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Jeunes, riches et fraudeurs: Elizabeth Holmes, la menteuse de sang-froid (1/4)

Elizabeth Holmes arrivant au tribunal en novembre 2022, accompagnée de son nouveau compagnon, Billy Evans. ©Getty Images

Avec Theranos, Elizabeth Holmes est parvenue à berner hommes d'affaires et responsables politiques. Jusqu'au jour où son secret a été découvert, et sa fortune de plus de 4 milliards de dollars s'est évaporée.

Elizabeth Holmes aurait pu transformer la médecine, mais elle passera les dix prochaines années derrière les barreaux. Car son invention révolutionnaire n’était que du vent. Ni preuves, ni études scientifiques, ni revenus, celle qui fut désignée plus jeune self-made woman milliardaire en 2014 par Forbes avait menti sur toute la ligne.

Ses origines auraient pourtant pu la trahir. Elizabeth Holmes est née en 1984 à Washington. Sa mère, Noel Holmes, était employée au Congrès des États-Unis. Son père, Christian Rasmus Holmes IV, était quant à lui un des vice-présidents de la société Enron. Pour rappel, ce géant du trading en énergie s'est effondré en 2001 dans un scandale financier sans précédent après la découverte de fraudes comptables de grande ampleur. Il fut toutefois licencié peu avant la faillite d'Enron, et poursuivit ensuite une carrière de cadre au sein de diverses agences gouvernementales américaines.

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Cours de mandarin, codage informatique et premiers business: dès ses années de lycée, l'avenir d'Elizabeth Holmes semble tout tracé.

"Malédictions en temps réel"

La famille s’installe à Houston, au Texas, durant l’enfance d’Elizabeth Holmes. Au lycée, elle se démarque des autres élèves par ses centres d’intérêt. Cours de mandarin, codage informatique et premiers business: son avenir semble tout tracé. En 2002, elle entame des études d'ingénieure en chimie à l’Université Stanford, parmi les plus prestigieuses au monde, et réputée pour être le berceau des start-ups de la Silicon Valley. Google, HP, Cisco et LinkedIn figurent parmi les nombreuses entreprises nées sur ce campus californien.

Après sa première année d’études, armée de sa connaissance du mandarin, Elizabeth Holmes effectue un stage d’été à Singapour. Elle y travaille sur un projet de puce électronique capable de détecter la présence du virus SRAS-CoV – qui fait alors des ravages – dans le corps. Une fois de retour à Stanford, elle n’y reste cependant pas longtemps. En 2003, en effet, elle fonde Real-Time Cures, ou "remèdes en temps réel", société qui vise à "démocratiser les soins de santé". Rien que ça.

Dans des documents internes, une faute de frappe transforme ironiquement ce nom en "Real-Time Curses", ou "malédictions en temps réel". La société est rapidement renommée Theranos, contraction de "Therapy" et "Diagnosis".

Du sang neuf dans la Silicon Valley

Elizabeth Holmes quitte alors l’université et utilise ses frais de scolarité pour financer son projet. Celui-ci est simple: réaliser des tests sanguins à partir de quelques gouttes de sang, plutôt qu’avec une "grosse et effrayante seringue", dont elle dit avoir une peur bleue. Les prélèvements sont ensuite analysés par une machine de diagnostic d’un nouveau genre, nommée Edison.

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Lorsque Elizabeth Holmes présente son projet de tests sanguins réalisés à partir de quelques gouttes de sang à des professeurs de médecine de Stanford, ceux-ci lui disent la trouver irréaliste.

Un processus bien plus abordable que celui des prises de sang traditionnelles. Lorsqu’elle présente l’idée à des professeurs de médecine de Stanford, ceux-ci lui disent la trouver irréaliste.

Son professeur de génie chimique et doyen de la faculté Channing Robertson, lui, veut y croire. Il devient le premier membre du conseil d’administration de Theranos et présente Elizabeth Holmes à des grands noms du capital-risque de la Silicon Valley. Parmi les participants aux tours de table, on retrouve l'investisseur Tim Draper, le fondateur d'Oracle Larry Ellison, et même le magnat des médias Rupert Murdoch.

Génie en col roulé... dans la farine

Pendant près de dix ans, Theranos poursuit son développement dans le plus grand secret, suivant la stratégie d'Apple qui gardait ses produits jalousement cachés jusqu'à leur lancement. À la manière de Steve Jobs, Elizabeth Holmes avait d’ailleurs adopté le col roulé noir comme signature vestimentaire.

En plus d'un accord avec le groupe de supermarchés Safeway en 2012, le destin de Theranos prend un tournant en 2013 après l’annonce d’un partenariat avec la chaîne de (para) pharmacies Walgreens, une des plus grandes aux États-Unis avec plus de 8.000 magasins. Il est prévu que des tests sanguins rapides puissent être réalisés dans des "Theranos Welness Centers" au sein même des officines Walgreens. Les deux sociétés lorgnent alors les 75 milliards de dollars annuels que pèse le marché américain des prises de sang.

9
milliards de dollars
Au pic de sa gloire, Theranos jouissait d'une valorisation de 9 milliards de dollars.

Theranos, qui avait levé plus de 400 millions de dollars au total, est valorisée à 9 milliards de dollars, dont la moitié sont dans les mains d'Elizabeth Holmes. Elle multiplie les apparitions médiatiques, s'inventant une fausse voix grave. On la retrouve en couverture du New York Times Magazine, ou encore de Fortune, qui louent son génie.

En 2014, Forbes la consacre plus jeune self-made woman milliardaire au monde. L’année suivante, des partenariats sont noués avec des hôpitaux et des assureurs. La société compte alors plus de 800 employés.

