L’anxiété est sans doute montée d’un cran chez les Belges qui n’ont pas encore régularisé leurs avoirs à l’étranger. Le message du ministre des Finances, Johan Van Overtveldt (N-VA), est clair: il est plus que temps de régulariser spontanément sa situation via la DLU4 (la procédure de régularisation fiscale permanente), car de toute façon, le fisc belge sait presque tout de vos avoirs à l’étranger, notamment au Luxembourg.
De fait, grâce au système d’échange d’informations financières entre les pays qui a fonctionné pour la première fois en septembre 2017, le fisc a reçu 530.000 informations sur des avoirs détenus par des Belges à l’étranger (situation 2016), en provenance de 38 pays. En septembre prochain, il saura même tout sur leurs avoirs en Suisse, à Monaco ou encore à Hong-Kong (situation 2017).
C’est dans ce contexte de transparence quasi totale — et celui des résultats plutôt décevants de la DLU4 qui a permis au gouvernement de récolter 163 millions d’euros en deux ans, sur les 500 millions escomptés — que Johan Van Overtveldt a récemment battu le rappel, en deux actes.
1er acte: le ministre a fait savoir début février que les inspecteurs de l’ISI (inspection spéciale des impôts) enverraient des demandes de renseignements aux propriétaires de comptes à l’étranger non déclarés (vu qu’ils en connaissent désormais un paquet) en les invitant le cas échéant à régulariser leur situation. Sans réaction, leur dossier sera envoyé au parquet qui peut entamer des poursuites pénales. Problème: l’envoi de ces courriers crée un flou juridique, car la demande de régularisation doit en principe être complètement spontanée pour garantir l’immunité pénale et fiscale au contribuable. Le caractère spontané, et donc la recevabilité de la demande de régularisation, est discutable, selon les fiscalistes, si la procédure est lancée en réaction à une telle demande de renseignements. Ils confirment en tout cas que ces demandes "pleuvent" depuis quelques semaines.
"La fraude fiscale est un délit pénal. Si le contribuable fait l’objet de poursuites par le ministère public, cela peut aller concrètement jusqu’à la confiscation du compte."
2e acte: le ministre, dans une réponse à une question parlementaire publiée mi-mars, a confirmé la possibilité d’introduire une DLU à 1 euro en mode express, ou disons plutôt "à titre conservatoire". Pourquoi ? Les contribuables ont des raisons d’être nerveux et de sentir l’urgence alors que la menace du courrier, et puis du parquet, a été agitée. Comme le rappelle l’avocat Sébastien Thiry du cabinet Dekeyser & Associés, "la fraude fiscale est un délit pénal. Si le contribuable fait l’objet de poursuites par le ministère public, cela peut concrètement aller jusqu’à la confiscation du compte. Le ministère public, au contraire du fisc, n’est pas tenu à un quelconque délai de prescription".
La régularisation fiscale spontanée étant la seule manière d’échapper à coup sûr aux poursuites pénales, les contribuables repentants sont mis au pied du mur. Ils ont donc intérêt à introduire une demande de régularisation avant la réception d’un éventuel courrier. Problème: "il est très difficile d’obtenir dans un délai raisonnable toutes les pièces justificatives pour un dossier de régularisation fiscale. La procédure a été considérablement alourdie avec la DLU4", explique François Parisis, directeur de l’ingénierie patrimoniale à la Banque Transatlantique Belgium.
D’où la possibilité confirmée par le ministre d’introduire une demande de régularisation à 1 euro (c’est-à-dire sans préciser l’ampleur des capitaux à régulariser), à charge pour le contribuable de compléter son dossier dans les six mois. Cette pratique ne sera plus acceptée après le 13 avril.
Date butoir
La nouveauté ne réside pas tellement dans le fait que cette pratique soit acceptée, car c’était déjà le cas avant, mais dans le fait qu’après le 13 avril, elle ne sera vraisemblablement plus valable. "Il est de pratique courante de déposer à titre conservatoire une DLU à 1 euro", poursuit François Parisis. Cependant, "cette pratique peut déboucher sur des abus de la part de certains contribuables qui cherchent à échapper aux poursuites du fisc sans avoir réellement l’intention de régulariser quoi que ce soit. À l’avenir, on devra fixer approximativement le montant à régulariser et on ne pourra éventuellement le modifier qu’à la marge dans les six mois qui suivent le dépôt de la demande". En réalité, en jetant le flou sur "l’après 13 avril", Johan Van Overtveldt poursuit toujours le même but: convaincre les contribuables de déclarer leurs avoirs spontanément et le plus vite possible, pour leur éviter les poursuites pénales.
"Last call" ou coup de com’?
Cependant, la base, pour déterminer le degré d’urgence, est de savoir si la demande de renseignements de l’ISI empêche — ou pas — le contribuable d’introduire une demande de régularisation par la suite et si celle-ci sera bien assortie de l’immunité pénale.
