Au moment de régler une succession, les héritiers doivent rapporter (c’est le terme) tout ce qu’ils ont déjà reçu du défunt. Cet inventaire inclut les immeubles, les sommes d’argent et titres (actions, obligations, bons de caisse), les autres biens meubles (mobilier, bijoux, objets d’art, etc.), les donations indirectes (remises de dettes sans paiement, fausses reconnaissances de dettes, dettes payées par le défunt de son vivant…) ainsi que les avantages à titre gratuit consentis de son vivant par le défunt.
Le rapport permet de vérifier que les héritiers réservataires (conjoint, enfants, parents) ont bien reçu la part de la succession qui leur est attribuée par la loi.
Oublis, cachoteries, inégalités, contestations, tensions….
Ça, c’est la théorie. Car ce vaste programme est évidemment la source de potentiels blocages, contestations et conflits.
Car comment cela se passe-t-il en pratique, quand certains ont des trous de mémoire (volontaires)? Quand on suppose — ou que l’on sait pertinemment — que l’un ou l’autre a été clairement avantagé, par exemple parce qu’il recevait très régulièrement et depuis des années, 100 ou 1.000 euros. Certes on peut comprendre, tolérer, mais jusqu’à quel point?
Autre grand classique: Papy a trois filles. Seules deux ont des enfants: respectivement un et trois. Papy glisse de généreuses enveloppes à ses 4 petits-enfants à chaque occasion (bulletin, anniversaire, Saint-Nicolas, Noël), ce qui, en soi, est bien normal. Cependant, à l’heure des comptes, comment nier que certaines ont été lésées dans l’histoire? Bref, comment cela se passe-t-il en cas de suspicion ou de contestation? Faut-il fournir des preuves? Comment fait-on les comptes?
"C’est une matière complexe, reconnaît Frédéric Lalière, avocat spécialisé dans les matières successorales. En cas de litige, si de prime abord l’argent semble le moteur de l’action judiciaire, on se rend compte qu’en réalité, ce sont surtout des haines, des règlements de compte ou des choses mal comprises — et qui remontent parfois à plusieurs décennies — qui refont surface et dont on attend réparation."
Donation ou simple avantage?
"À la base, il n’y a d’ailleurs pas forcément de dispute, observe-t-il, donnant en exemple ces familles où tout le monde sait qu’un des frères/sœurs, parce qu’il/elle est dans le besoin ou simplement plus proche (géographiquement ou affectivement) a été avantagé(e)". Mais il y a comme un malaise. Que faire? "Il faut commencer par faire la différence entre ce qui constitue une donation et ce qui est un simple avantage, comme un kot qui a été payé pendant les études, un voyage d’un an aux USA après la rhéto, etc".
Certains cas sont sujets à appréciation, d’autres moins. Pour qu’il y ait donation, il faut intention de libéralité, envie et intention de gratifier.
S’il s’agit de versements d’argent substantiels et répétés qui, in fine, représentent 50.000 euros pour un seul enfant par exemple, le doute n’est pas vraiment de mise. "Il semble clair que c’est au préjudice des autres enfants. Cet argent n’existe plus dans la masse successorale au décès du parent, explique l’avocat spécialisé. Il faut dans ce cas demander une enquête bancaire par courrier au ‘service succession’ des banques où le défunt avait un compte pour demander un historique (jusqu’à 10 ans). Cela coûte quelques centaines d’euros."
L’opération sera plus délicate si des sommes ont été données de la main à la main… Le retrait régulier de montants ne correspondant ni aux besoins ni au train de vie de la personne, par exemple, peut constituer une piste de preuve, en cas de suspicion. "Mais faute de preuve directe et si la conciliation échoue, il faudra se résoudre à entamer une procédure de liquidation partage judiciaire", poursuit Me Lalière. Ce qui coûtera 5.000 à 8.000 euros en moyenne (frais judiciaire, huissier, avocat). L’avantage, c’est que "lors de la prestation de serment devant le notaire liquidateur, souvent les gens prennent peur à l’idée de mentir et confessent alors ce qu’ils ont reçu. Une autre solution est de demander un serment décisoire (mode de preuve). Mais si on ne dispose d’aucun écrit, il n’y a pas grand-chose à faire ni à espérer", prévient-il.
