Le nombre de cas de Covid-19 en Belgique étant reparti à la hausse, le Conseil national de sécurité (CNS) s'est réuni lundi afin de prendre des mesures pour endiguer la propagation de l'épidémie. Parmi les mesures annoncées par la Première ministre Sophie Wilmès: un retour au "télétravail lorsque c'est possible".
La Belgique est l’un des pays européens qui a compté le plus d’actifs en télétravail durant le confinement, selon une étude du prestataire de services RH SD Worx: 62% contre une moyenne de 57%. Et ce alors que 4 employés sur 10 n’avaient jamais télétravaillé avant!
Il est vite apparu que cette alternative, qui fait de très nombreux adeptes, laissera des traces durables. Kathelijne Verboomen, la directrice du Centre de connaissances d’Acerta, constate déjà que "pour beaucoup d’entreprises, dans les services notamment, la norme est trois jours à la maison et deux jours au bureau". SD Worx table sur deux à trois jours de télétravail par semaine, sur le long terme.
"Un salarié qui déclare soudain ses frais réels allume directement des signaux du côté du fisc et s’expose dès lors à un contrôle."
Le confinement a fait prendre conscience aux patrons les plus réticents que le télétravail était non seulement souvent possible, mais qu’il avait garanti la continuité ou parfois la survie du business. À l’avenir, il faudra donc préserver et combiner le meilleur des deux mondes.
Update de la CCT et des contrats
Les règles qui régissent le télétravail structurel sont fixées dans une Convention collective du travail de 2005, qui nécessitera un update. "Notamment pour fixer les règles en matière d’indemnisation des frais dans le règlement de travail, souligne Vincent Chiavetta, avocat spécialisé en droit du travail (Litis-s). Cela devra faire l’objet d’une conciliation sociale avec les (représentants) des travailleurs."
"Le contrat de travail (ou un avenant à celui-ci) devra prévoir les modalités du télétravail: matériel mis à disposition, dédommagement pour l’utilisation d’un espace privé, d’un PC et d’un GSM personnels pour des besoins professionnels, etc. Le contrat de travail devra au minimum prouver le caractère structurel du télétravail", ajoute Nicolas Tancredi, avocat spécialiste des Rémunérations (Younity).
Quelles indémnités?
Depuis qu’ils sont assignés à résidence, les salariés assument des frais d’eau, de gaz et électricité, de connexion internet, d’assurances, etc. Une pièce de leur maison est devenue un bureau. Du coup, beaucoup s’interrogent: serai-je dédommagé? Dans le cadre du télétravail structurel, l’employeur peut accorder une indemnité de bureau de 129,48 euros par mois qui couvre le chauffage, l’électricité, le petit matériel de bureau. Il peut également accorder un forfait pour l’utilisation de son propre PC (20 euros/mois) et de sa propre connexion internet (20 euros/mois), précise SD Worx. Enfin, l’indemnité de bureau peut être remplacée par un forfait (10% de la rémunération/jour télétravail) et les frais non couverts peuvent être remboursés sur la base des frais réellement encourus.
"Ce système est déjà validé par le SPF Finances et SPF Sécurité sociale. L’employeur est sûr d’être ‘dans les clous’ et de ne pas risquer de requalification en rémunération déguisée", explique Me Chiavetta. Il pourrait donc facilement être appliqué à tous les employés désormais concernés.
Déclarer vos frais réels?
Certains se demandent toutefois s’il ne devient pas intéressant d’opter désormais pour les frais réels dans leur déclaration d’impôt. Les avocats spécialisés conseillent de procéder préalablement à un examen approfondi avec un comptable pour s’assurer que le jeu en vaut la chandelle.
Selon Vincent Chiavetta, "le choix peut devenir intéressant à partir d’un certain montant et à condition de cumuler plusieurs postes. Car la quotité forfaitaire (30% des revenus, max. 4.810 euros) est suffisamment attrayante pour dissuader la plupart des salariés de déclarer les frais réels".
