Mobilité signifie mouvement. Et le monde de la mobilité lui aussi ne cesse d’avancer. L’électrification est en train de modifier le marché en profondeur, à commencer par le segment des voitures de société. Pourquoi le budget mobilité peine-t-il à s’imposer? Devrons-nous bientôt payer en fonction des kilomètres parcourus? Les réponses de Frank Van Gool, directeur général de Renta, la fédération belge des loueurs de véhicules.
Selon vous, quel sera l’impact de la nouvelle fiscalité des voitures de société qui entrera en vigueur le 1er juillet 2023?
“Le marché des voitures de société connaît déjà un basculement des commandes vers les voitures électriques. L’évolution est en marche. Aujourd’hui, 22% des nouvelles immatriculations de voitures de société concernent des véhicules 100% électriques, une proportion qui atteint même 30% pour les nouvelles commandes. Si le parc compte environ 11% de voitures roulant au diesel, elles devraient quasiment disparaître. Nous nous attendons en outre à une forte baisse des commandes de voitures à essence à partir du 1er juillet.”
Les entreprises se hâtent-elles de commander des voitures équipées de moteurs à combustion?
“Nous observons une légère hausse de ces commandes, mais pas d’explosion. Ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas franchir le pas vers les voitures 100% électriques ont encore la possibilité de le faire avant le 30 juin s’ils souhaitent bénéficier de l’avantage fiscal. Beaucoup d’entreprises l’ont déjà fait. Fin 2022, le secteur a enregistré une multiplication des commandes de voitures hybrides rechargeables, étant donné la réduction de la déductibilité fiscale des frais de carburants fossiles. De nombreuses entreprises, qui souhaitent simplifier leur politique de voitures de société, sont passées aux véhicules 100% électriques dès le 1er janvier 2023. Cela ne s’explique pas uniquement par la fiscalité, les objectifs en matière d’entrepreneuriat socialement responsable jouent aussi un rôle. La mise en place d’une politique de voitures de société ‘vertes’ est un bon moyen d’atteindre ces objectifs.”
Les voitures de leasing devraient-elles coûter plus cher en raison de l’électrification du parc?
“On ne peut nier qu’à segment égal, le coût total de possession de nombreuses voitures électriques est plus élevé que celui des voitures à combustion. Récemment, le secteur des soins à domicile a tiré la sonnette d’alarme, parce qu’il ne dispose pas des moyens suffisants pour basculer vers la mobilité électrique. Le coût d’investissement est nettement plus élevé, et il faut y ajouter les frais d’infrastructure de recharge. La différence est en partie compensée par une augmentation du budget, mais nous constatons que beaucoup d’entreprises se tournent vers des modèles plus petits. Sans négliger le fait que d’autres marques font leur entrée sur le marché. Auparavant, les marques premium étaient choisies presque automatiquement; désormais, on voit sur nos routes davantage de voitures électriques de marques sud-coréennes comme Kia et Hyundai.”
“Aujourd’hui, 22% des nouvelles immatriculations de voitures de société concernent des véhicules 100% électriques, une proportion qui atteint même 30% pour les nouvelles commandes.”
Les nouvelles marques chinoises peuvent-elles s’imposer?
“Pendant les quatre premiers mois de l’année, les voitures chinoises représentaient au total 1,2% des immatriculations de particuliers et d’entreprises. C’est presque le double par rapport à l’an dernier (0,7%), mais cela reste très modeste. Il est intéressant de souligner que les voitures chinoises érodent surtout la part de marché des autres marques asiatiques.”
Pensez-vous que les bénéficiaires d’une voiture de société se tourneront massivement vers les marques chinoises?
“Je ne le pense pas. Ceux qui ont l’habitude d’acheter une voiture dans le segment premium ne devraient pas changer rapidement de comportement. Mais revenons au secteur des soins à domicile: il n’aura peut-être pas d’autre choix si les constructeurs européens ne réussissent pas à commercialiser des voitures électriques plus petites et meilleur marché. Les Chinois ont prouvé que leurs produits étaient de bonne qualité. Ils ont également un avantage par rapport à leurs concurrents: ils peuvent livrer rapidement. Allez dans le port de Zeebruges, vous verrez débarquer des cargaisons entières de voitures chinoises.”
