En soustrayant les titres nominatifs de l’assiette de la taxe sur les comptes-titres, le gouvernement "cherche à protéger les sociétés-villas", affirmait récemment le député Ahmed Laaouej, chef de groupe PS à la Chambre. De quoi s’agit-il exactement? "C’est un montage vieux comme le code des impôts, détaille Ahmed Laaouej. Il s’agit pour un particulier de loger son immeuble résidentiel ainsi que son activité professionnelle dans une société, de sorte que les charges d’intérêt de l’emprunt hypothécaire ou encore les frais d’entretien de l’immeuble nettoient le bénéfice de l’activité professionnelle."
Selon lui, la taxe sur les comptes-titres manque son objectif parce qu’elle ne touchera pas les personnes fortunées qui détiennent des actions nominatives de ce type de sociétés dites "de villas". Dans son avis sur l’avant-projet de loi-programme du gouvernement, le Conseil d’État a estimé qu’il existait un risque de discrimination contraire au principe d’égalité dans la mesure où la taxe sur les comptes-titres frappera les actions détenues sur un compte-titres mais pas les actions nominatives, qui sont quant à elle inscrites au registre de sociétés.
Mais d’après des spécialistes du droit fiscal, les sociétés de villas ne sont plus tellement en vogue. On peut donc difficilement affirmer que l’exemption des actions nominatives de la taxe sur les comptes-titres est taillée sur mesure pour ces véhicules juridiques.
Placer un immeuble en société "est une technique qui a eu énormément de succès dans le passé, rappelle Charles Kesteloot, conseiller fiscal et juridique chez Degroof Petercam. Mais depuis quelques années, elle a moins d’intérêt parce que l’avantage en nature comptabilisé dans le chef du gérant de la société a plus que doublé."
Impôt plus élevé
Quand un particulier place son immeuble dans la société qui abrite son activité professionnelle, on considère que la société met ensuite l’immeuble à sa disposition, ce qui représente un avantage en nature, lequel doit être évalué et taxé en conséquence. D’après Charles Kesteloot, la valeur de cet avantage en nature a tellement augmenté dernièrement — ce qui implique un impôt plus élevé — que recourir à ce procédé revient désormais plus cher que de détenir l’immeuble en tant que particulier avec, à la clé, l’éventuel avantage fiscal lié à l’emprunt hypothécaire.
L’intérêt de placer l’immeuble en société est donc bien moins grand qu’auparavant. Et ce, même si l’on parvient à imputer les charges de l’immeuble sur les bénéfices de la société. Car, là aussi, les choses se sont corsées depuis quelques années. "L’administration a remis en question la déductibilité des charges immobilières, explique Pierre-François Coppens, secrétaire général de l’Ordre des experts comptables et comptables brevetés de Belgique. Pour que ces charges soient admises, il faut que la mise à disposition de l’immeuble soit la contrepartie du travail que le contribuable réalise pour sa société. Or, l’administration applique désormais la ‘théorie de la rémunération’ qui implique que le contribuable doit prouver qu’il a vraiment mouillé sa chemise pour la société."
Et cette preuve n’est pas toujours évidente à rapporter. "L’administration fiscale, appuyée par la Cour de cassation, a jugé à plusieurs reprises que des contribuables n’avaient pas suffisamment démontré la réalité des prestations justifiant la mise à disposition de l’immeuble par la société", précise Pierre-François Coppens.
Lourde sanction
Le problème est que l’appréciation des prestations du contribuable pour son activité professionnelle "est très subjective", remarque Pierre-François Coppens. "Prenons le cas typique d’un médecin qui travaille en société et qui a installé dans sa maison un cabinet secondaire. Qui peut juger que ce médecin a été suffisamment actif pour justifier la mise à disposition de l’immeuble par sa société? L’administration exige, pour admettre la déductibilité de charges importantes, que l’on démontre la réalité des prestations, ce qui implique de documenter le travail réalisé au moyen d’agenda, de time-sheets (feuilles d’horaires de prestations, ndlr), etc. Cela peut s’avérer très lourd."
Et la sanction en cas de refus par le fisc est tout aussi lourde: la déduction des charges est rejetée, alors que l’avantage en nature est, lui, taxé! Le contribuable est alors perdant sur les deux tableaux…
Si bien qu’actuellement, "la question est plutôt de sortir l’immeuble de la société", indique Charles Kesteloot. "Mais le problème est que généralement, la valeur de l’immeuble a été amortie dans les comptes de la société. Il faut donc payer l’impôt des sociétés sur la plus-value, ainsi que les droits d’enregistrement sur le transfert de propriété." Au point que, quand un Belge veut vendre sa maison qu’il détient en société, il préférera vendre les parts de sa société-villa tout en acceptant une décote liée à la "latence fiscale" qu’implique le montage, à savoir le fait que le nouveau propriétaire devra payer des taxes le jour où il voudra sortir la maison de la société…
Voilà pourquoi les sociétés-villas n’ont plus vraiment la cote. Ceux qui en détiennent encore ne se réjouiront donc pas outre mesure de leur exclusion du champ d’application de la taxe sur les comptes-titres.