La dette publique belge atteint 540 milliards d'euros. Pour la maîtriser, le gouvernement cible souvent les citoyens fortunés, partant du principe que les épaules les plus solides doivent supporter les charges les plus lourdes. Chez CapitalatWork Foyer Group, Erwin Deseyn et Vincent Lambrecht analysent l'impact de ces mesures budgétaires sur les grands patrimoines.
Erwin Deseyn, Chief Investment Officer chez CapitalatWork Foyer Group, souhaite dissiper un malentendu trop répandu: “La plupart des Belges fortunés n'ont aucun problème à payer des impôts! Notre système fiscal est progressif: ceux qui gagnent plus, paient plus. En outre, le patrimoine en Belgique est déjà lourdement taxé, que ce soit directement via la taxe sur les comptes-titres, ou indirectement par le biais du précompte mobilier, du précompte immobilier, des droits d'enregistrement et des droits de succession.” Il souligne au passage que 4% du PIB belge provient des impôts sur le patrimoine et les plus-values, ce qui est “loin d’être négligeable”.
Une pression fiscale accrue freine l'investissement
Au cours de la décennie écoulée, la pression fiscale a augmenté sur les Belges fortunés, influençant nettement leurs stratégies d'investissement. “Prenez le précompte mobilier”, illustre Vincent Lambrecht, Director Estate Planning chez CapitalatWork Foyer Group. “Il a doublé en 10 ans, et la plupart des gens l'ont simplement accepté. La taxe boursière a plus que doublé, quant à elle, et la taxe sur les comptes-titres – qui n’est rien d’autre qu’un impôt sur la fortune – a été introduite. Bref, le patrimoine belge est fortement taxé.”
Pour réaliser des économies ou accroître les recettes, le gouvernement se tourne généralement vers les actifs les plus accessibles, et notamment le patrimoine mobilier. Ces actifs sont bien documentés à la Banque nationale, et la perception des impôts est facilitée par les institutions financières, ce qui en fait une cible logique. “En revanche, les conséquences à long terme sont fréquemment sous-estimées”, avertit Vincent Lambrecht. “Des impôts plus élevés sur le patrimoine peuvent avoir un effet sur les décisions d'investissement, en poussant peut-être un entrepreneur à renoncer à investir en Belgique ou à choisir des projets moins bénéfiques pour notre prospérité.”
“Des impôts plus élevés sur le patrimoine peuvent influencer les décisions d'investissement et amener un entrepreneur à renoncer à investir dans notre pays”
Considérations fiscales
Consciemment ou non, la fiscalité joue un rôle majeur dans les décisions d'investissement. Ceci dit, les investissements ne devraient pas se fonder uniquement sur des considérations fiscales, estime Vincent Lambrecht. “Les décisions doivent être guidées par une vision d'avenir, la responsabilité sociétale des entreprises et les perspectives économiques.” Erwin Deseyn acquiesce: “Tant que la rhétorique politique ne change pas, la politique en la matière restera inchangée.”
Les deux experts se souviennent avec nostalgie de la loi Cooreman-De Clercq de 1982, qui encourageait les épargnants belges à investir dans des actions plutôt que de laisser leur argent dormir sur des comptes d'épargne. “Cette mesure a injecté un capital considérable dans l'économie réelle”, rappelle Vincent Lambrecht. “Aujourd'hui, nous parlons de taxes sur les plus-values des actions et des fonds d'actions. Les politiciens semblent oublier que la fiscalité est un outil politique, pas seulement un moyen d'augmenter les recettes.”
L'impact de la taxe sur les plus-values
À une époque où les investissements sont cruciaux, l'introduction d'une taxe sur les plus-values soulève de nombreuses questions. Encouragera-t-elle les Belges à investir davantage dans les entreprises, ou aura-t-elle l'effet inverse? “Cela ne rend certainement pas les actions et les investissements plus attrayants”, déplore Erwin Deseyn.
Il qualifie cette taxe de “symbolique”, apte à générer peut-être 300 millions d'euros “à peine”, mais dont les conséquences à long terme pourraient nuire au climat d'investissement en Belgique. “Nous avons déjà un précompte mobilier de 30% et des recettes fiscales annuelles de près de 270 milliards d'euros, soit 52% du PIB. Je suis surpris qu'on parle encore d'une taxe sur les plus-values.”
“Les Belges fortunés n'ont pas de problème à payer des impôts. Mais le patrimoine est déjà fortement taxé dans notre pays”
Selon Vincent Lambrecht, une taxe supplémentaire sur le patrimoine ou les plus-values pourrait nuire à la croissance économique. Il évoque la taxe sur la spéculation de 2016, introduite pour taxer les gains à court terme. “Les investisseurs ont modifié leur comportement. Et bien que la taxe sur la spéculation ait généré quelques revenus, le gouvernement a perdu beaucoup en recettes liées à la taxe boursière. Finalement, cette mesure a coûté plus qu'elle n'a rapporté.”
À ses yeux, une taxe sur les plus-values n'est pertinente que si elle est introduite avec soin. “Il est injuste qu'un petit entrepreneur, après 30 ans de dur labeur et d'investissement, soit soudainement confronté à une taxe sur les plus-values lors de la transmission de l'entreprise. Il faut bien réfléchir aux situations qui méritent une exemption.”
Vincent Lambrecht insiste sur un autre point: la transmission des entreprises familiales. “Quelque 80% des entreprises en Belgique sont des entreprises familiales, qui représentent 70% de l'emploi. Dans la décennie à venir, beaucoup de ces entreprises changeront de propriétaire. Il est donc crucial que la législation facilite cette transmission, afin qu'elles restent en Belgique et continuent de contribuer à notre économie.”
Un cadre fiscal et réglementaire stable
Taxer plus lourdement les grands patrimoines peut avoir des conséquences négatives inattendues, prévient Erwin Deseyn. “Les Belges fortunés investissent et consomment beaucoup, ce dont profite notre économie. De plus, leur contribution à la philanthropie est souvent sous-estimée. Nous devrions laisser ce capital travailler en Belgique, plutôt que de le faire partir à coups d’impôts.” Il ajoute que “la réglementation aux niveaux européen, fédéral et communal est parfois si complexe qu'elle décourage les investisseurs étrangers. Le secteur de la construction en est un bon exemple: les rénovations obligatoires, parmi d'autres exigences, rendent les investissements dans ce secteur moins attrayants.”
Afin d’attirer et de conserver les investissements étrangers, la Belgique doit déployer un cadre fiscal et réglementaire stable. “Si la législation change chaque année, vous chassez le capital et laissez filer la prochaine génération d'entrepreneurs”, concluent les deux experts.