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Le jour où Macron a jeté les bases d'une société de surveillance

En annonçant l'extension du pass sanitaire aux clients et salariés de nombreux lieux recevant du public, Emmanuel Macron a fait le choix d'une mesure forte pour inciter les Français réticents à se faire vacciner contre le Covid-19. ©Photo News

Dans une saillie jupitérienne dont il a le secret, Macron a mis en place un système à la fois discriminatoire et inapplicable. Le basculement vers une société de surveillance n'est plus très loin.

Un soir de juillet, Emmanuel Macron prit l’une des décisions les plus lourdes de son quinquennat. Alors qu’aucune urgence sanitaire ne l’imposait véritablement – la situation française n’est pas pire qu’au Royaume-Uni ou en Belgique – il décida, dans une saillie jupitérienne dont il a le secret, de mettre en place un système ouvertement discriminatoire.

Vincent Laborderie.
Vincent Laborderie. ©Saskia Vanderstichele

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Cette discrimination était assumée, notamment avec cette phrase aussi hallucinante que révélatrice : « Partout, nous aurons la même démarche : reconnaître le civisme et faire porter les restrictions sur les non-vaccinés plutôt que sur tous ». Le premier mot est ici le plus important, tant la volonté est de traquer et exclure les non-vaccinés effectivement partout : non seulement dans les restaurants et les cafés, mais aussi les trains, les centres commerciaux et même les hôpitaux. 

Mais cette discrimination en cache en réalité d’autres. Car il s’agit bien sûr d’abord d’une discrimination envers les jeunes. Rappelons que 52% des 18-39 ans français n’ont pas même reçu leur première dose. Vu les délais nécessaires pour obtenir deux doses de vaccins, ceux-ci peuvent dire adieu aux sorties au mois d’août.

De l'incitant à la sanction

La question du délai est essentielle et montre à quel point la décision prise est inique. En effet, laisser trois semaines entre l’annonce et la mise en œuvre – alors qu’il est impossible d’aller aussi vite pour quelqu’un qui n’est pas vacciné – transforme ce qui était censé être un incitant en une sanction pure et simple.

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Sanctionnés pour avoir cru la parole présidentielle qui, il y a quelques semaines encore, affirmait que les lieux de vie resteraient ouverts à tous, vaccins ou pas. On a là aussi un signe de précipitation qui montre bien que la décision a été prise à l’aune de la panique.

Reconnaissons tout de même une certaine constance lorsqu’il s’agit de déterminer quelles catégories de la population doivent supporter le plus lourd fardeau de la lutte contre le covid : les jeunes et les pauvres.

Le rétropédalage n’a d’ailleurs pas tardé à suivre. L’autre catégorie la plus touchée est constituée par les milieux populaires, dont on sait qu’ils sont moins vaccinés que les plus aisés. Reconnaissons tout de même une certaine constance lorsqu’il s’agit de déterminer quelles catégories de la population doivent supporter le plus lourd fardeau de la lutte contre le covid : les jeunes et les pauvres.

Jupiter frappe fort et, contrairement à l’adage, souvent au même endroit. Le fait que ces deux catégories, d’ailleurs souvent confondues, soient aussi celles qui votent le moins n’est peut-être pas complètement un hasard.

Le privé à la rescousse

Néanmoins, se limiter à l’aspect discriminatoire serait une erreur. Ce qu’il faut aussi souligner, c’est le caractère largement irréaliste et inapplicable ou, en cas de succès, terrifiant des annonces faites. Car si l’on veut rendre effective l’obligation du pass sanitaire généralisé pour des choses aussi banales que, non seulement aller au restaurant ou au cinéma, mais simplement entrer dans un centre commercial, c’est une véritable société de surveillance qui doit se mettre en place.

L’État étant lui-même incapable de mener tous ces contrôles, ce sont les entreprises qui devront s’atteler à la tâche. Avec l’annonce d’une amende de 45.000 euros pour un établissement Horeca qui aurait laissé pénétrer des non-titulaires d’un pass sanitaire, l’État transfère clairement sa responsabilité de contrôle à des opérateurs privés, les transformant de fait en auxiliaires de police.

Il y a bien le basculement vers une société de surveillance où une série de citoyens sont chargés par l’État de faire respecter des règles, tant il est incapable de le faire lui-même.

On peut douter tant de l’enthousiasme que de la compétence des cafetiers et des restaurateurs pour endosser un tel rôle. À l’arrivée, cet ensemble de mesures ne nuira pas seulement aux non-vaccinés, mais à tous les secteurs concernés, comme aux titulaires d’un pass obligés de le montrer à tout bout de champ. Au-delà de ces aspects pratiques, il y a bien le basculement vers une société de surveillance où une série de citoyens sont chargés par l’État de faire respecter des règles, tant il est incapable de le faire lui-même.

Dans ce contexte, il y a une logique à voir les membres des forces de l’ordre dispensés de vaccination obligatoire. À première vue, on peut s’étonner de voir des policiers non vaccinés contrôler des lieux réputés exempts de Covid-19. Mais c’est que l’État français se doit désormais de choyer ceux qui constituent l’instrument essentiel de sa politique.

Verticalité du pouvoir

Témoin de ce basculement, le statut des soignants est passés en quelques mois de héros que l’on applaudissait à dangereux irresponsables dont on menace de supprimer le salaire. La priorité n’est plus aux soins mais au contrôle, et pour contrôler la pandémie les policiers sont désormais plus utiles que les infirmiers. À l’arrivée, la généralisation du pass sanitaire n’est pas un problème pour les seuls non vaccinés, mais, du fait du dispositif qu’il suppose, un danger pour la société française tout entière.

Nul doute que Marine Le Pen sera très intéressée par le résultat de cette expérience grandeur nature.

Son application (ou sa non-application) constituera par ailleurs un double test pour la verticalité du pouvoir macronien. D’abord à l’intérieur du système étatique. Il faut en effet rappeler que c’est un homme seul, entouré d’un conseil de défense d’où rien ne sort, qui a décidé de plonger la France dans cette aventure dystopique.

Caricature de monarchie républicaine

Il sera intéressant de mesurer si des contre-pouvoirs existent encore dans cette caricature de monarchie républicaine. On ne peut guère compter sur le Parlement, mais peut-être que quelques institutions – Conseil d’État, Conseil constitutionnel ou CNIL – se souviendront qu’elles sont indépendantes et en charge de veiller au respect de notions apparemment désuètes telles que la vie privée, l’égalité entre les citoyens ou, plus généralement, les principes constitutionnels.

Le second test sera de voir à quel point la société française s’accommode, voire prend goût, à la surveillance de tous par tous. Le plus probable est que ladite société n’existe bientôt plus en tant que telle, clivée entre les bons citoyens obéissants, et les « inciviques » qui, demain, refuseront de faire vacciner leurs enfants. Nul doute que Marine Le Pen sera très intéressée par le résultat de cette expérience grandeur nature.

Vincent Laborderie
Politologue à l'UCLouvain

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