"Ce sont surtout les employés qui habitent loin et n’ont pas de voiture de société, qui déclarent les frais réels. D’autres pourraient être tentés de le faire car ils utilisent plus intensivement leur espace privé comme bureau", indique Nicolas Tancredi.
"Dès lors que la localisation n’est plus un obstacle ni un critère, le nombre de candidats potentiels (à l’international comme en interne) va exploser et pallier les pénuries existantes."
Mais en pratique, c’est contraignant et risqué. "Il faut conserver les justificatifs des paiements et dépenses, et pouvoir prouver qu’ils sont en rapport avec son travail, évaluer la partie du domicile dédiée au bureau, etc., souligne Vincent Chiavetta. Il est préférable de se faire assister par un professionnel, ce qui bien sûr a un coût (NDLR : de 350 euros chez un petit comptable, à 1.000 euros TVAC dans un grand cabinet qui étudiera tout à fond) qu’il faudra mettre dans la balance !"
"Le forfait, c’est aussi le prix de la tranquillité", rappelle Me Tancredi. "Un salarié qui déclare soudain ses frais réels allume directement des signaux du côté du fisc et s’expose dès lors à un contrôle..."
Le jeu va s'ouvrir sur le marché de l'emploi
La possibilité de télétravailler, qui était déjà devenue un levier d’attractivité et de rétention des talents, va désormais ouvrir considérablement le jeu sur le marché de l’emploi, mais aussi exercer une pression à la baisse sur les salaires, estiment les spécialistes.
Grégory Renardy, Executive Director chez Michael Page, plante le décor (mondial). "Mark Zuckerberg a confirmé la conversion définitive de Facebook au télétravail et l’ouverture d’ici la fin 2020 de la plupart des offres de jobs de Facebook USA au ‘remote hiring’ (NDLR : aux travailleurs du monde entier, sans nécessaire relocalisation). Google et Spotify vont prolonger le télétravail jusqu’en 2021 et Twitter également, sans limite de temps.
"Cela va attiser la dichotomie entre un marché de jobs sans port d’attache, hautement qualifiés et rémunérés (développeurs, spécialistes en marketing digital, financiers et consultants de haut vol, etc.) dans un environnement très concurrentiel (avec les Chinois, les Indiens) d’une part, et un marché local de métiers sédentaires peu qualifiés, moins rémunérés (production, services à la personne, etc.) et peu compétitifs", prédit Grégory Renardy.
Pression à la baisse sur les salaires
"Dès lors que la localisation n’est plus un obstacle ni un critère, le nombre de candidats potentiels (à l’international comme en interne) va exploser et pallier les pénuries qui frappent certains métiers, poursuit-il. Ces dernières années, sur le marché du travail, le candidat était roi et dictait sa loi. Cela se traduisait souvent par de fortes hausses salariales (pour les postes très qualifiés). La nouvelle donne devrait sérieusement freiner les salaires."
Du fait de l’explosion prévisible du chômage consécutive à la chute brutale de l’activité liée au coronavirus, Gilles Klass, expert en ressources humaines, annonce une pression maximale sur les salaires pendant un bon bout de temps.
"Le moment semble bien choisi pour réfléchir à échanger sa voiture de société contre un budget mobilité."
Package salarial flexible
Le salaire restera certes un critère prioritaire, mais son importance dans le package global offert va diminuer au profit d’un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée.
"La généralisation du télétravail exerce déjà un impact significatif sur la sensibilité à la distance dans un pays engoncé dans la culture du ‘non-déplacement’, observe Gilles Klass. On n’hésite plus à proposer ou à accepter en emploi à plus d’une heure ou de 100 km, sachant que la personne ne devra se déplacer que deux jours par semaine."
À partir du moment où un travailleur est davantage à la maison, "le recruteur doit aussi privilégier de nouveaux critères dans le profil des candidats: autonomie, honnêteté et engagement (automotivation)", poursuit Gilles Klass.
Quant aux méthodes de recrutement, "les entretiens exploratoires vont se faire de plus en plus par vidéoconférence, ce qui constitue un gain de temps considérable, même si l’on passe inévitablement à côté de certaines choses sans contact direct..."
