La technologie a joué un rôle-clé dès les premiers jours de la crise du coronavirus. Et les ressources humaines n’y ont pas échappé. Entre l’enthousiasme et la peur qu’il suscite parfois au sein des équipes, le numérique peut-il être humain? Réponses et témoignages avec nos quatre invités.
La technologie suscite l’adhésion voire l’enthousiasme de nombreuses personnes. D’autres, en revanche, ressentent plutôt du stress face à la multiplication des outils numériques, au point de vouloir parfois se déconnecter…
Souzanna Bandos (directrice RH Carrière chez Actiris): “L’enthousiasme comme la peur sont des sentiments tout à fait normaux lorsqu’on parle de technologie. Toutefois, il est important d’accompagner ce stress, et ce, de trois façons: en communiquant autour des raisons d’implémenter la technologie; en rassurant les travailleurs, car beaucoup se demandent ce que deviendra leur fonction dans un monde digital; en formant les collaborateurs, afin qu’ils soient à l’aise avec ces outils et qu’ils les intègrent harmonieusement dans leur quotidien.”
Cédric Cauderlier (expert indépendant, fondateur de Mountainview): “C’est surtout une question d’adaptabilité. D’un côté, commander en ligne via son smartphone s’avère très pratique; de l’autre, on veut éviter d’être taillable et corvéable à merci par son employeur. Il s’agit donc de trouver un équilibre tant pour l’employé que pour l’employeur.”
Carole Delava (People Solution & Projects Director chez Carrefour): “Lorsque nous sommes passés au ‘full digital’, nous avons tenu à accompagner nos employés, à bien détailler les processus, à revoir notre organisation pour parvenir à un tout cohérent.”
Le digital reflète la situation au sein de l’entreprise elle-même. Votre organisation est une maniaque du contrôle? Cela se ressentira dans l’outil numérique.
Henri Gillard (HR VP EMEA chez Terumo Europe): “Nous avons constaté à quel point les technologies devaient s’adapter aux utilisateurs et pas uniquement aux processus. Nous en venons à adopter des méthodes venues d’autres secteurs que les RH, afin de développer des solutions digitales RH aussi faciles d’emploi que les applications numériques du quotidien. Et cela diminue le stress de devoir maîtriser une grande variété d’outils.”
Le rôle de la technologie est-il d’abord d’améliorer la productivité?
Carole Delava: “Ce n’est pas l’objectif premier de notre transformation digitale. En numérisant nos processus RH, nous visons d’abord à simplifier des tâches dénuées de valeur ajoutée, des tâches répétitives ou purement administratives, pour dégager du temps et nous concentrer sur les tâches à valeur ajoutée pleinement RH. Cela, en retour, améliore la productivité.”
Souzanna Bandos: “On ne parle pas en ces termes dans un service public comme Actiris, bien sûr. Ceci dit, notre réflexion de base est la même: comment numériser des tâches pour investir dans des activités humaines à valeur ajoutée? Chez Actiris, l’objectif est de pouvoir se consacrer à l’accompagnement. Passer moins de temps dans l’encodage de données afin d’en consacrer davantage à l’analyse de ces données.”
Henri Gillard: “Les technologies sont là pour augmenter les possibilités données aux personnes. Lorsque les collaborateurs sont occupés à résoudre un problème, ils ont désormais nettement plus de possibilités d’obtenir des informations et de contacter les personnes dotées des connaissances nécessaires.”
Cédric Cauderlier: “Je remarque que la productivité n’est jamais présente dans les discours… peut-être parce que ‘productivité’ est plus péjoratif qu’‘innovation’! L’idée est de rendre les outils les plus accessibles possible, et non de réinventer la roue. Regardez WhatsApp: cette appli se passe parfaitement de mode d’emploi. On doit arriver à transposer cela dans les outils que l’on propose.”
Le numérique peut renforcer le bien-être au travail ou le diminuer: tout dépend de la façon d’exploiter cet outil.
La technologie ne nous envahit-elle pas, notamment au sein des entreprises?
Carole Delava: “C’est toute l’organisation et tous les processus qui sont concernés. Chez Carrefour, nous avons créé le département People Service Center pour aider nos salariés à maîtriser ces outils, à trouver l’information et à l’interpréter. La technologie facilite les connexions avec nos ‘clients internes’ – magasins, managers RH, responsables – pour qu’ils accompagnent au mieux leurs équipes autour de ces nouveaux outils. Cela nous permet de personnaliser l’accompagnement en fonction des besoins, même si l’outil lui-même sera standard.”
Cédric Cauderlier: “La difficulté est de faire le tri, de tout absorber en même temps. Il faut évoluer dans le temps, avoir un canal de communication pour tout centraliser et diminuer le stress dans la communication employeur/employé, et ainsi abattre les barrières psychologiques. Par ailleurs, nous devons avoir conscience des limites de chacun de ces outils, qui doivent fonctionner ensemble sans overlap. ”
Numérisation peut donc rimer avec bien-être au travail?
Henri Gillard: “Oui, si cela fait partie des objectifs. Chez Terumo, nous avons exploité les technologies pour écouter le feedback des employés pendant le confinement. La question était: comment cela se passe-t-il pour vous? On récupère ainsi de nouvelles informations, plus personnelles, que l’on peut croiser avec les KPI classiques.”
Souzanna Bandos: “Des enquête de bien-être au travail ont été mises en place pour monitorer nos employés à distance. Le numérique peut renforcer le bien-être au travail ou le diminuer: l’outil ne définit pas lui-même son effet, tout dépend de la façon de l’exploiter.”
Le numérique nous permet de personnaliser l’accompagnement en fonction des besoins de nos collaborateurs, même si l’outil lui-même sera standard.
En raison du développement des outils technologiques, les employés se sentent parfois “fliqués”, ils craignent une violation de leur vie privée…
Cédric Cauderlier: “Cela pose surtout la question de l’ADN de l’entreprise. L’outil numérique n’est qu’un outil: il reflète la situation au sein de l’entreprise elle-même. Votre organisation est une maniaque du contrôle? Cela se ressentira dans l’outil numérique.”
Peter Drucker a dit que “la culture mange de la stratégie au petit-déjeuner”. Dans une entreprise, cela signifie que la culture est plus déterminante que la stratégie. Ou encore que la culture peut renforcer la mise en œuvre de la stratégie. Est-ce applicable aux RH selon vous?
Souzanna Bandos: “Certainement, mais tout dépend de ce qu’on en fait. Chez Actiris, nous avons déployé un type de management participatif en associant les équipes aux décisions. Par exemple, pour l’implémentation du logiciel RH, certaines équipes ont participé au paramétrage de l’outil. Une bonne façon d’assurer le succès de l’opération.”
Nous adoptons des méthodes venues d’autres secteurs que les RH, afin de développer des solutions digitales aussi faciles d’emploi que les applications numériques du quotidien.
Carole Delava: “Chez Carrefour, nous avons mis sur pied un programme avec des ‘ambassadeurs’ chargés de soutenir leurs collègues, et travaillé sur les compétences de nos managers pour les orienter davantage vers l’innovation, l’empowerment, la culture du feedback.”
Henri Gillard: “À nouveau, tout part de l’ADN de l’entreprise. Terumo va mettre en place une nouvelle plateforme digitale pour les apprentissages, et nous planchons sur le futur du travail, un futur hybride entre bureau, maison et terrain, très différent de ce qu’on a connu avant le Covid-19. Dans ces deux projets, nous avons tenu compte de nos valeurs pour nous guider.”