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Énergie et nucléaire : qu’après le dogme vienne la Réforme

Les deux réacteurs les plus récents pourraient être prolongés. ©BELGAIMAGE

Le fait de se priver totalement de la ressource nucléaire dont nous disposons aujourd’hui n’est pas seulement une faute politique, économique et environnementale; c’est aussi l’occasion manquée de poser ses pas dans le sens d’une écologie réformatrice et non dogmatique.

Le gouvernement fédéral doit prochainement décider de fermer l’ensemble des réacteurs nucléaires ou d’en laisser deux en activité. Logiquement, le débat se pose entre ceux qui estiment qu’il faut sortir du nucléaire à tout prix, et ceux qui estiment qu’une prolongation de dix ans au moins est justifiée et même nécessaire, pour des raisons d’approvisionnement, mais aussi climatiques. Ce dilemme nourrit le débat politico-scientifique depuis quelques semaines et il est utile de prendre un peu de hauteur pour montrer ce qu’il révèle sur la réappropriation nécessaire, par tous les partis, des enjeux écologiques.

François De Smet.
François De Smet. ©Tim Dirven

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Cet épisode se révèle être un momentum intéressant. L’écologie politique s’est largement fondée sur le refus du nucléaire, basée sur la dénonciation du risque que cette énergie représente et l’absence de solution réelle pour en traiter les déchets. La loi de 2003 est la consécration de ce combat.

Or, l’aggravation et l’accélération du réchauffement climatique, qui placent la réduction des gaz à effet de serre comme impératif, confrontent l’écologie politique à une contradiction idéologique sérieuse: renoncer au nucléaire aujourd’hui, énergie décarbonée, alors que le renouvelable seul ne peut suffire à subvenir à nos besoins, nécessite de recourir à des énergies fossiles polluantes qui vont aggraver la dégradation de notre environnement. Ce genre de contradiction est le propre de toute pensée politique, philosophique et religieuse, et nul n’y échappe.

Mais le moment est aussi intéressant pour les autres partis politiques classiques. Ceux-ci, en général anesthésiés par la loi de sortie du nucléaire qu’ils n’ont jamais remise en cause en 20 ans de succession au sein du gouvernement fédéral, se retrouvent à la veille de l'échéance munis d’analyses ou de convictions nouvelles - à moins qu'il ne s’agisse que d’une prise de conscience et de la fin du monopole écologiste sur les questions climatiques et énergétiques.

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Une bombe laissée au suivant...

Rendons d’abord à César ce qui lui appartient. Depuis de longues années, ce sont les partis écologistes qui ont principalement tiré la sonnette d’alarme et, à juste titre, averti sur le danger climatique, et ce, dans une certaine indifférence teintée de condescendance.

La décision de sortie du nucléaire en 2003 fait l’objet, par les partis traditionnels, d’une forme de refoulement politique assez insolite: comprenant bien, peu à peu, qu’il s’agit d’une erreur dont l’ampleur se révèle au fur et à mesure des années, personne n’ose réellement la dénoncer comme telle.

Longtemps, trop longtemps, tant le diagnostic du réchauffement climatique que la définition des moyens pour le combattre ont été abandonnés aux écologistes par les partis traditionnels, qui s’en sont largement désintéressés, à quelques exceptions près (le FDF, par exemple, a été pionnier dans quelques dossiers environnementaux). À tel point que, alors que les partis écologistes ont incarné un monopole du diagnostic et des solutions, les autres se sont reposés sur leur expertise lorsque, réellement, des mesures devaient être prises.

La décision de sortie du nucléaire en 2003 est advenue dans un tel contexte et est en réalité une concession dont, sur le moment, peu de personnes ont compris les conséquences. Elle fait l’objet, par les partis traditionnels, d’une forme de refoulement politique assez insolite: comprenant bien, peu à peu, qu’il s’agit d’une erreur dont l’ampleur se révèle au fur et à mesure des années, alors que la crise climatique s’aggrave et que le renouvelable se développe insuffisamment, personne n’ose réellement la dénoncer comme telle ou en tout cas être parmi les premiers à le faire; personne, a fortiori, n’ose faire face aux conséquences à en tirer, laissant la bombe aux suivants jusqu’à l’avant-veille de l’échéance ultime, c’est-à-dire 2025. Nous y sommes. Et le réveil est dramatique car trop tardif.

Il ne fait aucun doute, ainsi, que plusieurs partis ont récemment revu leur position sur la sortie du nucléaire dès 2025. Le mien en fait partie et il convient de l’assumer. Ce qui pourrait être reproché comme de l’inconsistance m’apparaît, au contraire, comme le début d’une appropriation sérieuse des enjeux climatiques par les partis traditionnels, libérés de l’emprise psychologique représentée par la loi de 2003. Si on pouvait oser une comparaison théologico-politique, on pourrait dire qu’après le monopole catholique, reposant sur un dogme intangible, le moment de la Réforme est en train d’advenir, autour de la réappropriation des sources par des profanes. Et il est temps.

Pari sur l'avenir

Entre réformistes et orthodoxes subsiste un important consensus commun: il est impératif de limiter d’urgence nos émissions de gaz à effet de serre, et il convient d’augmenter la production d’énergie renouvelable et d’en faire le principal pourvoyeur d’énergie. Les différences résident en revanche dans la place résiduelle laissée aux énergies non renouvelables, dans le recours ou non à une forme de sobriété énergétique comme variable d’ajustement… mais surtout dans la manière d’ouvrir ou de fermer la porte aux technologies d’avenir.