Sang pour sang menteuse

Les premières failles apparaissent début 2015, lorsqu'un professeur de Stanford affirme dans le Journal of the American Medical Association qu'aucune étude évaluée par des pairs n'a été publiée par Theranos. Des sources internes émettent également des doutes sur les tests de la société. Pour faire bonne figure, Elizabeth Holmes va jusqu'à inviter le vice-président Joe Biden à visiter ses installations. Il s'y voit montrer un village Potemkine, fait de faux laboratoires.

Le 16 octobre 2015, John Carreyrou, journaliste au Wall Street Journal, publie un article déclarant que Theranos n’utilise en réalité pas sa propre technologie pour les tests sanguins pratiqués.

La vraie bombe explose le 16 octobre 2015. Ce jour-là, John Carreyrou, journaliste au Wall Street Journal et lauréat de deux prix Pulitzer, publie un article déclarant que Theranos n’utilise en réalité pas sa propre technologie pour les tests sanguins pratiqués. Les micro prélèvements, contenus dans des "nanotainers" sont majoritairement analysés par des machines Siemens, et non par la plateforme Edison, dont la société disait être en mesure de réaliser 240 types de tests différents. Les tests réalisés pour obtenir les autorisations règlementaires étaient également frauduleux.

Quelques jours plus tard, Elizabeth Holmes se défend sur le plateau de CNBC. "C'est ce qui se passe lorsque vous tentez de changer les choses. Les gens vous prennent d'abord pour un fou, ils vous combattent, et tout à coup, vous changez le monde." Theranos réfute toutes les accusations et traque les sources du WSJ avec ses avocats.

Mais il est déjà trop tard. Les autorités sanitaires et fédérales enquêtent sur la société pour son non-respect des régulations en matière de santé publique et d'autorisations de mise sur le marché de dispositifs médicaux. Walgreens met précipitamment fin à son partenariat.

Onze ans et trois mois

Suite aux manquements dans ses laboratoires, le Centers for Medicare & Medicaid Services du département de la Santé interdit à Elizabeth Holmes de détenir ou de diriger un centre de tests sanguins. En 2017, l'État de l'Arizona attaque Theranos en justice pour les 1,5 million de tests frauduleux effectués sur son territoire. La société met près de 5 millions de dollars sur la table pour mettre fin aux poursuites.

En mars 2018, la Securities and Exchange Commission (SEC) attaque Elizabeth Holmes et Ramesh Balwani, son conjoint et directeur opérationnel de Theranos, pour fraude, en raison des 700 millions de dollars levés auprès d'investisseurs sur la base de fausses déclarations. La société avait en effet prétendu que le département américain de la Défense utilisait ses produits sur le champ de bataille, et affirmé avoir réalisé plus de 100 millions de dollars de chiffre d'affaires en 2014, alors que le chiffre réel n'était que de 100.000 dollars. Un arrangement à l'amiable est trouvé avec la SEC, moyennant une amende et une interdiction de diriger une entreprise cotée en bourse pendant 10 ans. Theranos annonce sa dissolution en 2018.

Theranos avait affirmé avoir réalisé plus de 100 millions de dollars de chiffre d'affaires en 2014, alors que le chiffre réel n'était que de 100.000 dollars.

Après deux ans d'une enquête menée par le bureau du procureur fédéral de San Francisco, un grand jury inculpe en 2018 les deux dirigeants de 11 chefs d'accusation, leur reprochant d'avoir non seulement escroqué les investisseurs, mais aussi les médecins et les patients. Le procès, reporté en raison de la pandémie, ne démarre qu'en août 2021. Elizabeth Holmes y rejette la faute sur ses employés et son conjoint.

Elle est jugée coupable le 3 janvier 2022 de fraude envers ses investisseurs, mais pas contre les patients. Sa condamnation tombe le 18 novembre: 11 ans et trois mois de prison, réduits à neuf ans et demi en cas de bonne conduite. Après de multiples tentatives d'appel, Elizabeth Holmes se rend le 30 mai 2023. Enfermée à la prison de Bryan, au Texas, elle ne devrait pas en sortir avant 2031 au moins.

Ramesh "Sunny" Balwani, l'amant maudit

Alors qu'elle termine à peine le lycée, Elizabeth Holmes fait à 18 ans la connaissance de Ramesh "Sunny" Balwani lors d'un voyage en Asie, un homme marié de 37 ans d'origine pakistanaise qui effectue un MBA à l'Université de Californie à Berkeley. Devenu son ami, il l'aurait consolée après une agression sexuelle sur le campus de Stanford (confirmée par des enregistrements d'appels à la police).

Sunny Balwani rejoint Theranos en 2009 et dirige les opérations quotidiennes de la société, sans aucune qualification médicale. Décrit comme paranoïaque et autoritaire par les employés, il entame une relation avec Elizabeth Holmes. Elle affirmera durant son procès qu'il la brutalisait et abusait d'elle sexuellement, ce qu'il réfute "catégoriquement". Il quitte la société en 2016. Elle rencontre son nouveau conjoint, Billy Evans, en 2017, qu'elle épouse en 2019 et avec qui elle aura deux enfants, le dernier juste avant d'entrer en prison.

Accusé en mars 2018 de fraude par la SEC, comme Elizabeth Holmes, Sunny Balwani fait l'objet de poursuites similaires par le bureau du procureur de San Francisco. Il est finalement reconnu coupable de toutes les charges retenues contre lui et est condamné le 7 décembre 2022 à près de 13 ans de prison. Enfermé depuis le 20 avril, il doit, avec Elizabeth Holmes, restituer 452 millions de dollars à ses victimes.

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Série | Jeunes, riches et fraudeurs

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Le temps d'une série, L'Echo retrace le parcours de ces jeunes fraudeurs, de leurs débuts dans le monde du business à leur effondrement, entre belles promesses et escroqueries.

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