chronique

Deux idées reçues sur l'Europe

Premier directeur honoraire de la FSMA

Le grand rêve des Etats-Unis d'Europe ou la stigmatisation du "baudet" britannique sont deux attitudes contre-productives.

Dans les nombreux commentaires post-Brexit, on entend fréquemment deux idées, anciennes pourtant, mais qui refont régulièrement surface. Ce sont les suivantes: 1° Il faut aller vers une Europe fédérale, cela permettra de résoudre nos difficultés; 2° Si cela n’a pas pu se faire jusqu’à présent, c’est à cause de la Grande-Bretagne, qui n’a jamais joué le jeu européen.

Ces deux idées nous paraissent des idées reçues, et si c’est le cas, comme toutes les idées reçues, elles seraient largement fausses. Prenons quelques instants pour les examiner.

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Le mythe de l’Europe fédérale

Première idée reçue: l’unification européenne étant nécessairement bonne, il est nécessaire "d’aller plus loin" dans l’intégration européenne; seule une Europe fédérale permettra de résoudre les difficultés. De vieux arguments resurgissent: l’unification européenne permet d’éviter les guerres intra-européennes, d’ancrer la démocratie dans les États membres; le coût de la "non-Europe" est beaucoup plus élevé que celui de l’Europe, etc.

©EPA

Qui d’entre nous n’a un jour rêvé des Etats-Unis d’Europe? Hélas, ce rêve ne résiste guère à l’analyse.

En effet, croire que les États vont saborder leur souveraineté pour l’accorder à des dirigeants ressortissant à d’autres États est une idée peu réaliste. Ce n’est que lorsque les États se rendent compte que leur souveraineté juridique n’est plus exerçable en fait et qu’ils recouvrent une parcelle de souveraineté par un exercice collectif de celle-ci qu’ils acceptent de la céder. Jusqu’à présent, cela ne s’est constaté que dans très peu de cas, comme par exemple la monnaie (l’euro) ou la réglementation de la concurrence. Penser que les grands États membres acceptent que cette cession de souveraineté puisse s’étendre à des domaines aussi sensibles que la politique étrangère, la politique de défense ou la politique fiscale, dont ces États perdraient donc la maîtrise, est peu crédible.

L’idée de l’Europe fédérale semble également ignorer que l’unification européenne est perçue, depuis plusieurs années, comme une menace par les populations des divers États membres, y compris les fondateurs. Pourquoi ce sentiment de menace? Parce que l’évolution du marché intérieur a mis en exergue l’idée de concurrence et a fait disparaître les monopoles nationaux et les rentes de situation (ce qui était correct), sans prendre en compte de la même façon la protection sociale des travailleurs et des personnes en général (ce qui était incorrect).

"Vox populi, vox dei." Proposer une Europe encore plus intégrée risque paradoxalement d’accroître encore le sentiment de rejet de la population et de renforcer les partis de type nationaliste. L’idée fédéraliste renforcerait ainsi curieusement le nationalisme! Or, le nationalisme, qui consiste à se fermer aux autres en excluant toute idée de solidarité bien pensée, et son corollaire, le protectionnisme, seraient évidemment une voie extrêmement néfaste et désastreuse pour l’avenir du continent européen.

Haro sur le baudet britannique?

Le grand rêve des Etats-Unis d'Europe ou la stigmatisation du "baudet" britannique sont deux attitudes contre-productives.

Autre idée reçue mais pourtant fréquemment entendue: le Royaume-Uni a bloqué toute évolution positive vers plus d’intégration européenne. Le Royaume-Uni étant sorti, on va enfin pouvoir "avancer".

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En fait, ce qu’on reproche au Royaume-Uni, c’est de n’avoir jamais baigné dans le romantisme européen qui a pu régner dans certains pays continentaux, et d’avoir défendu ses intérêts nationaux dans la construction européenne. Mais ne serait-il pas étrange de reprocher à un État de défendre ses intérêts? Plus, ce serait d’une extrême naïveté de croire que les autres États-membres ne font pas de même. Sans doute le font-ils d’une manière plus habile, mais non moins efficace, et en tenant souvent un double langage. Quant à l’engagement européen actuel de pays comme la Hongrie ou la Pologne, on se permettra d’en douter.

Ce serait donc une erreur de croire que, dès lors que le Royaume-Uni sera sorti, l’Union européenne va fonctionner dans un concert devenu parfaitement harmonieux.

Pour en sortir

Pour faire réaccepter l’idée européenne aux populations et leur redonner confiance dans cette idée, il faut trouver un autre discours que le renforcement de l’Europe fédérale. On ne fera pas l’Europe sans le soutien de ses peuples. Or ce soutien est perdu depuis des années, comme l’a montré clairement le rejet du Traité constitutionnel en 2005 et de nombreux scrutins nationaux depuis lors.

Pour retrouver ce soutien, il faut renforcer la démocratie des institutions européennes (le Parlement européen, qui est la seule autorité européenne élue, ne joue pas correctement son rôle d’interface entre les populations et la décision politique) et rééquilibrer l’activité législative européenne par l’adoption de beaucoup plus de mesures de protection du statut social des travailleurs et des personnes en général. Il faut bien entendu prendre en considération l’évolution du monde et ne pas pratiquer un conservatisme social figé, mais il faut montrer aux populations que les institutions européennes jouent un rôle de protection pour elles.

Par Georges CARTON de TOURNAI,
Premier directeur honoraire de la FSMA

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