CSA et public : Stop ou encore ?
À propos du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) qui va fêter ses 20 ans, on connait surtout sa fonction de gendarme (sanctionner les chaînes) mais il ne faut pas oublier le rôle de son Collège d’Avis.
Ce laboratoire qui devrait préparer les règles du jeu permettant d’assainir notre futur audiovisuel se compose surtout de personnalités appartenant au monde médiatique et attentives à leur pré carré : éditeurs et distributeurs de services de radios et de télévisions, producteurs, régies publicitaires, sociétés de presse, associations d’éducation aux médias, syndicats, sociétés au service des créateurs, etc. Les membres issus de mouvements défendant les intérêts des usagers y sont particulièrement minoritaires.
Le lobby publicitaire omniprésent
Il y a une dizaine d’années, un membre de ce Collège m’avait indiqué de manière anonyme : " Les membres viennent quand les intérêts de leur boutique sont à l’ordre du jour. Le temps nécessaire pour suivre les dossiers ou en soumettre d’autres décourage souvent les représentants des usagers ou des consommateurs. J’observe qu’on est très peu nombreux à tenter d’entrer de façon pertinente dans la négociation des intérêts publics qui dépassent ou gênent la très petite communauté des opérateurs de médias... ".
J’avais constaté à l’époque que plusieurs confrères de ce témoin privilégié étaient sur la même longueur d’onde, ce qui m’a incité à demander à la ministre Fadila Laanan si elle ne trouvait pas normal qu’il y ait parité entre les membres qui sont juges et partie et les autres.
La ministre répondit en rappelant que le décret du 17 juillet 1987 sur l’audiovisuel a défini ce Collège comme un conseil consultatif des professionnels de l’audiovisuel : " Chacun sait donc que le Collège représente des intérêts catégoriels. Ceux-ci s’expriment autant au travers d’avis unanimes que de notes de minorité toujours possibles. En refusant d’encore siéger, les représentants des milieux associatifs et des consommateurs se privent à tout le moins d’exprimer des notes de minorités et peuvent aller jusqu’à laisser croire qu’ils se sont ralliés à l’avis ".
Cette réponse équivalait à un refus d’envisager la constitution d’un organe paritaire regroupant professionnels de l’audiovisuel et usagers.
Lorsqu’on découvre aujourd’hui sur le site du CSA la composition (une soixantaine de personnes) du Collège d’Avis, les représentants des usagers sont moins nombreux que les doigts d’une main, et bien peu renouvellés puisqu’on y trouve notamment encore le nom d’un représentant du Centre de Recherche et d’Information des Organisations de Consommateurs (CRIOC) dissous depuis 2015.
La présence du lobby publicitaire y est disproportionnée. Le sommet de l’absurde est atteint par le fait que Philippe Delusinne, l’Administrateur délégué bien connu, conserve toujours son strapontin en tant que représentant de " TVi ", alors que ses chaînes de télévision ont émigré au Grand Duché et qu’il réfute que le droit de la Fédération Wallonie-Bruxelles ne leur soit applicable. Pourquoi dès lors lui permettrait-on d’influencer l’élaboration de recommandations... qu’il refusera d’appliquer lui-même, leur préférant la régulation souvent plus " light " luxembourgeoise ?
Le CSA recalé par la ministre
Ainsi donc les usagers peuvent déposer plainte mais sont quasi exclus du débat sur l’évolution de notre audiovisuel au sein du CSA. Ce déséquilibre flagrant mène à des recommandations qui tournent régulièrement à l’avantage strictement économique des chaînes, à l’exception de rares cas où les ministres ayant en charge l’audiovisuel sortent leur carton jaune.
Ainsi, le genèse de la signalétique " violence " est éloquente. Ce fut l’Association des Téléspectateurs Actifs (ATA 1994-2001) qui poussa les politiques à adapter chez nous, après plus de quatre ans d’atermoiements, les pictogrammes qui permettaient, comme en France, d’indiquer au public le degré de violence des films et fictions.
Mais à l’inverse du modèle français, deux propositions élaborées sur cette thématique par notre CSA " sous influence " ne prévoyaient pas qu’il fallait assortir ces programmes interdits aux -12 ans et -16 ans de mentions d’horaires stricts de diffusion.
À cette époque, la RTBF programmait sans scrupule "Pulp Fiction" en prime time, et RTL TVI faisait de même avec "Orange Mécanique" ou le feuilleton "Millénium".
Finalement, la ministre de l’audiovisuel Corinne De Permentier préfèrera la réflexion de l’ATA aux recommandations du Collège d’Avis et, dès le 1er novembre 2000, imposera la diffusion après 20H et 22H, des programmes interdits respectivement aux -12 et -16 ans.
Le placement de produits si mal identifié
Un autre exemple montrant comment les usagers sont parfois roulés dans la farine par le CSA concerne les placements de produits. Depuis fin 2009, ceux-ci devaient être, selon le décret, " clairement identifiées par des moyens optiques et acoustiques au début et à la fin de leur diffusion, ainsi que lorsqu'ils reprennent après une interruption publicitaire, afin d'éviter toute confusion de la part du téléspectateur ".
Lors de sa conférence de presse, Marc Janssen, le président du CSA, indiqua que, pour le législateur, l'objectif de cette nouvelle signalétique était d'informer le public: " Que le programme soit clairement identifié (...), il faut éviter pour le public toute confusion ".
Mais, dans les faits, le Collège d’Autorisation et de Contrôle du CSA mitonnera un mode d'emploi particulièrement discret pour cette obligation dans sa recommandation! Ainsi, l’identification par un moyen acoustique n’a jamais été concrétisée. Pourtant toute confusion aurait été évitée si une voix ferme aurait annoncé avant le démarrage d’une émission : " Le programme qui suit renferme du placement de produits ".
Quant au pictogramme de couleur grise avec l'incrustation "PP" en blanc qui apparait à l’écran (surtout pas de couleurs vives!), qui comprend en 2017 qu’il signifie " Placement de Produits "? D’autres pays pourtant utilisent cette appellation complète sans abréviation.
Dépasser la simple bonne volonté
Tout ceci ne remet pas en cause l’engagement et la conscience professionnelle des personnes qui agissent au sein du CSA. Certain(e)s tentent même de favoriser le point de vue des usagers, mais souvent en vain. Par exemple, telle réunion prévue pour ces derniers a dû être annulée faute de combattants. À force d’être entouré quasi que de professionnels " juge et partie " au siège du CSA, il est difficile de discerner la fibre téléspectateur ou auditeur.
Récompenser des étudiants pour leurs mémoires sur l’audiovisuel est une initiative utile mais elle complète la panoplie de tout ce que le CSA concrétise (colloques, enquêtes, etc.) davantage pour le monde des (futurs) professionnels. Finalement, il ne reste plus beaucoup de forces vives et de budgets pour lancer des ponts attractifs à destination du public.
À deux reprises, en 2016, j’ai conseillé. Pour tenter d’intéresser le vaste public, pourquoi, avec un jury extérieur à votre institution, n’organiseriez-vous pas chaque année, à partir de votes via les réseaux sociaux, la remise de prix qui couronneraient les meilleures et les plus mauvaises " pratiques " mises en place par nos médias? À chaque fois, j’ai reçu la même réponse : Bonne idée mais à une condition : il faut oublier l’aspect " mauvaises pratiques ".
Réguler avec harmonie, est-ce possible quand l’église, ou la maison du peuple, n’est pas au milieu du village?
Bernard Hennebert,
Auteur des livres " Mode d’emploi pour téléspectateurs actifs " (Labor) et " RTBF, le désamour " (Couleur Livres)
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