Avec l’augmentation de l’espérance de vie, les enfants héritent de plus en plus tard. Souvent à 50 ou 60 ans, voire davantage, un âge où ils ont déjà constitué leur patrimoine et où ils s’apprêtent à aider leurs propres enfants à s’installer après avoir financé leurs études. Quand ils sont en mesure de le faire. Ce contexte influence grandement la façon dont on planifie sa succession. Sans compter les motivations d’optimisation fiscale. Le choix de gratifier davantage ses petits-enfants est en tout cas régulièrement privilégié. Et la réforme du droit successoral qui entrera en vigueur le 1er septembre prochain devrait encore faciliter les choses.
"Le fait de sauter (partiellement) une génération est devenu de plus en plus fréquent."
La possibilité de conclure un pacte successoral qui mettrait d’accord les héritiers sur un certain nombre de choses devrait en effet encourager les grands-parents à distribuer une partie de leur patrimoine de leur vivant. "La réforme ouvre en outre des perspectives supplémentaires au testateur puisqu’elle limite la réserve de ses enfants à la moitié du patrimoine (et ce quel que soit leur nombre)", souligne Nicolas Cellières, conseiller en planification patrimoniale (Optivy). Chacun disposera dès lors de l’autre moitié de son patrimoine pour favoriser qui bon lui semble: ses petits-enfants par exemple. C’est donc déjà un gros morceau qui peut ainsi leur être octroyé. "Le fait de ‘sauter’ ainsi (partiellement) une génération est devenu de plus en plus fréquent", confirme Corentin Minne, associé chez Pareto Financial planning. Il est même possible de pousser cette logique à son paroxysme: des parents peuvent carrément renoncer à leur part d’héritage au profit de leurs enfants. Mais c’est une option radicale quasiment jamais privilégiée.
Quelles sont les formules qui s’offrent à vous, de la plus classique à la plus audacieuse, en passant par celles qui vous permettent de garder (en partie) le contrôle sur (ce qu’il adviendra de) votre patrimoine.
Le testament
Utilisez la quotité disponible. Un testament offre beaucoup de souplesse: il est modifiable et révocable à tout moment. Et pour gratifier vos petits-enfants, pas besoin de l’accord de votre fils ou de votre fille. Vous devrez cependant veiller à respecter leur part réservataire (lire encadré) et faire usage uniquement de votre quotité disponible. Et encore… "Vous pouvez tenter de léguer davantage que la quotité disponible à vos petits-enfants. Il se peut très bien qu’in fine, personne ne s’en plaigne", suggère Corentin Minne.
Le testament reste l’instrument le plus utilisé pour sauter une génération. À des fins fiscales notamment. Dans une famille comptant trois générations, si on ne prend aucune disposition, on risque en effet de payer deux fois les droits de succession sur un même patrimoine: vos enfants en paient lorsqu’ils héritent de vous et leurs propres enfants paient à leur tour des droits de succession sur une partie de cet héritage lorsque leurs parents décèdent. Vous pouvez limiter la part du fisc en "scindant" l’héritage entre vos enfants et vos petits-enfants. Tous bénéficient des droits de succession en ligne directe (les plus avantageux) mais la progressivité des droits de succession est rompue: le montant à payer sera ainsi moins élevé.
Rédigez un testament de grand-père/de grand-mère. Dans ce cas, vos enfants héritent de la totalité de votre patrimoine, mais à leur décès, ils ont la charge d’accorder à leurs propres enfants un montant que vous aurez préalablement fixé: par exemple 25.000 euros. Vos petits-enfants n’ont donc rien en main directement. À votre décès, ils héritent d’une créance sur leur parent.
Cette formule est fiscalement intéressante: votre enfant paie des droits de succession sur la part dont il hérite dont on retranche la part réservée à son/ses propres enfant(s) (vos petits-enfants, donc). Lorsque votre enfant décède à son tour, la créance est déduite de l’actif successoral. Les droits de succession à payer par vos petits-enfants sont calculés sur le solde.
