La réforme du droit civil successoral a été publiée au Moniteur belge le 1er septembre dernier. Les futures règles, qui reflètent l’évolution de la société – en intégrant la réalité des familles recomposées et des nouvelles formes de vie commune — n’entreront toutefois en vigueur qu’au 1er septembre 2018.
Cette période de transition offre un espace privilégié pour vous assurer de la pertinence des dispositions que vous avez déjà prises au vu des modifications qui se profilent. Peut-être ces dernières vous conviendraient-elles mieux? Ou au contraire risquent-elles d’avoir un impact négatif sur vos projets?
Si "la philosophie de la réforme est globalement positive et bien accueillie, elle est toutefois susceptible d’occasionner des dégâts collatéraux. Il est possible de les éviter en anticipant la réforme pour s’assurer de l’adéquation de sa situation avec les nouvelles règles", prévient Grégory Homans, avocat spécialisé en droit patrimonial et fiscal, associé au cabinet Dekeyser & Associés. Illustrons le propos par des exemples de situations communes.
Le rapport des donations
Aujourd’hui, le rapport de la donation d’un bien meuble doit se faire en valeur au jour de la donation, tandis que celui d’un bien immeuble doit se faire en nature à la valeur au jour du décès.
Exemple
Stéphane a deux enfants. Il donne à Thomas un immeuble d’une valeur de 500.000 euros et à Sophie l’équivalent en cash, montant avec lequel elle achète un immeuble. Stéphane décède dans une quarantaine d’années. L’immeuble de Thomas devra être rapporté à la succession en nature au jour du partage. Disons qu’il vaudra alors 1,5 million d’euros. Sophie devra, pour sa part, rapporter le cash qu’elle a reçu à sa valeur au jour de la donation, soit 50.000 euros. Fictivement, la succession de Stéphane se compose de 2 millions d’euros. Chacun des enfants a donc droit à la moitié: 1 million d’euros. Thomas devrait par conséquent verser 500.000euros à sa sœur. S’il ne dispose pas de cette somme, il pourrait être contraint de vendre l’immeuble qu’il a reçu. "L’application des règles actuelles ne permet pas de rencontrer l’équité souhaitée par le parent donateur", souligne Me Homans. La réforme corrigera cet écueil.
À l’avenir, toutes les donations (mobilières et immobilières) seront rapportées en valeur au jour de la donation indexée au jour du décès. Le bénéficiaire de la donation est ainsi assuré de pouvoir conserver le bien qu’il a reçu.
"Ce qui est équitable dans certaines situations ne l’est pas forcément dans une autre. En planification patrimoniale, tout est question de nuance", précise l’avocat.
Exemple
Stéphane est à la tête d’une société familiale qui vaut 1 million d’euros. Il a toute confiance en Sophie, qui a d’ailleurs déjà investi dans la société, alors que Thomas est plus bohème et moins fiable. À l’heure de planifier sa succession, Stéphane va devoir en tenir compte. Il décide dès lors de donner la nue- propriété de son entreprise à Sophie et d’en rester usufruitier. Pour lui, cela ne change rien: il vote aux assemblées générales, désigne le gérant de la société – donc lui-même —, se paie un revenu, etc. Pour ne pas léser Thomas, Stéphane a pris soin de faire une donation en avancement d’hoirie, ce qui obligera Sophie à partager au décès de son père. La société, qui a entre-temps bien prospéré, vaut alors 10 millions d’euros. Si Stéphane n’anticipe pas, Thomas ne récupérera en effet que 500.000 euros et non pas 5 millions. Cela fait une sacrée différence.
"Si la philosophie de la réforme est globalement positive et bien accueillie, elle est toutefois susceptible d’occasionner des dégâts collatéraux. Il est possible de les éviter en anticipant."
"Il est encore possible d’éviter ce ‘drame familial. Le donateur peut prévoir, si la donation a été réalisée avant le 1er septembre 2018, que l’enfant gratifié devra effectuer le rapport successoral au décès du donateur, en nature et à la valeur au jour du décès. Ces modalités de rapport s’appliqueront même si le donateur décède alors que la réforme est entrée en vigueur", souligne Grégory Homans.
