Vous êtes (bientôt) pensionné et vous vous apprêtez à toucher votre assurance groupe en une fois, sous forme de capital unique, comme quasi tous les Belges. Notre pays est l’un des seuls au monde où la pension complémentaire n’est pas "obligatoirement" versée sous forme de rentes périodiques ou pénalisée fiscalement si l’assuré opte pour le capital. Mais pourquoi cette particularité? Et pourquoi le gouvernement entend-il renforcer l’attractivité de la rente périodique? Quel choix s’offrira à vous à plus ou moins brève échéance?
Compte tenu de l’allongement de l’espérance de vie et des besoins que cela occasionne en termes de soins et de qualité de vie, dans un contexte de pensions légales au rabais, le deuxième pilier (assurances groupe pour les employés, PLCI pour les indépendants) doit davantage confirmer son caractère "complémentaire" et sa vocation de prévoyance sociale. "Sous l’angle étatique, l’objectif du deuxième pilier est d’éviter que l’on tombe à charge de la collectivité si la pension légale est trop faible, ou insuffisante si des risques se matérialisent (en matière de santé par exemple)", explique Me Corinne Merla, avocate chez Younity et spécialiste des pensions complémentaires.
Quand la pension complémentaire est liquidée sous forme de capital — comme c’est massivement le cas en Belgique pour de "simples" raisons fiscales (lire plus loin) —, les gens la considèrent prioritairement comme un salaire différé. Comme le souligne Wauthier Robyns, directeur d’Assuralia, "c’est une somme conséquente, souvent la plus importante que les gens touchent (en une fois) dans leur vie et que la plupart d’entre eux ont dès lors intégrée dans leur planification patrimoniale et successorale. Pour la léguer (entièrement) à leurs enfants, pour acquérir une seconde résidence, faire une grosse dépense ou de beaux voyages". Un précieux magot qui risque d’être dilapidé. Sur son site, Wikifin, le programme d’éducation financière de la FSMA met d’ailleurs en garde. "Vous aurez une plus grande marge de manœuvre, mais cela entraîne également des responsabilités (notamment pour le gérer): lorsque tout est épuisé, vous n’avez plus de revenus en complément de votre pension légale".
Les composantes "complément de retraite" et "assurance destinée à couvrir un risque" sont assez relatives et aléatoires dans l’esprit de ceux qui perçoivent le capital de leur assurance groupe.
Les composantes "complément de retraite" et "assurance destinée à couvrir un risque" sont assez relatives et aléatoires dans l’esprit de nombreux Belges qui perçoivent le capital de leur assurance groupe. Voilà qui ne cadre pas — ou plutôt plus — avec l’interprétation stricte de la pension complémentaire qui manquerait ainsi (partiellement) son but. Aux Pays-Bas par exemple, c’est la situation inverse qui prévaut. Celui qui opte pour la liquidation de son contrat sous forme de capital est très lourdement pénalisé.
Afin de garantir le caractère social du deuxième pilier et surtout un ratio de remplacement des revenus suffisant lors du départ à la pension, le gouvernement est aujourd’hui convaincu de la nécessité, si pas d’imposer la rente – la liberté de choix ne serait pas remise en question nous assure-t-on unanimement à bonnes sources —, du moins de la réhabiliter en lui donnant les moyens de rivaliser avec le capital. Et cela passe prioritairement par un rééquilibrage de la fiscalité. Aujourd’hui la situation est la suivante:
1. Le versement de l’assurance groupe sous forme de capital, en une fois, est soumis à
- une retenue ONSS: 3,55%
- une contribution de solidarité: 2%
- un précompte professionnel
Le taux d’imposition sur le capital constitué par les versements de primes de l’employeur dépend de l’âge du travailleur au moment du versement du capital.
Le capital constitué par les primes du travailleur est soumis à un précompte professionnel qui dépend du moment où les primes ont été versées.
2. Lorsque le montant brut du capital est converti en rente à vie (mensuelle, trimestrielle, semestrielle, annuelle), cette rente est considérée comme un revenu imposable qui s’ajoute aux autres revenus et est soumise au taux d’imposition progressif (+ additionnels communaux).
Ceux qui ont un capital limité et dont la rente est modeste et/ou qui n’ont aucun autre revenu imposable bénéficient d’un régime fiscal avantageux, mais les autres arrivent vite à des taux de taxation très élevés.
3. Une troisième option permet d’alléger un peu l’impact fiscal: l’assuré peut demander dans un premier temps la taxation de son capital comme s’il le percevait en une fois, la compagnie se chargeant ensuite de convertir le montant net en rente.
Dans ce cas, le rentier devra s’acquitter:
- d’un impôt annuel de 30% calculé sur un rendement fictif de… 3%. "Pour information, en 2004, l’impôt était de 15%" rappelle Corinne Merla.
Exemple
Pour un capital net de 100.000 euros, cela signifie que le rentier devra payer 900 euros (30% de 3.000 euros) par an.
