge, la QFIE déductible de l’impôt belge est inférieure à cette QFIE minimale fixée par la convention préventive de double imposition'."
Autrement dit, la cour d’appel de Bruxelles suit à la lettre la nouvelle position de la Cour de cassation, plus favorable aux actionnaires belges de sociétés françaises.
"Solliciter le remboursement"
Si la Belgique applique la QFIE, l’investissement par un résident belge dans une action française deviendra fiscalement plus intéressant qu’un investissement dans une action belge.
Face à cette jurisprudence de plus en plus établie, les spécialistes du droit pensent que le fisc belge devra changer son fusil d’épaule et reconnaître, dans une future circulaire, l’application de la QFIE. Mais en attendant, "il convient de continuer à introduire des recours – fût-ce conservatoires – à l’encontre des cotisations enrôlées en violation du traité fiscal franco-belge", estime Me G. Homans. "Dans le cadre de ces recours, il est possible, dans certains cas, de solliciter le remboursement de l’impôt belge trop perçu sur les cinq dernières années."
Le jeu en vaut la chandelle. Pour un dividende français de 100 euros perçu par un Belge, la retenue à la source française sera de 15%. Sur les 85 euros restants, la Belgique appliquerait en principe un précompte de 30% : le montant serait alors diminué de 25,50 euros. Mais quand on déduit de cet impôt belge la QFIE, qui s’élève à 15% de 85 euros, soit 12,75 euros, on aboutit à un précompte belge réduit à 12,75 euros. L’actionnaire belge se retrouvera donc avec un montant net d’impôt de 72,25 euros.
"Suite à l'application de la QFIE, ce montant est supérieur à ce que le contribuable obtiendrait s’il s’agissait d’un dividende belge", souligne Me Homans. En effet, en application du précompte belge, il ne resterait à l’actionnaire que 70 euros net… "Si la Belgique applique la QFIE, l’investissement par un résident belge dans une action française devient donc fiscalement plus intéressant qu’un investissement dans une action belge", résume l’avocat.