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Écrans: éviter la saturation

Laurence Boogaerts, psychologue du travail et maître de conférences à l’Université libre de Bruxelles.

Au bureau, à la maison, dans les transports… Le télétravail généralisé, les restrictions de sortie et l’atomisation des horaires ont sensiblement allongé le temps que nous passons face aux écrans. Devons-nous craindre – comme pour nos enfants – des risques de surexposition? Entretien avec Laurence Boogaerts, psychologue du travail et maître de conférences à l’Université libre de Bruxelles.

Avez-vous déjà entendu parler de lumière bleue? Par ce vocable, on désigne le rayonnement lumineux généré par les écrans de nos ordinateurs, tablettes et autres smartphones. Depuis plusieurs années, la littérature scientifique a établi les effets avérés de la surexposition à cette lumière sur la qualité du sommeil. En coach professionnelle, Laurence Boogaerts reçoit régulièrement des patients souffrant de troubles liés à leur activité professionnelle. Et même si ces troubles peuvent être connectés à d’autres problématiques, elle constate une montée en flèche des symptômes de la surexposition. “On parle ici de réveils et de ruminations professionnelles nocturnes ou de maux de tête, notamment”, illustre-t-elle.

C’est clair, ces derniers mois ont encore intensifié notre rapport aux écrans, au point de le rendre quasi permanent. Et parce que la totalité de nos interactions professionnelles ont eu lieu en ligne, une perception s’est peu à peu imposée dans notre quotidien de télétravailleurs: si l’on n’est pas face à son écran, on n’est forcément pas au travail…

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Une perception s’est peu à peu imposée dans notre quotidien de télétravailleurs: si l’on n’est pas face à son écran, on n’est forcément pas au travail…

Laurence Boogaerts
psychologue du travail

Laurence Boogaerts confirme cette transformation de la représentation du travail, “même s’il faut éviter tout amalgame. L’écran permet d’écrire, de mettre en forme et de partager. Mais il n’est qu’un outil. Le travail est une notion bien plus large. C’est évident pour toutes les fonctions non numériques. Mais au-delà, l’élaboration, la création, la réflexion – bref, tout ce qui fait réellement fonctionner votre cerveau – doivent être considérées comme du travail indépendamment de la présence d’un écran.”

Hyperconnexion

C’est encore plus vrai lorsque ces mêmes écrans deviennent vecteurs d’incessantes notifications professionnelles et privées. “Cette hyperstimulation empêche ce que j’appelle la ‘sédimentation des idées’. Or, c’est uniquement ce processus, par lequel le cerveau établit des connexions, qui rend les êtres capables de créer, de conceptualiser et d’avoir une vision. Si l’on ne s’autorise plus à se poser, à fermer les yeux, à réfléchir et à mémoriser, on passe véritablement à côté des potentialités merveilleuses de notre cerveau.”

Voilà pourquoi la praticienne souligne la distinction entre une fatigue issue d’une hyperconnexion, dont les symptômes sont en partie comparables à ceux du burn-out, et la “bonne fatigue” cérébrale, alimentée par des stimulations dont les formes et rythmes varient. À chacun donc de rester vigilant.

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L’écran permet d’écrire, de mettre en forme et de partager. Mais il n’est qu’un outil. Le travail est une notion bien plus large.

Laurence Boogaerts
psychologue du travail

Un autre effet induit par la surprésence des écrans est une distorsion de notre perception temporelle. Chaque fois que nous sommes immergés dans une activité intense, notre cerveau adopte un mode de fonctionnement particulier appelé “dissociation”. On entre dans l’état de “flow” décrit par le psychologue Mihaly Csikszentmihalyi, et l’on ne voit pas le temps passer. C’est le cas quand on lit un livre ou qu’on regarde un film, et d’autant plus lorsqu’on joue à un jeu vidéo ou qu’on enchaîne les épisodes d’une série à rallonge.

Cet état de dissociation annule nos réflexes de préservation de soi, comme celui de mettre une série en pause ou d’éteindre l’ordinateur, alors que nous savons que nous devrions aller nous coucher.

Rapport au temps

En l’absence de pause-déjeuner avec les collègues, de conversations de couloir sur le chemin des WC et autres breaks présentiels, un phénomène identique est observable dans le travail. Scotché à son écran, le télétravailleur relève la tête en fin de journée et réalise qu’il a bossé de longues heures d’affilée. Un comportement de nature à booster la productivité mais aussi réellement porteur de risques psychosociaux à moyen terme.

Avec leurs incessantes notifications, les écrans nous ont progressivement conditionnés – demandeur comme demandé – à la réponse instantanée.

Laurence Boogaerts
psychologue du travail

Laurence Boogaerts remarque un dernier changement dans le rapport au temps induit par l’utilisation exclusive de l’écran: “En télétravail, chaque demande qui nous est faite, ainsi que sa réponse attendue, passe par l’ordinateur ou le smartphone, puisqu’on sait déjà qu’on n’aura pas l’occasion de croiser physiquement le collègue dans les prochains jours. Or, avec leurs incessantes notifications, les écrans nous ont progressivement conditionnés – demandeur comme demandé – à la réponse instantanée. Au final, quelle que soit la nature de la demande, chacun de nous est de plus en plus piégé par ce sentiment d’urgence et de satisfaction immédiate.”

Et de souligner que, dans un monde où l’on s’attend à ce que l’autre soit constamment derrière son ordinateur, la notion de “quart d’heure académique” a pris un sérieux coup dans l’aile…

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