Alors que le Dry January et la Tournée Minérale séduisent de plus en plus d'adeptes, le monde du parfum s'enivre des arômes riches et complexes des spiritueux.
Bien que l'expérimentation de notes inspirées par les boissons alcoolisées ne soit pas une nouveauté, des maisons comme Frapin et By Kilian en ont fait leur signature. Ces deux marques plongent leurs racines dans l'univers du cognac : Frapin est un producteur de cognac, tandis que Kilian Hennessy, fondateur de By Kilian, appartient à la célèbre famille Hennessy, fortunée grâce à ce même breuvage.
Pour célébrer les soixante ans de son iconique "Habit Rouge", Guerlain a laissé ce parfum masculin mûrir quelques semaines dans des fûts de chêne, enrichissant ainsi ses notes ambrées et cuirées de subtiles touches boisées. Quant à la maison omanaise Amouage, elle a poussé l'audace plus loin en explorant des temps de maturation prolongés et des techniques d'infusion empruntées à l'industrie du whisky et du cognac.
Double infusion, double sensation
Les infusions, méthode ancestrale d'extraction, consistent à immerger des ingrédients dans un liquide, souvent alcoolisé, pour libérer délicatement leurs arômes et saveurs. Ce procédé est couramment utilisé pour vieillir des spiritueux tels que le whisky, le cognac, le rhum, le gin, la tequila et la vodka.
Renaud Salmon, directeur créatif belge d'Amouage, a testé une infusion de copeaux de bois de santal pour sa nouvelle collection "The Essences", composée de trois parfums. "Le bois de santal offre des arômes doux et crémeux qui enrichissent le parfum sans le dénaturer", explique-t-il. "De plus, il est peu allergène."
Les parfumeurs ont dû relever un défi unique : anticiper l'impact de l'infusion et d'une maturation prolongée lors de la création d'un parfum. "Cela demande expérience et intuition", confie Salmon. "Les notes de fond comme les bois, les résines et les baumes vieillissent bien, tandis que les ingrédients plus fragiles comme les agrumes et les fleurs sont moins adaptés. Mais ce fut un apprentissage riche en surprises."
Salmon a opté pour une double infusion : des copeaux de bois de santal âgés de soixante ans ont été ajoutés à l'huile de parfum dans des cuves en inox, tandis que l'alcool (bio-éthanol) mûrissait dans des fûts de chêne à torréfaction moyenne. "Le degré de torréfaction du bois influence fortement les arômes", précise-t-il.
"Une torréfaction légère révèle des notes vertes, une torréfaction moyenne apporte des nuances beurrées, et une torréfaction intense libère des notes fumées et de café. L'alcool, initialement inodore, acquiert ainsi une subtile fragrance boisée, ajoutant une patine supplémentaire au parfum."
Cette double infusion confère également plus de profondeur, de richesse et d'intensité, selon Cécile Zarokian, créatrice du parfum "Outlands".
L'art de la maturation
Au cours de la maturation, les ingrédients se transforment et créent des synergies, rendant le parfum plus complexe, nuancé et harmonieux. Cela améliore aussi ses qualités techniques, le rendant plus intense et durable sur la peau.
"En général, un parfum mature pendant deux à trois semaines, mais je recommande souvent le double", explique Bertrand Duchafour, parfumeur de "Reasons". "Comme pour le vin, la maturation enrichit la qualité. Les ingrédients naturels comme les résines – benjoin et myrrhe, par exemple – et les bois – patchouli, notamment – développent un caractère supplémentaire avec le temps."
Avec les parfumeurs, Salmon, directeur créatif belge d'Amouage, a évalué mensuellement l'évolution des infusions. Après six mois, l'effet était optimal pour les huiles de parfum et le bio-éthanol. Pour stopper la macération, de l'alcool est ajouté selon la concentration souhaitée (trente pour cent pour un extrait de parfum), puis le mélange est refroidi et filtré.
Si l'on cherche généralement à maintenir une qualité olfactive constante, certaines notes, comme le patchouli, continuent d'évoluer après l'embouteillage. Le long processus de macération et la double infusion peuvent entraîner de légères variations entre les lots. Mais Salmon ne s'en inquiète pas : "Cette expérience nous a beaucoup appris et a conféré aux parfums une dimension supplémentaire, quelque chose d'inhabituel et d'unique. Pour moi, c'est l'essence même du luxe."