Vous souhaitez que les anciennes règles s’appliquent aux donations que vous avez déjà consenties? C’est possible si:
- vous avez expressément stipulé que ces donations étaient rapportables en nature à la valeur au jour du décès;
- vous amendez en ce sens, d’ici au 31 août 2018, les donations réalisées avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi. Pour ce faire, il est prudent de s’adresser à un professionnel (avocat, notaire).
Donation définitive versus donation en avancement d’hoirie
"Il est essentiel de garantir une souplesse suffisante à la personne qui anticipe le transfert de son patrimoine à la génération suivante. En effet, ses besoins, souhaits, attentes et objectifs évoluent au fil du temps et elle doit pouvoir en tenir compte", poursuit l’avocat. Les familles recomposées, la mobilité internationale et l’allongement de l’espérance de vie par exemple peuvent amener une personne à (devoir) changer ses plans initiaux.
Aujourd’hui, une donation en avancement d’hoirie (c’est-à-dire une avance sur héritage qui doit donc être rapportée à la succession) peut être modifiée ultérieurement en donation "préciputaire" et hors part. En revanche l’inverse n’est pas possible.
"La nouvelle loi permet désormais une modification dans les deux sens, moyennant l’accord du donataire". Concrètement, si au fil de la vie, les liens entre Stéphane et ses enfants se sont distendus et qu’il souhaite gratifier davantage son cousin Thierry, dont il s’est rapproché, il retrouvera la liberté de faire pleinement usage de sa quotité disponible (qui passera à 50% suite à l’entrée en vigueur de la réforme). Moyennant l’accord de ses enfants, il pourra requalifier les éventuelles donations définitives qu’il leur a faites en donations en avancement d’hoirie et accroître ainsi la part dont il peut disposer librement. "Cette modification peut également être formalisée dans un testament à condition que la personne gratifiée l’accepte", précise Grégory Homans.
L’objectif du pacte successoral n’est pas d’arriver à un équilibre parfait, mais à une situation d’équité où chacun trouve son compte et se satisfait de ce qu’il reçoit (au moment où le pacte est conclu).
Le pacte successoral
"Aujourd’hui, une personne a déjà la possibilité, via le recours à certaines dispositions légales complexes, de renoncer anticipativement à ses droits sur la succession au profit d’autre(s) héritier(s), rappelle Grégory Homans. Autre possibilité: en présence d’enfants d’une union précédente, il est possible d’insérer une clause Valckeniers dans le contrat de mariage conclu avec le nouveau conjoint. Ceci permet de limiter la vocation successorale du conjoint survivant à l’usufruit du logement familial et des meubles le meublant", précise l’avocat.
À l’avenir, la possibilité de conclure des pactes successoraux facilitera les choses. "Il ne faudra plus chercher à contourner les obstacles. Le pacte successoral sera autorisé moyennant le respect de certaines formalités. Ce nouvel instrument, qui offre des perspectives inédites, contribuera au maintien de la paix familiale", s’enthousiasme Grégory Homans.
Rappelons que le principe du pacte est de permettre à toutes les parties concernées de prendre connaissance des libéralités qui leur ont déjà été respectivement consenties et, moyennant un équilibre (subjectif) entre eux, de s’accorder pour renoncer à solliciter tant la réduction que le rapport de ces libéralités. L’objectif du pacte n’est donc pas d’arriver à un équilibre parfait, mais à une situation d’équité où chacun trouve son compte et se satisfait de ce qu’il a (à ce stade). Il s’agit donc de remettre en quelque sorte les comptes à zéro au moment où le pacte est conclu (attention, il n’est pas possible de revenir en arrière), pas de décider ce qu’il adviendra du reste du patrimoine au jour du décès!
La réserve des enfants et du conjoint survivant
La réforme ne touche pas à la réserve du conjoint survivant, qui correspond à l’usufruit sur la moitié de la succession. Par contre, la réserve globale des enfants est réduite à la moitié du patrimoine du défunt, alors qu’aujourd’hui elle varie selon leur nombre (si vous avez un enfant, sa réserve se monte à la ½ de votre patrimoine, si vous avez deux enfants, leur réserve est d’1/3 chacun, si vous avez trois enfants, leur réserve est d’1/4 chacun)!
