Jeunes, riches et fraudeurs: Trevor Milton, quand le camion électrique fait fausse route (2/4)
Souhaitant rivaliser avec Tesla, le CEO de Nikola était certain du succès de ses camions électriques. Tellement certain qu'il n'avait même pas attendu qu'ils soient en mesure de rouler.
Le transport est la première cause de pollution atmosphérique aux États-Unis, représentant plus d’un quart du total des émissions de gaz à effet de serre dans le pays. La moitié de ces émissions provient des voitures, un quart des camions, et le reste est réparti entre avions, bateaux, trains et autres moyens de transport.
Face à la menace du changement climatique, c’est ce qui explique notamment le succès de Tesla, dans une Amérique où la voiture individuelle reste privilégiée pour parcourir les longues distances entre lieux de travail, d’habitation et de loisirs, et où les constructeurs traditionnels ont pris du retard dans la transition vers l’électrique.
Né dans une famille mormone de l'Utah, Trevor Milton souhaite rapidement se lancer dans la vie active et abandonne l'université pour lancer sa première société.
C’est aussi ce qui a incité Trevor Milton à créer Nikola , un constructeur de camions électriques qui avait pour ambition de devenir leader mondial de ce nouveau marché. Mais pour atteindre cet objectif, il fallait que ses camions roulent.
Vendeur invétéré
Né en 1982 dans une banlieue du nord de Salt Lake City, dans l’Utah, Trevor Milton grandit dans une famille mormone, religion dominante de cet État de l’Ouest américain. Âgé de seulement 15 ans, il perd sa mère d’un cancer, tandis que son père, cadre au sein de la compagnie ferroviaire Union Pacific Railroad, s'absente souvent pour le travail. Après ses années de lycée, il s’envole au Brésil pendant 18 mois pour une mission de l’Église mormone.
Trevor Milton entame ensuite des études à la Utah Valley University, qu'il abandonne au bout d’un semestre. Il souhaite en effet se lancer dans la vie active et poursuivre une carrière de commercial. Il crée sa première société, qui vend des systèmes d’alarme. Plus tard, il prétendra l'avoir revendue pour 300.000 dollars, un chiffre contesté par ses anciens partenaires. Son entreprise suivante, un site web de petites annonces d'abord dédié aux voitures d’occasion, échoue.
De l’eau dans le gaz
Ses débuts dans l’industrie des véhicules à carburants alternatifs se font en 2009. À l’époque, Trevor Milton cherche des investisseurs pour sa nouvelle société, dHybrid. Objectif? Créer des moteurs hybrides combinant diesel et gaz naturel pour "rétrofitter" des camions roulant au diesel. Il frappe à la porte de ses connaissances au sein de l’Église mormone et rassemble plus de 2 millions de dollars.
La première société de Trevor Milton, dHybrid, accumule les contrats, avant de s'effondrer en raison des mensonges sur les performances de ses systèmes.
Les activités de dHybrid démarrent sur des chapeaux de roue. Un contrat de 16 millions de dollars est passé avec la société de transport routier Swift, basée dans l’Arizona, afin d’installer des systèmes hybrides sur 800 de ses camions. Des ventes sont également conclues avec des transporteurs en Floride et en Pennsylvanie.
Mais déjà les problèmes s’accumulent. Les employés doivent fréquemment réparer les réservoirs de gaz naturel, mal montés sur les camions et susceptibles de se détacher. Certains révèleront plus tard qu’ils étaient mal conçus. En 2012, Trevor Milton tente de vendre la société pour 3 millions de dollars, mais l’acheteur se rétracte et l’attaque en justice pour avoir menti sur les performances de ses systèmes, et lui reproche d’avoir utilisé une avance de 2 millions de dollars pour des dépenses personnelles. L’affaire se soldera par un non-lieu.
Bosch et AB InBev misaient sur ce "camion du futur"
Dans le même temps, son père, William Milton, crée une entreprise distincte, nommée dHybrid Systems. Trevor Milton en recentre les activités sur le stockage d’hydrogène et de gaz, et en revend la majorité des parts pour 15,9 millions de dollars à Worthington Industries , un géant du secteur. En 2014, il convainc Mark Russell, CEO de Worthington, de rejoindre son projet de "camion du futur" et fonde Nikola, en hommage à Nikola Tesla, inventeur serbe célèbre pour avoir mis au point les premiers alternateurs électriques.
Le Nikola One est dévoilé en 2016 par Trevor Milton. Ce camion à hydrogène, censé être totalement opérationnel, est présenté en grande pompe devant le gouverneur de l’Utah et de nombreux responsables politiques américains et internationaux. Les 5.000 premières unités doivent être fabriquées par un assembleur de camions dans le Tennessee. Nikola cherche toutefois à construire sa propre usine et dévoile son autre camion, le Nikola Two. L’année suivante, une mystérieuse vidéo promotionnelle montre le Nikola One avançant sur une route déserte près des montagnes.
En 2018, un accord est conclu avec le fabricant suédois de piles à combustibles PowerCell. Un autre accord est signé avec le géant allemand Bosch, qui assistera la société dans la production de ses prototypes. La même année, Nikola attaque Tesla pour l’avoir prétendument copié avec son camion, le Tesla Semi (le procès n'a toujours pas abouti).