A cette question, Grégory Homans, avocat associé du cabinet Dekeyser répond que "au regard des textes de loi, le titulaire de capitaux étrangers non régularisés qui reçoit une demande de l’ISI relative à une infraction fiscale non prescrite (année 2011 à ce jour) n’est pas autorisé à introduire une DLU. Il sera ainsi privé de l’immunité fiscale et pénale offerte par une DLU4".
Le SDA (service des décisions anticipées) vient de préciser "qu’il sera toujours possible de régulariser des capitaux fiscalement prescrits (année 2010 et antérieures). Dans ce cas, l’ISI va imposer le contribuable pour la période non prescrite et l’inviter à se mettre en règle auprès du point de contact régularisation pour la période prescrite. S’il ne le fait pas, son dossier sera transmis au parquet pour des poursuites éventuelles".
Cependant, selon l’avocat fiscaliste Thierry Litannie, "se mettre en règle tout de suite offre la certitude d’une immunité pénale complète. Si le contribuable attend la lettre de l’ISI, son immunité sera bancale. Car si l’on connaît la position du ministre et du SDA sur la possibilité d’introduire une demande de régularisation après l’envoi du courrier, il reste une grande incertitude sur la position qu’adoptera le parquet". D’où l’intérêt d’introduire une "DLU à 1 euro" sans tarder, afin de bénéficier avec certitude de l’immunité pénale et fiscale.
Immunité
De fait, lorsqu’un contribuable régularise sa situation via le processus permanent de régularisation fiscale, il bénéficie de l’immunité fiscale mais aussi pénale. Cela signifie que le parquet ne peut plus le poursuivre pour l’infraction de fraude fiscale et que le fisc ne peut plus rien lui réclamer.
Il va payer cette immunité au prix fort. Il va en effet devoir régulariser le capital fiscalement prescrit et le capital non prescrit.
Capital prescrit. Comme l’explique Sébastien Thiry, "le capital prescrit est celui sur lequel le fisc ne peut plus exercer son pouvoir d’imposition. Le délai de prescription est de 7 ans (10 ans et 4 mois en cas de succession). Pour régulariser aujourd’hui ces capitaux prescrits, on prend une photo du montant des capitaux au 31/12/2010. Un prélèvement de 38% est appliqué sur le montant de ces capitaux". Ce taux de 38% augmente chaque année avec un plafond de 40%. Si le contribuable peut prouver que l’origine des capitaux est totalement "clean" et qu’ils ont subi leur régime fiscal normal, il n’y a pas de prélèvement. Mais le contribuable est bien "présumé coupable": s’il n’arrive pas à prouver que le capital est blanc, alors l’administration fiscale considère qu’il est noir.
Capital non prescrit. Ce sont tous les capitaux (revenus professionnels, dividendes, intérêts, etc.) accumulés au cours des sept dernières années, soit actuellement depuis le 31 décembre 2010. "Pour régulariser ces capitaux, le contribuable doit actuellement payer l’impôt normal majoré de 23 points de pourcentage. Par exemple, si son compte a produit 100 euros de dividendes, il doit payer le précompte mobilier de 30% majoré de 23 points, soit un taux global de 53%", explique Sébastien Thiry.
La majoration augmente aussi chaque année, avec un plafond de 25 points de pourcentage. Le taux normal correspond au taux qui était en vigueur au moment où l’impôt aurait dû être payé.
"Il reste une grande incertitude sur la position qu’adopterait le parquet si un contribuable a introduit une demande de régularisation après la réception d’une demande de renseignements."
Risque pénal
Le prix de la tranquillité peut donc clairement devenir exorbitant. Cependant, rester sans rien faire avec des capitaux cachés à l’étranger en attendant que le fisc s’en aperçoive est la fausse bonne idée par excellence.
D’abord, parce que la question n’est pas tellement de savoir "si" mais plutôt "quand" le contribuable va tomber dans le radar de l’administration. Pour rappel encore, sauf aux Etats-Unis, le secret bancaire n’existe plus.
Ensuite, le fisc n’a pas le pouvoir d’imposer les capitaux prescrits, mais en revanche, il a le pouvoir d’envoyer des dossiers au parquet. Or, les poursuites au pénal risquent d’être bien plus coûteuses, et elles peuvent- comme expliqué plus haut — aboutir à la confiscation de 100% du capital illicite. Il n’y a dans ce cas aucun délai de prescription.
Enfin, on entend beaucoup dire que le parquet n’aurait jamais le temps ni les moyens humains de poursuivre ces infractions. Il ne faudrait pas trop compter là-dessus non plus… Il peut facilement proposer des procédures de transaction pénales. Dans ce cas, le ministère public informé de la fraude propose au contribuable de payer un certain montant en échange de l’abandon des poursuites. On imagine bien que nombre de contribuables accepteront cette option sans se lancer dans un procès. Et plus facilement les "petits fraudeurs" que les "grands"…