Le nombre de citoyens actifs souffrant de burn-out augmente depuis plusieurs années. Y compris chez les indépendants. Fin 2021, notre pays comptait pas moins de 7.500 entrepreneurs en arrêt de travail pour cause de burn-out, dépression ou autres problèmes psychologiques. Quatre experts se sont penchés sur les causes potentielles, les conséquences et les solutions à cette problématique.
D’après l’INAMI, le nombre de dépressions de plus d’un an parmi les indépendants a bondi de 67 % entre 2016 et 2021, tandis que le nombre de burn-out grimpait de 47 %.
Faut-il s’inquiéter de ces chiffres, et peut-on en conclure que les indépendants doivent davantage se battre que les travailleurs salariés pour protéger leur équilibre psychologique ?
Lode Godderis, professeur de médecine du travail à la KU Leuven et CEO d’Idewe : “Si ces chiffres ne sont pas réjouissants, nous constatons la même hausse chez les travailleurs salariés. Cela s’explique en partie par l’accroissement, ces dernières années, du taux d’emploi dans la tranche des 20-64 ans. Les recherches montrent que les indépendants font généralement moins rapidement un burn-out. Ils continuent à se battre pour leur activité. Par conséquent, certains dépassent leurs limites sans s’en rendre compte.”
Hans Maertens, administrateur délégué du Voka : “Il est vrai que les indépendants et les dirigeants d’entreprise se battent jusqu’au bout. Chez les travailleurs, des signaux d’alarme s’allument généralement plus tôt. En outre, les travailleurs salariés sont soit en bonne santé, soit malades; si un indépendant se sent un peu moins bien, il adapte ses horaires afin de permettre à son activité de continuer à tourner et d’éviter de perdre du chiffre d’affaires. Car pour les indépendants, tout arrêt de travail se traduit par une perte de revenus.”
Colin Sanders, chercheur pour NN : “La santé mentale des indépendants est souvent moins bonne que ce qu’ils laissent paraître. En Belgique, 23 % d’entre eux connaissent des niveaux de stress élevés, fréquents ou constants – le double de ce qu’on observe dans d’autres pays européens. Pour beaucoup d’entre eux, reconnaître que les choses sont difficiles est tout bonnement impossible. La moitié des entrepreneurs indiquent qu’ils n’ont pas la possibilité de s’arrêter. Il s’agit là de facteurs de risque majeurs.”
Un burn-out a-t-il des conséquences différentes pour un indépendant et pour un salarié ?
Lode Godderis : “Étant donné que les indépendants continuent à travailler jusqu’au dernier moment, un burn-out peut être plus grave que chez un travailleur salarié. Si la pression au travail est une des principales causes de burn-out, elle est moins forte chez ceux qui ont une bonne relation avec leurs collègues et managers. La situation n’est pas la même pour les indépendants, car ils n’ont généralement pas de collègues directs et sont souvent moins bien entourés que les travailleurs salariés. Cela complique aussi leur retour au travail après un burn-out. Lorsqu’ils reprennent le collier, la plupart des entrepreneurs réduisent leur temps d’activité. C’est plus facile pour eux que pour les salariés, car ils peuvent mieux gérer leur temps. Mais cela leur coûte cher.”
“Les études révèlent que les indépendants sont généralement moins enclins à reconnaître qu’ils sont en burn-out"
Bart Veltjen, Marketing Manager chez NN : “On remarque fréquemment une perte de productivité avant et après un burn-out, en effet. Les indépendants qui se retrouvent en burn-out perdent à la fois leurs revenus, leur chiffre d’affaires et leurs clients, alors que les frais continuent à courir. Plus le burn-out ou la dépression dure, plus cet impact est important. Avec notre nouvel outil en ligne, les entrepreneurs indépendants peuvent vérifier s’ils sont en burn-out. Ils obtiennent aussi une indication de l’impact financier potentiel d’un arrêt de travail. Ils peuvent bien entendu s’assurer contre une incapacité de travail, mais c’est une solution qui n’arrive que lorsque le mal est déjà fait. Notre solution comprend d’autres services susceptibles d’aider proactivement les indépendants à veiller sur leur santé.”
Quelles solutions voyez-vous pour combattre ou réduire le nombre de burn-out chez les indépendants?
Hans Maertens: “Nous recommandons à tous les indépendants de réaliser régulièrement une analyse de risques, en commençant par une réflexion sur soi. Est-ce que je souffre de symptômes annonciateurs d’un burn-out? Quel est mon niveau de stress? Ils doivent ensuite préparer un plan qui déterminera ce qu’il adviendra de leur entreprise s’ils s’absentent pour cause de maladie, de burn-out ou pour d’autres raisons : puis-je m’appuyer sur un réseau de remplaçants éventuels ou sur l’aide d’autres indépendants ou de freelances ? Quid des clients et des fournisseurs ? Quelles seront les conséquences d’un arrêt de travail sur le chiffre d’affaires et sur mes revenus ? Tout le monde peut se retrouver en burn-out. Chaque entrepreneur doit en être conscient.”