Avec l’introduction du budget mobilité, le gouvernement tente depuis quatre ans de proposer une alternative à la voiture de société. Pourquoi ce système ne fait-il pas recette?
“Les voitures de société restent pratiques et fiscalement intéressantes, tandis que le budget mobilité présente certaines lacunes. Le budget est calculé sur la base du prix d’achat réel de la voiture, ce qui rebute de nombreux employeurs. Il est aujourd’hui possible de travailler avec un montant forfaitaire, mais l’arrêté royal portant sur cette option n’a pas encore été adopté. Le principal problème du budget mobilité est qu’il coexiste avec des plans cafétéria via lesquels les employeurs proposent des avantages comme un ordinateur, un smartphone ou un vélo. Les entreprises trouvent le système trop complexe pour y intégrer le budget mobilité.”
“Il faudrait revoir l’ensemble du volet des avantages extralégaux. Les collaborateurs qui bénéficient d’une indemnité vélo ou d’un abonnement de train se retrouvent souvent bloqués par des accords sectoriels ou d’entreprise concernant le remboursement des frais de déplacement domicile-lieu de travail. Les abonnements ne sont pas non plus utilisés à bon escient, à présent que de plus en plus de personnes télétravaillent. Nous sommes favorables à l’intégration de tous ces éléments dans le budget mobilité. Y compris pour ceux qui n’ont pas – ou n’ont pas droit à – une voiture de société, car actuellement, ils ne sont pas éligibles au budget mobilité.”
Où en est le leasing de vélo?
“On compte 90.000 vélos loués en Belgique. Des légions d’utilisateurs ont débarqué sur ce marché ces dernières années. Les fonctionnaires peuvent eux aussi bénéficier d’un vélo en leasing; nous demandons que cette possibilité soit offerte aux enseignants, un public qui correspond bien à ce concept. Mais pour toutes sortes de raisons liées aux salaires, c’est un peu plus difficile. Comme les kilomètres parcourus font l’objet d’une indemnité, c’est financièrement intéressant. Les travailleurs qui bénéficient d’un vélo en leasing l’utilisent d’ailleurs régulièrement, ce qui a un impact positif sur la mobilité. Il faut reconnaître que les pouvoirs publics ont massivement investi ces dernières années dans l’infrastructure vélo, en particulier en Flandre et à Bruxelles.”
“On ne peut nier qu’à segment égal, le coût total de possession de nombreuses voitures électriques est plus élevé que celui des voitures à combustion.”
Le gouvernement réfléchit régulièrement à un système de péage routier pour les voitures. Est-ce une solution valable pour réduire les embouteillages?
“Notre secteur est prêt à participer à une réflexion sur ce sujet. Nous ne pouvons sortir une solution toute faite de notre chapeau. Mais nous devrons inévitablement basculer de la taxation de la propriété vers la taxation de l’utilisation. Les accises sur les carburants sont déjà une taxe sur l’utilisation, mais elle est difficilement applicable aux voitures ‘zéro émission’. Faut-il mettre en place un système de taxation au kilomètre, comme pour les camions? Le problème est que ce système ne fait aucune différence entre ceux qui roulent la nuit et ceux qui roulent pendant les heures de pointe.”
“Si vous voulez introduire une tarification routière pour les véhicules privés, il faut que le système encourage un changement de comportement. Le principal défaut est que vous pénalisez ceux qui travaillent et qui n’ont pas d’autre choix que de se rendre à leur travail en voiture… Faut-il faire payer cette taxe par l’employeur? Dans ce cas, cela ne fera pas beaucoup changer les comportements. Nous ne sommes pas contre ces taxes flexibles, mais nous insistons sur la nécessité d’avoir un seul système pour tout le pays. Étant donné que de plus en plus de transporteurs remplacent leurs poids lourds par plusieurs camionnettes, on peut s’attendre à ce qu’on commence à taxer les camionnettes. Nous devrons alors faire attention à ce que les camionnettes ne soient pas à leur tour remplacées par des voitures particulières.”