Dès lors, pour limiter les sources de tensions entre le conjoint survivant et les enfants et pour assurer un meilleur équilibre entre eux, la loi prévoit que désormais l’usufruit du conjoint survivant est imputé en priorité sur la quotité disponible.
Aujourd’hui, le rapport de la donation d’un bien meuble doit se faire en valeur au jour de la donation, tandis que celui d’un bien immeuble doit se faire en nature à la valeur au jour du décès.
Exemple
Stéphane attribue la quotité disponible (50%) de son patrimoine à son cousin Thierry. Ses enfants Sophie et Tomas reçoivent leur réserve (50%, soit 25% chacun), tandis que son épouse Laurence hérite de l’usufruit sur la moitié de la succession. Aujourd’hui, cet usufruit est appliqué à parts égales sur la part des enfants et sur celle du cousin. Tous "subissent" donc l’usufruit de l’épouse survivante. Grâce à la réforme, Sophie et Thomas hériteront de leur part en pleine propriété, tandis que l’usufruit de Laurence s’appliquera en totalité sur la part reçue par le cousin.
La réforme s’inscrit également dans une évolution plus globale du droit civil successoral belge et européen, ajoute Grégory Homans. Le Règlement européen en matière de succession (entré en vigueur le 17 août 2015) permet à tout citoyen de choisir le droit civil qui régira l’ensemble de sa succession: en principe, c’est le droit de l’État où il est domicilié, mais il peut décider que ce sera celui de l’État dont il a la nationalité. "Contrairement au nôtre, certains droits civils étrangers ne reconnaissent pas de réserve héréditaire au conjoint survivant. C’est notamment le cas du droit luxembourgeois et du droit allemand", observe le spécialiste.
Il y a des cas où la possibilité de faire un choix est intéressante. "Prenons le cas d’un groupe familial dont le pacte d’actionnaires prévoit que la cession des actions est exclusivement réservée aux descendants en ligne directe du fondateur. Si la dévolution légale (voire la dévolution testamentaire dans les limites de la réserve héréditaire du conjoint) s’applique, le conjoint survivant acquerra des droits sur ces titres. Cela pourrait permettre, le cas échéant, aux autres actionnaires descendants en ligne directe du fondateur d’acquérir les droits recueillis par le conjoint. Cette acquisition fera évoluer l’actionnariat et l’équilibre parfois fragile entre les branches familiales. Actuellement, l’une des manières d’éviter ce risque est, dans la mesure du possible, de tirer profit du Règlement européen et de soumettre sa succession à un droit étranger qui ne reconnaît pas la réserve héréditaire du conjoint survivant, souligne Me Homans. La réforme du droit civil successoral belge apportera d’autres solutions à cette situation délicate, notamment la possibilité de conclure un pacte sur une succession future", conclut-il.
La réforme du droit successoral en quelques points
- La réserve globale des enfants est réduite à la 1/2 de la succession dans tous les cas. Aujourd’hui, elle varie selon le nombre d’enfants.
- La réserve des ascendants est supprimée. Elle est remplacée par une créance alimentaire à charge de la succession si le parent est dans le besoin.
- La réserve du conjoint survivant est imputée prioritairement sur la quotité disponible. Aujourd’hui, elle est imputée proportionnellement sur la réserve des enfants et sur la quotité disponible.
- Pour le rapport ou la réduction, la valorisation des donations (mobilières ET immobilières) sera réalisée sur la base de la valeur intrinsèque des biens donnés au jour de la donation, indexée au jour du décès. Sauf pour les donations avec réserve d’usufruit. Aujourd’hui, le rapport des biens immobiliers se réalise en nature selon la valeur au jour du partage, alors que celui des biens mobiliers se réalise selon la valeur au jour de la donation.
- Il sera désormais possible de conclure des pactes successoraux. Les parties s’accorderont pour renoncer à solliciter tant la réduction que le rapport des libéralités qui leur ont été consenties. Il ne s’agira pas de décider ce qu’il adviendra du reste du patrimoine au jour du décès.