Bart Veltjen: “Nos chiffres montrent que 47 % des indépendants ayant souscrit un plan de pension chez nous ne sont pas assurés en cas d’incapacité de travail – cela prouve que de nombreux entrepreneurs n’ont pas bien effectué leur analyse de risque ou ont sous-évalué certains dangers. Ils pensent peut-être que la probabilité est faible qu’ils se retrouvent en arrêt maladie. À mon avis, ils ne réfléchissent pas suffisamment à l’effet potentiel d’un arrêt de travail dû, par exemple, à un burn-out. Ils considèrent peut-être trop l’assurance invalidité comme un coût.”
"Avec notre nouvel outil en ligne, les entrepreneurs indépendants peuvent obtenir une estimation de l’impact financier potentiel d’un arrêt de travail"
Hans Maertens: “Cela s’explique aussi par la psychodynamique des entrepreneurs. La plupart des jeunes indépendants ne ressentent pas le besoin de s’assurer contre l’invalidité, d’autant qu’à cet âge-là, ils sont très dynamiques et motivés. En vieillissant, ils trouvent que ces assurances coûtent trop cher alors même que le risque de burn-out augmente. Selon les chiffres du SERV (le Conseil socioéconomique de Flandre, NDLR), la plupart des burn-out ont lieu entre 40 et 50 ans. En d’autres termes, en prenant les précautions nécessaires avant cet âge-là, on peut éviter la catastrophe financière qui se produirait en cas d’arrêt de travail.”
Lode Godderis: “Les indépendants doivent également rester attentifs à leur motivation. Quels sont mes compétences, mes talents et mes rêves, et qu’est-ce qui me donne de l’énergie ? Et tout cela est-il encore en adéquation avec ce que je fais aujourd’hui ? Les pauses-carrière peuvent être une solution pour ceux qui constatent une perte de motivation. Mais se reposer n’est pas la même chose que ne rien faire. Beaucoup d’entrepreneurs à succès prennent par exemple un congé sabbatique pour s’essayer à autre chose, comme du volontariat ou une activité professionnelle totalement différente. En fait, il devrait exister de meilleurs systèmes pour passer d’un statut à un autre.”
NN se dit prêt à financer des moments de ressourcement pour les indépendants via la pension complémentaire. Comment cela fonctionnerait-il ?
Bart Veltjen: “Notre baromètre de la sérénité financière montre que 62 % des indépendants souhaitent aménager leur carrière autrement – les interruptions de carrière préventives répondent à ce souhait. Mais la moitié déclarent qu’ils ne peuvent se le permettre en raison de la perte de chiffre d’affaires, de revenus et de clients que cela provoquerait. Nous disons : donnez aux indépendants la possibilité de financer des moments de ressourcement par le biais de leur pension complémentaire. Il est déjà possible de percevoir une avance sur le plan de pension pour un investissement dans l’immobilier. Nous proposons d’élargir cette possibilité aux pauses de ressourcement, ce qui donnerait aux indépendants une nouvelle énergie et leur permettrait de souffler un peu.”
"Tout le monde peut un jour ou l’autre se retrouver en burn-out. Les indépendants ont intérêt à faire une analyse de risque pour le cas où quelque chose arriverait"
Hans Maertens: “Les pauses-carrière ne devraient pas être un sujet tabou. Cela peut aussi se faire en vendant l’entreprise. Auparavant, de nombreux indépendants conservaient la même entreprise toute leur vie. Désormais, l’entrepreneuriat en série a le vent en poupe, en particulier chez les jeunes. Prenez l’exemple des start-up qui grandissent et sont rachetées par d’autres entreprises. Le fondateur peut saisir ce moment pour faire une pause-carrière ou lancer une nouvelle activité.”
Autre problème: les indépendants ne dorment pas bien. Quel est l’impact du manque de sommeil sur la santé mentale?
Colin Sanders: “On associe souvent les personnes très occupées à la compétence et à l’ambition, et elles sont appréciées sur le marché du travail. Celles qui se sentent fatiguées ne le reconnaîtront pas facilement, en particulier les indépendants, car cela les rendrait vulnérables face à leurs clients. Mais le manque chronique de sommeil est un tueur silencieux.”
Lode Godderis: “De nombreuses études établissent un lien de causalité entre le manque de sommeil et les maladies comme les troubles du métabolisme, le diabète, les problèmes cardiovasculaires et même la démence et la maladie d’Alzheimer. Ceux qui travaillent de longues heures pendant des années et ne prennent pas soin de leur sommeil finissent toujours par le payer.”
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