Dans la guerre des talents, les freelances se révèlent des atouts très précieux. Or, beaucoup de nos entreprises ne l’ont pas encore compris, déplore Marleen Deleu, experte depuis plus de 30 ans dans le domaine des RH et coautrice du livre Mis geen talent.
Les entreprises ressentent durement la pénurie de talents sur le marché de l’emploi. “Le vivier de personnes à la recherche d’un emploi fixe se vide de plus en plus”, confirme Marleen Deleu. “De nombreuses personnes aux compétences recherchées travaillent aujourd’hui sous le statut d’indépendant. Les entreprises ne se tournent pas suffisamment vers ce vivier et provoquent ainsi elles-mêmes cette pénurie.”
Les freelances sont souvent des personnes très diplômées: 52% d’entre eux détiennent au minimum un master et 82% sont des bacheliers. “La plupart possèdent beaucoup d’expérience et connaissent leur valeur sur le marché de l’emploi. Ce n’est pas un hasard si les entreprises leur confient fréquemment des tâches essentielles. Ils jouent un rôle majeur bien que largement sous-estimé.”
Lacunes politiques et académiques
Ce problème de sous-estimation pointé par la spécialiste s’explique par une politique RH presque exclusivement axée sur les salariés. Il n’existe pratiquement aucune stratégie pour les freelances occupant des postes importants. “Les entreprises qui ne développent ni vision ni politique pour les talents externes se retrouveront tôt ou tard face à un problème épineux”, alerte Marleen Deleu. “Il s’agit d’un groupe croissant de personnes compétentes et qui continuent à remplir une mission essentielle sur le marché de l’emploi. Elles sont loin d’être des ratées! Si vous ne tenez pas compte de ce groupe, vous aurez un problème. En outre, si vous ne les intégrez pas dans la ‘vision et mission’ de votre entreprise, elles ne pourront pas contribuer efficacement à votre réussite.”
De nombreuses personnes aux compétences recherchées travaillent aujourd’hui sous le statut d’indépendant. Les entreprises ne se tournent pas suffisamment vers ce vivier.
“Les entreprises ne sont pas les seules à sous-estimer l’importance des freelances: ils sont totalement absents de l’agenda politique et rien n’est prévu pour faciliter leur travail.” Quant au monde académique, il ne fait pas mieux: “Il n’existe aucune étude ou statistique sur le rôle et l’importance des freelances.”
Marleen Deleu voit dans cette absence de vision et de cadre pour les freelances un “elephant in the room”: un problème majeur que tout le monde feint d’ignorer. “Ces 15 dernières années, le nombre de freelances n’a fait qu’augmenter (un phénomène encore encouragé par la crise sanitaire, NDLR). Dans certaines organisations, la moitié du personnel travaille sous le statut d’indépendant. Et pourtant, chacun fait comme si ce groupe n’existait pas.”
Dans son livre Mis geen talent, elle se demande pourquoi les ressources humaines se préoccupent aussi peu des freelances, qui “sont aussi des êtres humains”. Elle explique ce manque de considération par l’absence de directives claires de la part des équipes de direction. “Il s’agit d’un domaine que la plupart ne maîtrisent pas bien. Le cadre législatif, le marché de l’emploi, le recrutement: tout cela est très différent de ce qu’ils connaissent pour les travailleurs salariés.” Les racines du problème se situent même plus tôt encore, juge-t-elle: “Dans les hautes écoles et les universités, on n’enseigne rien à propos du marché de l’emploi spécifique à ce groupe de travailleurs flexibles.”
Organisations en “nids”
Les organisations qui n’évoluent pas se transforment en “nids”. “À la suite de la crise du coronavirus, le télétravail est devenu beaucoup plus courant, ce qui permet aux grandes organisations en quête de talents de recruter dans le monde entier en quelques clics”, note Marleen Deleu. “Il n’est plus nécessaire d’être présent au bureau physiquement. Par conséquent, un freelance belge peut sans problème travailler pour une société américaine, par exemple. Si les entreprises locales ne développent aucune vision ou politique sur les freelances, il est certain qu’elles passeront à côté de ces talents.”
En réalité, c’est très simple: essayez de traduire pour les freelances ce que vous proposez à vos salariés.
L’experte conseille aux entreprises qui souhaitent développer une vision et une politique en la matière de se mettre à la place d’un freelance. “Sur les sites internet des entreprises, on trouve rarement un bouton sur lequel les freelances peuvent cliquer pour proposer leurs services. C’est là que le problème commence. C’est pourtant très simple: essayez de traduire pour les freelances ce que vous proposez pour des salariés. Il est possible de faire beaucoup pour eux tout en respectant le cadre légal, pour autant que ce soit légèrement différent de ce que vous proposez à vos salariés. Il ne s’agit donc pas d’un copier-coller. Devenez un client attrayant: faites connaître vos missions, prévoyez un processus d’accueil ad hoc, donnez du feed-back aux freelances et impliquez-les autant que possible dans la vie de l’entreprise.”