Aujourd'hui, "l'employeur qui propose un package salarial diversifié et flexible permettant de créer un équilibre vie professionnelle/vie privée, grâce au télétravail notamment, augmente son attractivité pour les collaborateurs et leur rétention", assure Aurélie Vanham, Senior consultant chez SD Worx.
Troquer sa voiture de société contre le budget mobilité
Les besoins et aspirations vont évoluer, confirme Vincent Chiavetta. "Un employé qui se retrouve en télétravail structurel trois jours par semaine pourrait considérer que la voiture de société n’est plus indispensable, voire inutile. Son package salarial permettra-t-il de ‘compenser’ la disparition du prix de l’utilisation privée? Il faudra négocier", suggère-t-il, confirmant que la tâche sera plus facile si l’employeur dispose déjà d’un plan cafeteria.
Ne serait-ce pas le moment d’échanger cette voiture contre le budget mobilité? "Le moment semble bien choisi pour y réfléchir. Pendant le confinement, nous avons dû revoir notre manière de nous déplacer et n’effectuer que les déplacements essentiels. On a appris à moins utiliser sa voiture et ce sont surtout les vélos (et les trottinettes, entre autres) qui en ont bénéficié", explique Veerle Michiels, conseillère juridique chez SD Worx.
Depuis mars 2019, il est possible d’échanger votre voiture de société contre un budget mobilité. Ce budget, qui s’adresse uniquement aux travailleurs disposant d’une voiture de société, est formé sur la base du coût total de possession de la voiture de société à laquelle vous avez droit. Il peut être dépensé selon trois piliers: une voiture moins polluante, des moyens de transport durables ou du cash. Attention, c’est l'employeur qui décide d’instaurer ou non ce budget mobilité, et cela pour tout son personnel, un département déterminé ou certaines catégories de travailleurs.
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Une voiture moins polluante
Si vous souhaitez tout de même conserver une voiture de société, vous pouvez opter pour un modèle plus écologique. Vous avez alors le choix entre une voiture électrique, une voiture hybride rechargeable dont la capacité de la batterie est de minimum 0,5 kWh/100 kg de poids du véhicule ou une voiture dont les émissions de CO2 sont inférieures à 105 g/km (100 g/km en 2020 et 95 g/km en 2021).
"La voiture ne doit pas nécessairement être plus petite, mais elle doit être au moins aussi respectueuse de l'environnement et répondre à des normes d'émission supplémentaires strictes", explique Veerle Michiels. Si votre voiture coûte moins cher que la totalité de votre budget mobilité, vous pouvez recevoir le reste de l’argent en cash (lire ci-dessous).
Lire aussi | Le budget mobilité en 7 questions
Des moyens de transport durables
Vous pouvez également abandonner votre voiture pour des moyens de transport plus durables.
Vous avez le choix entre:
- la mobilité douce (vélos, vélos électriques, trottinettes, monocycles, etc. ne dépassant pas les 45 km/h, et les motos électriques);
- les transports en commun (abonnements, tickets individuels);
- les transports collectifs organisés;
- les solutions partagées (vélos partagés, voitures partagées, scooters partagés, covoiturage, taxis, locations de voitures max. 30 jours par an);
- les frais de logement (loyer ou crédit hypothécaire si vous habitez à moins de 5 km de votre lieu de travail);
- un vélo d’entreprise mis à disposition par votre employeur.
Du cash
Si vous ne voulez utiliser ni le premier pilier, ni le deuxième, ni une partie du premier/du deuxième, vous pouvez soit troquer totalement votre voiture de société contre du cash soit troquer une partie dans l’un des deux piliers et une autre partie en cash. "Le cash ne sera versé qu’à la fin de l’année civile, s’il vous reste un solde après les dépenses dans les piliers 1 et/ou 2. Cet argent est soumis à une cotisation spéciale de sécurité sociale des salariés de 38,07%", indique la conseillère juridique chez SD Worx.