Le pacte successoral pour éviter les conflits en aval
Aujourd’hui du moins. Car le nouveau droit successoral va ouvrir une brèche intéressante avec la possibilité de conclure un pacte successoral (global ou partiel). Concrètement, à partir du 1er septembre, le testateur et ses héritiers pourront se mettre autour d’une table pour faire l’inventaire des biens et avantages déjà reçus par les uns et les autres, entendre le point de vue et les éventuelles doléances de chacun, avant de s’accorder éventuellement sur un partage qui sera alors contraignant (non contestable).
Une façon de remettre les compteurs à zéro via un "deal" dans lequel chacun trouve son compte et s’estime satisfait de ce qu’il a, sachant que ce n’est pas l’égalité parfaite (impossible à atteindre) mais un partage équilibré qui sera recherché. De quoi contribuer à pacifier le terrain et soulager les esprits.
"Si vous êtes au courant de quelque chose qui est susceptible d’être une source de crispations et a fortiori si l’entente est plutôt bonne dans votre famille, ce sera le moment de mettre la question sur la table pour éviter les problèmes et conflits en aval", suggère Frédéric Lalière. Lequel reprend l’exemple de Papy qui a donné des enveloppes à ses petits-enfants, générant d’inévitables rancœurs dans le chef des tantes qui n’ont pas (le même nombre) d’enfants et qui s’estiment à juste titre lésées. "Dans le cadre du pacte successoral, il sera possible de procéder à un rapport pour autrui, explique l’avocat. Les mères des enfants qui ont reçu de l’argent de papy s’engageront à restituer le montant que leurs enfants ont reçu à la masse successorale au décès de leur père, afin d’assurer l’égalité entre toutes les filles".
Imaginons maintenant que l’une des filles a pu habiter gratuitement pendant des années dans un appartement appartenant au papa. "Certains tribunaux considèrent que le fait pour des parents de laisser un enfant occuper gratuitement un immeuble est une donation. Un expert détermine dans ce cas la valeur locative du bien, que l’on multiplie par le nombre de mois où l’enfant est resté dans le logement pour obtenir le montant de la donation. D’autres tribunaux estiment en revanche qu’il ne s’agit pas d’une donation mais de l’obligation naturelle pour les parents d’aider un enfant…" met en garde Frédéric Lalière. Typiquement aussi une situation qui pourra éventuellement être débroussaillée et résolue dans le cadre d’un pacte.
Usufruit et familles recomposées
Les risques de conflit sont évidemment plus importants dans les familles recomposées, notamment à cause de l’usufruit du conjoint survivant, note l’avocat. En effet, lorsqu’au décès, les enfants deviennent nus-propriétaires (propriétaires, mais privés du droit d’usage et de jouissance du bien) tandis que le conjoint survivant devient usufruitier, cela génère souvent des frustrations. Et cette situation risque de durer de longues années, l’usufruit ne s’éteignant qu’au décès.
Là encore, la nouvelle loi va offrir une porte de sortie "puisqu’elle accorde au conjoint survivant comme aux beaux-enfants (enfants non communs) le droit absolu à la conversion de l’usufruit sur simple demande, par voie extrajudiciaire". L’usufruit sera alors converti soit en une somme, soit en une rente indexée et garantie. Pour déterminer la valeur de l’usufruit, on se base sur des tables de conversion qui tiennent compte de l’âge et du sexe de l’usufruitier.
Attention:
- les enfants communs d’un couple n’ont pas ce droit d’initiative!
- la conversion de l’usufruit du logement familial et des meubles qui le garnissent requiert le consentement du conjoint du survivant! S’il refuse, seul l’usufruit des autres biens de la succession pourra être converti.