La donation
La donation a le mérite d’être simple. Mais l’inconvénient, c’est qu’elle est irrévocable. Or il est déconseillé de se dépouiller prématurément d’une partie significative de son patrimoine. Compte tenu de l’augmentation de l’espérance de vie (et des frais que cela engendre: maison de repos, soins de santé) des loisirs dont on souhaitera profiter si on est en bonne santé à la retraite et de la faiblesse des pensions, il faut garder une poire pour la soif.
Si l’idée est de permettre au donateur de conserver un revenu – et c’est souvent le cas —, il convient d’opter pour une donation avec réserve d’usufruit, avec charge de rente. "Dans le cas d’un immeuble, le donateur se réservera plus volontiers l’usufruit. Si la donation concerne des avoirs mobiliers, il est important d’opter pour une stratégie d’investissement adaptée", insiste Nicolas Cellières. "L’usufruitier d’un portefeuille principalement investi en produits de capitalisation, ne sera pas gâté: il n’en tirera aucun revenu", cite-t-il en exemple. Une situation qui n’est pas optimale non plus pour le nu-propriétaire puisqu’il ne peut pas vraiment profiter de sa donation.
"Si le petit-enfant est (très) jeune, il faut prendre des précautions pour éviter tout risque de dilapidation du patrimoine. Dans ce cas, passer par un contrat d’assurance est une bonne solution."
Il est d’autres cas où il convient de prendre des précautions au cas où la donation reviendrait prématurément dans les mains d’un trop jeune enfant. "Rares sont les parents qui s’opposent à une donation à leurs propres enfants! Ils sont plutôt demandeurs de ce genre de solution, pour autant que cela reste dans des proportions cohérentes et qu’ils ne soient pas eux-mêmes dans le besoin", souligne Corentin Minne. Par contre, les parents posent des questions pratiques très pertinentes. À quel âge l’enfant aura-t-il accès à ces avoirs, pourra-t-il en disposer librement? "Il faut effectivement prendre des précautions pour éviter tout risque de dilapidation du patrimoine. Nous prévoyons toujours le plus de contrôle possible sur une donation. Libre ensuite au donateur d’appliquer ou non les clauses prévues. Cependant, en cas de décès prématuré du donateur, les clauses qui valaient entre lui et le donataire tombent. Si le petit enfant est encore très jeune et qu’aucun garde-fou n’est prévu, il n’y a rien à faire", met en garde Corentin Minne
Pour éviter ce risque les deux spécialistes de la planification successorale recommandent de passer par des contrats d’assurance.
Le contrat d’assurance-vie
Dans les scénarios esquissés, l’objectif n’est pas l’optimisation fiscale mais la préservation du patrimoine.
"Le grand-père est le preneur du contrat, l’assuré est le fils et le bénéficiaire le petit-fils. Le terme du contrat est fixé à ses 25 ans. Comme le petit-fils n’est pas le preneur de l’assurance, certes il devra payer des droits de succession. Mais dans l’hypothèse où le grand-père décède prématurément, le contrat continuera à courir tant que le père est en vie et l’argent ne sera libéré qu’aux 25 ans du petit-fils. Ce qui en théorie limite les risques de dilapidation du patrimoine", détaille Corentin Minne.
Autre exemple. "Vous faites donation de 20.000 euros à un petit-enfant. La donation est assortie d’une charge prévoyant que le petit-enfant va souscrire un contrat d’assurance-vie et y investir le montant reçu. Votre petit-fils est à la fois le preneur du contrat et l’assuré. Il vous désigne comme bénéficiaire en cas de décès. Cela permet d’exercer la clause de retour conventionnel. Mais évidemment, le petit-enfant reste libre de racheter son contrat d’assurance. Pour cadenasser davantage le dispositif, on peut prévoir une clause d’acceptation du bénéfice par les bénéficiaires décès", expose Nicolas Cellières. "Rien n’empêche non plus de prévoir une rente sortie du contrat d’assurance-vie par le biais de rachat. Si c’est prévu dans l’acte de donation de base, aucun souci", ajoute-t-il.
