Au Cap, les réserves d’eau sont pour ainsi dire épuisées après trois ans de sécheresse persistante. En Belgique aussi, l’impact du changement climatique commence à se faire sérieusement sentir sur l’approvisionnement en eau. Une gestion durable de l’or bleu est devenue indispensable.
"Nous subissons les effets du changement climatique en Belgique", assure Patrick Willems, professeur de génie hydraulique à la KUL. "D’une part, les périodes sèches sont de plus en plus sèches et de plus en plus longues. D’autre part, les périodes de pluie ont gagné en intensité. C’est une conséquence de l’augmentation de la teneur en vapeur d’eau de l’air, qui renforce le cycle hydrologique. Nous sommes donc confrontés de façon croissante à des phénomènes extrêmes, tant en termes de durée que de violence."
Les effets ne manquent pas de s’en faire sentir, affirme le Pr Willems: "La fréquence des inondations et autres formes de problèmes liés à l’eau ne cessera d’augmenter. Ces événements sont favorisés en outre par l’urbanisation constante. Auparavant, à peine 5% de la Flandre et de Bruxelles étaient urbanisés; aujourd’hui, 14,5% de leur surface est bétonnée. Ce qui accroît notre vulnérabilité climatique. Car plus l’urbanisation progresse, moins l’eau peut s’infiltrer dans le sol et plus le ruissellement est rapide."
Les eaux usées épurées ou l’eau de pluie peuvent se substituer à l’eau potable pour de très nombreuses applications.
Le changement climatique a peu d’influence sur la quantité annuelle de précipitations: celle-ci reste stable. Mais les pluies sont réparties moins équitablement. "Les pics de précipitations plus intenses et les périodes de sécheresse plus longues mettent en péril notre approvisionnement en eau", prévient Patrick Willems. "En Flandre, la densité de la population est telle que les réserves d’eau douce sont déjà insuffisantes: 1.500 m³ par habitant et par an. C’est très peu selon les normes internationales. Des pays du sud de l’Europe, comme l’Espagne et le Portugal, disposent de réserves beaucoup plus importantes."
Solutions technologiques
Afin de protéger la société contre le changement climatique, les entreprises doivent investir davantage dans des solutions technologiques, estime le Pr Willems. "Les périodes de sécheresse vont se multiplier", prévoit-il. "Les chefs d’entreprise et les pouvoirs publics doivent comprendre l’urgence de la situation. Des mesures proactives, comme le stockage d’eau pendant les périodes humides, sont devenues absolument indispensables. Les pouvoirs publics doivent encourager et subventionner de telles solutions."
"Des systèmes de gestion des eaux de ce type nécessitent par ailleurs un contrôle intelligent. Une installation qui stocke de l’eau pendant les périodes de pluie peut par exemple tenir compte des prévisions météorologiques. Un système de régulation associé et des capteurs pourront alors remplir et vider les bassins de manière intelligente. De telles techniques peuvent même être appliquées à petite échelle. Nous expérimentons des toitures vertes à commande intelligente, notamment."
Patrick Willems plaide également en faveur d’un usage plus réfléchi de l’eau. "Pour de très nombreuses applications, les eaux usées épurées ou les eaux de pluie peuvent parfaitement remplacer l’eau potable", souligne-t-il. "Souvent, il est plus facile et moins cher de pomper des eaux souterraines, mais cette solution présente des coûts sociaux nettement plus élevés."
À titre d’illustration, dans le sud-ouest de la Flandre, on extrait encore beaucoup d’eau du sol, par exemple pour l’industrie agroalimentaire, le textile et la culture. Le niveau des nappes phréatiques y a baissé de plus de 100 mètres par rapport à sa situation naturelle.
1 milliard de m³ d’eaux usées
La réutilisation est donc essentielle. Aquafin vend d’ores et déjà des eaux usées épurées à l’industrie et à l’agriculture. Plus de 300 installations d’épuration des eaux d’égout traitent chaque année près d’un milliard de mètres cubes d’eaux usées ménagères. Les acteurs industriels les utilisent comme eau de refroidissement ou de processus, les vidangeurs pour nettoyer leurs camions-citernes et les agriculteurs pour irriguer leurs terres. Il est même possible de pousser l’épuration jusqu’à obtenir de l’eau potable. Mais les entreprises pourraient aussi collecter et épurer elles-mêmes leurs eaux usées ou leurs eaux de pluie. De nombreuses universités investissent dans cette technologie.
Les pouvoirs publics doivent encourager et subventionner les mesures proactives de gestion de l’eau.
"La KUL mène des expériences visant à épurer les eaux de pluie collectées sur les toitures pour produire de l’eau potable", illustre Patrick Willems. "On peut procéder ainsi au niveau d’un quartier ou d’un parc industriel. Nous cherchons à déterminer si et comment il serait possible de commercialiser ce système à terme. Des entreprises spécialisées pourraient en poursuivre le développement, de préférence avec l’appui des pouvoirs publics."
Coût financier ou social
Combien coûtent ces efforts à un entrepreneur? Quel est leur retour sur investissement? Selon Patrick Willems, les entreprises ne doivent pas se concentrer sur le rendement ou la perte financière: "Il faut aussi tenir compte du coût social de l’inaction. On le fait encore trop peu. Les pouvoirs publics devraient y inciter les entreprises. Malheureusement, la planification à long terme ne semble pas être une priorité pour de nombreux dirigeants politiques…"
"L’implication de très nombreuses parties ne facilite pas les choses. Il est difficile de réunir tous les acteurs – agriculteurs, industrie, urbanisme, gestionnaire des eaux, etc. – autour d’une table pour trouver un compromis. Pourtant, les pouvoirs publics prennent conscience de la gravité de la situation. Depuis le printemps dernier, on sait que des mesures proactives sont indispensables. Nous devons absolument éviter un scénario catastrophe comme au Cap, où les pouvoirs locaux ont réagi trop tard."
Patrick Willems y voit également une chance pour les entrepreneurs belges. "Observez la manière dont nos voisins du Nord se sont peu à peu spécialisés dans la protection des côtes. Tout le monde sait désormais que ce sont des experts dans ce domaine! Leur savoir-faire est reconnu dans le monde entier. Les entreprises belges pourraient se spécialiser dans la gestion des eaux, et exporter leurs développements et leur expertise dans d’autres pays. Car une gestion durable de l’eau exige une approche mondiale."