L’histoire scientifique et industrielle nous apprend que les choix énergétiques sont toujours des paris sur l’avenir; en tant que tels, ils recèlent toujours une part d’incertitude. Les choix politiques à faire consistent à encadrer ou assurer au mieux cette part d’incertitude.

Il n’y a pas de sens aujourd'hui à se priver de l’un et de l’autre dans le champ des possibles. Il faut donc que la recherche se déploie librement dans toutes les directions.

Dans cet avenir incertain mais possible, deux horizons se dessinent, et ils ne sont pas nécessairement concurrents. L’un consiste à investir dans un nucléaire de dernière génération (SMR), via des centrales supposées modulables (ce qui permettrait d’adapter le nucléaire selon la production renouvelable disponible, et non l’inverse), plus petites, moins onéreuses et produisant moins de déchets. Ces centrales pourraient participer à un mix décarboné associant le renouvelable et se reposant sur le nucléaire comme variable d’ajustement. Problème: ces technologies n’existent pas, sont en développement et — si elles aboutissent — ne seront pas prêtes avant 2035 voire 2040. Et, même si elles les limitent, elles reproduisent à petite échelle les mêmes difficultés et rencontrent donc les mêmes objections que le nucléaire ancien: du danger, même si encore moins probable, et des déchets, même si bien moindres.

Dans un autre avenir incertain, mais qui nous est promis comme seul horizon d’espoir par l’écologie politique, nous est promis le 100% renouvelable pour 2050. Nous pouvons et allons d’évidence nous en rapprocher. Mais allons-nous l’atteindre pour de bon? Cela comporte aussi une large partie de pari: il faudra que les technologies renouvelables soient interconnectées entre elles, puisque par définition vent, eau et soleil ne produisent que par intermittence; il faudra que les progrès en stockage d’énergie par batteries soient gigantesques; il faudra que les technologies alternatives se développent de manière fulgurante. Et il faudra surtout que cette production soit apte à absorber une consommation électrique qui, pour des raisons... écologiques, va augmenter substantiellement, songeons à l’électrification à marche forcée des voitures. Un défi auquel la sobriété énergétique, vendue par certains écologistes comme variable d’ajustement, ne pourra à l’évidence pas suffire à répondre. Enfin, rappelons que même une énergie 100% renouvelable ne sera pas… 100% propre: les éoliennes, les panneaux photovoltaïques sont des produits dont la fabrication a aussi un coût pour l’environnement.

Le 100% renouvelable et les petits réacteurs nucléaires appartiennent donc à la même catégorie hypothétique, celle du futur: ils sont possibles, voire probables, mais chacun encore très incertain. Il n’y a pas de sens aujourd’hui à se priver de l’un et de l’autre dans le champ des possibles. Il faut donc que la recherche se déploie librement dans toutes les directions.

Le fait de se priver totalement de la ressource nucléaire n'est pas seulement une faute politique, économique et environnementale ; c’est aussi l’occasion manquée de poser ses pas dans le sens d’une écologie réformatrice et non dogmatique.

L’idée qu’essaie de nous vendre une partie de l’écologie politique et selon laquelle il faudrait délibérément se couper de toute recherche, de toute réflexion dans une direction - la prolongation du nucléaire ou le développement des SMR - parce qu’elles empêcheraient le développement du renouvelable est un non-sens intellectuel et un piège idéologique. La loi de 2003 du nucléaire n’a pas empêché la Belgique de devenir une championne de l’éolien offshore, ce dont tout le monde se réjouit. Demander de s’arrêter de penser dans une direction ou l’autre est précisément ce à quoi on reconnaît le dogmatisme.

C’est la raison pour laquelle, dans l’intervalle, le fait de se priver totalement de la ressource nucléaire dont nous disposons aujourd’hui — les deux réacteurs les plus récents et qui pourraient être prolongés — n’est pas seulement une faute politique, économique et environnementale; c’est aussi l’occasion manquée de poser ses pas dans le sens d’une écologie réformatrice et non dogmatique.

Point de rupture

Non seulement les plus grands doutes peuvent être maintenus sur la capacité d'approvisionnement, et ce même avant 2025 (le CRM ne propose que 3,4 MG sur le 6 dont nous avons besoin pour suppléer le nucléaire), non seulement le maintien des prix ne pourra être garanti que par l'intervention de l’État - donc du contribuable -, non seulement ceci enverra jusqu’à 40 millions de tonnes supplémentaires de CO2 dans l’atmosphère selon le Bureau du Plan, mais en plus, cela nous prive de l’une de nos rares certitudes en ces temps de pari: nous aurions pu continuer à produire de l’énergie décarbonée pour 10 ou 15 ans, de quoi nous rapprocher du 100% renouvelable ou des SMR, ou des deux, sans aggraver la crise climatique… S’en priver restera une erreur qui nous livrera de manière plus dépendante aux incertitudes de l’avenir.

Quel que soit son aboutissement, ce dossier constitue un point de rupture: celui où, définitivement, la question énergétique et environnementale aura échappé au monopole écologiste. Tous les partis démocratiques, désormais, se dotent de leur expertise; et si le consensus subsistera sur le constat, il n’existe plus un seul chemin tracé vers la réduction des gaz à effet de serre, mais plusieurs. Le dogme fera place à la réforme et à la liberté des lectures et des projets politiques aptes à relever à la fois les défis du climat et de l’énergie. Une période qui sera passionnante à vivre.

François De Smet
Député fédéral et Président de DéFI

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