Outre le fait que le versement sous forme de rente est dissuasif pour des raisons fiscales, il faut rappeler — et c’est loin d’être anecdotique — qu’en cas de décès, le paiement cesse. Les proches n’ont pas droit au solde du capital. C’est particulièrement pénalisant en cas de décès prématuré. Certains contrats permettent certes le transfert de la rente au partenaire ou un autre bénéficiaire, mais cela a un coût…
Rééquilibrer la fiscalité
Koen Peumans, porte-parole du cabinet du ministre des Pensions Daniel Bacquelaine (MR), rappelle ce que prévoit l’accord de gouvernement: "Mieux faire concorder le traitement fiscal du paiement sous forme de rente avec celui du paiement en capital. Mais les avantages fiscaux existants ne seront pas diminués. En outre, il sera procédé à une analyse des mesures susceptibles d’être prises pour stimuler l’offre des produits en rente sur le marché". Et même si tous les spécialistes que nous avons interrogés en conviennent, ce sujet est dans l’air depuis "toujours", un projet en ce sens serait désormais en chantier.
Pour activer l’attractivité de la rente, le levier fiscal serait évidemment indispensable, puisque c’est principalement cet aspect qui la pénalise. Mais il ne s’agit pas de simples jeux de vases communicants. "Le nombre d’acteurs concernés (cabinets ministériels, entreprises, assureurs, pensionnés) et la multiplicité des enjeux" rendent la tâche extrêmement compliquée, reconnaît Corinne Merla.
Et de fait, les experts de PwC qui planchent sur ces dossiers pour le compte de différentes parties ont préféré ne pas s’exprimer à ce stade "pour éviter de brusquer" l’une ou l’autre… Caroline Dujacquier, porte-parole du ministre des Finances, Johan Van Overtveld (N-VA) confirme à demi-mot: "Nous travaillons d’abord sur le volet des pensions complémentaires pour indépendants. Ensuite, on abordera les dossiers relatifs à la règle des 80% (*) et le traitement fiscal du paiement en rente". Mais on marche sur des œufs: "Ces dossiers doivent être traités avec prudence et précaution. Cela nécessite du temps pour que les réformes soient de qualité et cohérentes. Nous nous y attellerons en collaboration avec les cabinets compétents (NDLR: Économie et Pensions)."
Contexte peu favorable à la rente
De fait, l’opération n’est pas simple et le contexte est peu porteur. Si le premier pilier est aux abois depuis longtemps, le deuxième pilier n’est pas en super-bonne posture non plus. Depuis le 1er janvier 2016, le taux de garantie de rendement est fonction de celui des obligations à 10 ans de l’État belge. L’employeur a l’obligation de garantir un rendement minimum (pas annuellement, mais en moyenne, sur la période d’affiliation au plan de pension). Il est actuellement de 1,75%. Avant 2016, il était de 3,75% pour les cotisations personnelles et de 3,25% pour les cotisations patronales.
Imaginer de nouveaux produits d’assurance
La problématique de la rente témoigne d’un réel enjeu sociétal, mais il n’est pas pour autant facile de la relancer.
Les circonstances actuelles marquées par l’inflation et l’extrême faiblesse des taux sont tout sauf enthousiasmantes dans la perspective d’une prestation sous forme de rente. Le rendement de capital étant très faible, une taxe sur la base d’un revenu fictif de 3% est très pénalisante. Celui qui touche son assurance groupe préfère tenter de placer cet argent lui-même à de meilleures conditions.
"On pourrait envisager de ne convertir en rente qu’une partie de la réserve et de recevoir l’autre partie sous forme de capital."
Les assureurs se disent prêts à faire preuve de créativité et des projets sont dans les cartons. "Mais à ce stade, il faut reconnaître que le succès et la demande sont assez limités", souligne le responsable d’AG Insurance, précisant que "chez nous, moins de 1% des liquidations se font sous forme de rente…"
AG Insurance a par ailleurs renouvelé son soutien financier pour une période de quatre ans (2016-202) à la Chaire "Pension Valuation & Solvency" dont les études porteront en particulier sur les produits de rente viagère.
Il y a deux ans, Assuralia avait déjà suggéré une solution relativement flexible:
- Entre 65 et 80 ans, le pensionné recevrait une (faible) rente en fonction du capital qu’il s’est constitué avant ses 65 ans. En cas de décès prématuré, le capital subsistant reviendrait aux héritiers.
- À partir de 80 ans, phase de la vie au cours de laquelle on doit généralement faire face à des frais plus élevés, le pensionné toucherait une rente plus élevée, mais à son décès, le capital serait abandonné.
"On pourrait également envisager de ne convertir en rente qu’une partie de la réserve et de recevoir l’autre partie sous forme de capital. Et aussi d’embrayer avec une assurance (prime unique) qui couvrirait le risque de dépendance", ajoute Wauthier Robyns.
Benoit Halbart évoque pour sa part la possibilité d’une rente différée qui permettrait d’augmenter le capital constitutif de la rente au moment de sa conversion. Ou encore une formule mixte, rente directe et rente différée.
Ce qui est sûr, c’est qu’en l’état actuel, les rentes manquent de flexibilité et ne sont pas adaptées aux besoins variables des retraités. "Humainement, il est par exemple difficile pour une personne d’opter pour une rente viagère (la plus efficace car son montant inclut un effet ‘mortalité’) sachant qu’elle laisse des héritiers", conclut le responsable communication d’AG Employee Benefits & Health Care.
(*) La pension complémentaire et la pension légale ne peuvent représenter ensemble que maximum 80% de votre dernier salaire brut.