Dans un geste visant à prouver sa santé financière aux clients qui attendent le lancement de la production, Nikola décide de rembourser les 11.500 acomptes de ses clients, puis dévoile son troisième modèle, le Nikola Tre, destiné au marché européen en partenariat avec Iveco. En 2019, il est annoncé qu’AB InBev lui a commandé 800 camions.
Retour brutal sur Terre
En juin 2020, Nikola entre en bourse par le biais d'une fusion avec une spac (special purpose acquisition company, soit une société créée dans le seul but de faciliter et d'accélérer une cotation en bourse). Sa valorisation double en quelques jours et dépasse les 26 milliards de dollars, soit plus que celle de Ford à l'époque. Le 8 septembre 2020, Nikola annonce un partenariat de taille: General Motors va fabriquer son premier pick-up, le Badger, et en développer les batteries.
L'envolée boursière fait long feu. Deux jours plus tard, la firme de vente à découvert Hindenburg Research publie un rapport accablant, où elle accuse la société de fraude. Il y est révélé que le camion Nikola One montré dans la vidéo promotionnelle n’avait pas de moteur et avait été lâché depuis le haut d’une colline, mû uniquement par la force de la gravité. Trevor Milton nie d'abord les allégations, mais il est déjà trop tard: la Securities and Exchange Commission (SEC), le gendarme boursier américain, enquête sur une potentielle fraude, tout comme le département de la Justice des États-Unis.
Trevor Milton démissionne le 21 septembre, quelques semaines après avoir tweeté que "les lâches fuient, les leaders restent et se battent". Le cours de l’action Nikola s’effondre à Wall Street. Le géant du pétrole BP , qui prévoyait un partenariat pour des stations de recharge d’hydrogène, se retire officiellement avant même d’en avoir fait l’annonce. GM se retire également en grande partie de son accord. Le projet du pick-up Badger est annulé.
Le petit Nikola face aux poids lourds du secteur
En juillet 2021, un grand jury fédéral inculpe Trevor Milton pour fraude aux valeurs mobilières. Une accusation pour laquelle il est également attaqué au civil par la SEC. Il se rend, mais plaide non coupable, et est libéré moyennant une caution de 100 millions de dollars. En octobre 2022, il est déclaré coupable de la plupart des charges retenues contre lui.
Aujourd'hui, Nikola continue d'opérer, bien que sa valorisation ait fondu de 98%, dépassant à peine le milliard de dollars.
"Il est devenu milliardaire pratiquement du jour au lendemain sur le dos des investisseurs innocents, qui se sont laissé abuser par ses mensonges", tonne le procureur lors de son procès. Sa condamnation, qui pourrait être de plusieurs dizaines d'années de prison ferme, a été reportée au 22 septembre prochain.
De son côté, Nikola continue d'opérer, bien que sa valorisation ait fondu de 98%, dépassant à peine le milliard de dollars. Trevor Milton en détient encore des actions, mais plus aucun lien n'existe entre lui et la société à l'heure actuelle. La société a depuis lors investi dans une nouvelle usine d'hydrogène et racheté une entreprise de batteries, mais reste dans une situation financière difficile.
Ses premiers camions, les Nikola Tre, ont été livrés au début de l'année dernière. Plus de 250 d'entre eux sillonnent actuellement les routes américaines, soit plus que le nombre de Tesla Semi en circulation. Entretemps, les poids lourds du secteur, Daimler Truck, Volvo et le chinois BYD, ont toutefois dévoilé leurs propres camions électriques, sur un marché où Nikola a perdu une bonne partie de sa crédibilité.
En parallèle du rapport d'Hindenburg, c'est une autre accusation grave qui est portée à l'encontre de Trevor Milton en septembre 2020. Aubrey Ferrin Smith, sa cousine, affirme qu'en 1999, il l'a agressée sexuellement le jour des funérailles de leur grand-père, alors qu'elle avait 15 ans et lui 18.
Ses dires sont corroborés par des sources du Wall Street Journal. La chaîne CNBC, de son côté, révèle qu'une plainte a été déposée auprès de la police locale de Holladay, dans l'Utah.
Une deuxième femme, anonymement mentionnée dans un article de CNBC, affirme avoir été agressée en 2004, lorsqu'elle avait 15 ans et Trevor Milton 22 ans. Lui-même s'en serait vanté auprès d'un ami, mettant en avant sa préférence pour les jeunes filles vierges.
D'autres femmes ont également affirmé avoir été agressées par l'ex-CEO de Nikola. Trevor Milton a nié toutes ces accusations. Les enquêtes n'ont, à l'heure actuelle, pas abouti sur un acte d'accusation pour ces faits.
Ils étaient jeunes, avaient des idées ambitieuses, et avaient réussi à convaincre jusqu'aux plus hautes sphères politiques et économiques avec leurs projets. Présents partout dans la presse financière, ils étaient acclamés pour avoir fait fortune en un temps record.
Ce n'était que la partie émergée de l'iceberg. Car tous cachaient un secret, qui, une fois découvert et mis au grand jour par des lanceurs d'alerte, a causé leur chute, encore plus rapide que leur ascension.
Le temps d'une série, L'Echo retrace le parcours de ces jeunes fraudeurs, de leurs débuts dans le monde du business à leur effondrement, entre belles promesses et escroqueries.
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