Le (rarissime) saut de génération
Depuis 2013, il est possible de "sauter" une génération: votre enfant renonce dans ce cas à sa part de votre succession au profit de ses propres enfants. Mais vous (le testateur) n’avez naturellement pas voix au chapitre. C’est à votre enfant de prendre cette décision très lourde de conséquences à plusieurs titres.
- Si un parent renonce à sa part d’héritage au profit de ses enfants, c’est "tout ou rien", il ne peut pas en conserver une partie et donner l’autre.
- Tous les enfants ne sont pas à même de prendre des décisions judicieuses s’ils se retrouvent soudain à la tête d’un patrimoine important, a fortiori s’ils sont très jeunes!
- Le parent peut marquer son accord du vivant du grand-parent, mais rien ne garantit qu’il ne changera pas d’avis ensuite. Renoncer à un héritage n’est en effet possible qu’après un décès. C’est donc une source d’incertitude pour tout le monde.
Nouvelles opportunités à partir du 1er septembre 2018
L’entrée en vigueur de la réforme du droit successoral permettra
… à un enfant de renoncer préalablement à sa part d’héritage au profit de ses propres enfants. Les grands-parents seront ainsi assurés que le saut générationnel sera maintenu après leur décès.
… de coupler un pacte ponctuel à une donation. Les enfants pourront, de façon anticipée, s’engager à renoncer à leur réserve quant à une donation déterminée. Cela permettra par exemple d’avantager un petit-enfant handicapé.
… de fixer définitivement la valeur du bien donné, soit dans l’acte de donation, soit dans une convention ultérieure. Chacune des parties intéressées sera dès lors assurée d’éviter toute discussion ultérieure.
… de faire un pacte relatif au rapport pour autrui. Ce nouvel instrument permet de déroger à la règle selon laquelle un héritier ne doit rapporter que ce qu’il a lui-même reçu.
"Certains grands-parents veulent traiter chaque petit-enfant sur un pied d’égalité et leur donner tous la même chose, peu importe que leur fils ait deux enfants et leur fille quatre, par exemple. D’autres souhaitent en revanche respecter l’équilibre par branche, estimant que leurs héritiers sont (d’abord) leur fils et leur fille. L’évolution législative va encadrer les deux systèmes", observe Corentin Minne. Un exemple. "Christian, père de Sophie et Bruno. Christian fait une donation à Sébastien, le fils de Sophie, parce qu’il est déjà majeur, mais ne souhaite pas pour autant désavantager l’autre ‘branche’familiale (celle de Bruno). Dans ce cas, Sophie pourra accepter de rapporter la donation de Christian consentie à Sébastien. Dans la succession de Christian, cette donation viendra donc diminuer la part de Sophie", explique Corentin Minne. Actuellement, on peut faire des donations à ses petits-enfants, tant que la réserve de ses enfants est respectée, c’est accepté. "Cela peut toutefois générer des inégalités entre branches si le nombre de petits-enfants diffère."
La réserve
Aujourd’hui… et à partir du 01.09.2018
Quoi que vous fassiez en matière de planification successorale, vous devez toujours respecter la réserve (ou part réservataire) de vos enfants, c’est-à-dire la partie de votre patrimoine qui leur est réservée par la loi.
- Un enfant a droit au minimum à la ½ de votre patrimoine,
- 2 enfants ont droit ensemble à 2/3,
- 3 enfants ou plus ont droit ensemble à ¾ de votre patrimoine.
- Le reste, c’est-à-dire la quotité disponible est la part dont vous pouvez disposer librement pour gratifier qui bon vous semble.
- À partir du 1er septembre 2018 la réserve globale des enfants équivaudra à la 1/2 de votre patrimoine, quel que soit leur nombre. Un système qui avantage nettement l’enfant unique.