Bâtir une maison en trois jours? Ce ne sera bientôt plus de la science-fiction, grâce aux robots et à l'impression 3D. En Belgique, dès l'année prochaine, une maison sortira d'une imprimante 3D. Et ce ne sera pas un pavillon, mais une villa de trois chambres.
Au loin, les pinacles de la cathédrale de Milan déchiraient le ciel bleu printanier. Plus près, sur la piazza Beccaria, on pouvait admirer le palazzo del Capitano di Giustizia. Non, l'élégant petit monde du design n'avait pas déserté les stands du Salone del Mobile pour s'intéresser à l'architecture gothique ou baroque: il était là pour de l'architecture contemporaine. Et même hyper contemporaine: une maison imprimée en 3D. En 48 heures seulement, un robot avait imprimé les murs de ciment, après quoi la maison en forme de trèfle avait été assemblée en moins d'une semaine, le jardin sur le toit avec légumes et fleurs compris.
"Une maison imprimée en 3D, c'est l'avenir, mais j'aimerais que l'avenir, ce soit maintenant", a déclaré son concepteur, l'architecte Massimiliano Locatelli, qui l'a construite en collaboration avec le célèbre cabinet d'ingénierie Arup, la multinationale Italcementi et CyBe, une start-up hollandaise d'impression 3D.
L'Italien doit sa réputation à ses intérieurs pour le Tout-Milan et ses meubles pour la galerie de design Nilufar. Ce n'est donc pas un hasard si l'entreprise a aménagé le salon, la chambre, la cuisine et la salle de bain de la maison avec ses propres meubles, bien qu'on y trouve également des pièces vintage de Nilufar, dont une table de nuit Le Corbusier et un chandelier Giò Ponti. L'architecte refuse de révéler où se trouve cette maison et qui l'a achetée après la fermeture du Salone, mais peu importe: à l'avenir, ces maisons seront partout, affirme-t-il. "Même sur la lune!"
Du secteur médical à la construction
Cela peut sembler mégalomane, mais il y a du vrai. Après les États-Unis, la Chine, la Russie et Dubaï (où le gouvernement veut imprimer en 3D un quart des nouveaux bâtiments d'ici 2030), ce type de constructions font l'objet d'une véritable hype en Europe. Aux Pays-Bas et en Belgique, les premiers sortiront de l'imprimante l'année prochaine. Et ce rêve de lune n'est pas à dormir debout: la NASA vient de lancer un concours pour trouver celui qui saura construire avec une imprimante 3D des habitations à l'aide de matériaux trouvés sur d'autres planètes. Sa récompense? 2,5 millions de dollars.
Prothèses de genoux sur mesure, pare-chocs de voitures, vases en verre ou tartes aux fraises: ce que fait l'impression 3D ne suscite plus l'étonnement. Ces dernières décennies, les imprimantes 3D ont bouleversé des secteurs entiers, des appareils auditifs au secteur médical, et c'est au tour de la construction. En 2013, l'architecte belge Gilles Retsin est devenu célèbre dans le monde entier grâce à la maquette d'une maison à imprimer en 3D, son travail de fin d'études pour l'Architectural Association School of Architecture, la prestigieuse école de Londres où ont également étudié Zaha Hadid et Rem Koolhaas. Le Centre Pompidou de Paris a acheté la maquette, mais la Proto House n'a jamais été construite, euh... imprimée. "Pourtant, c'est possible", rétorque-t-il. "La technologie n'est pas différente de celle de l'impression en 3D d'une chaise, avec des robots et des petits blocs imprimés en 3D. Nous avons la technologie, pas le budget. C'est un appel à propositions: si un client se sent inspiré, qu'il n'hésite pas à se manifester!"
Règles strictes
Retsin devrait-il s'installer en Chine? En 2013, WinSun a été la première entreprise au monde à construire avec une imprimante 3D dix maisons et une villa. En Russie, la technique a été utilisée début 2017 pour imprimer un 'McMansion'. Cependant, les experts doutent de la qualité de ce type de constructions. Comme chacun sait, en Europe, mais aussi aux États-Unis, ce secteur est soumis à des règles strictes. C'est aussi la raison pour laquelle la révolution de la construction 3D y a démarré un peu moins vite. L'année dernière, les Danois de 3D Printhuset ('maison d'impression') ont construit le prototype d'un 'BOD', un 'Building On Demand'. La petite 'urban cabin' imprimée en 3D que DUS Architects a sortie de l'imprimante en 2016 et qui se trouve dans le port d'Amsterdam était aussi un prototype, mais l'objectif est qu'une '3D Canal House' voie le jour en 2020.
De quoi a-t-on besoin pour imprimer une habitation? Une imprimante géante - dans certains cas à bras robotisés -, programmée de manière à ce qu'elle sache parfaitement où et quand extruder le béton comme le dentifrice d'un tube. Ainsi, la maison est construite couche par couche, selon un 'procédé additif'. Si les entreprises d'impression 3D se targuent volontiers de durées record - 48 ou 53 heures -, elles ne parlent que de la structure proprement dite ou des fondations, de l'isolation et de la finition, qui restent évidemment nécessaires. Cependant, il n'en est pas moins impressionnant qu'une imprimante aussi gigantesque puisse fabriquer les parties les plus importantes d'une maison en deux jours seulement."
Il y a de fortes chances que le scoop de la première maison habitable imprimée en 3D revienne à Project Milestone à Eindhoven. En juin dernier, le monde entier a appris qu'à partir de 2019, cinq maisons en béton seraient construites avec une imprimante 3D dans le quartier verdoyant de Bosrijk, et mises en vente. Un projet des architectes Houben/Van Mierlo. Avec leur couleur grise et leurs formes rondes, elles ressemblent à des rochers dans le paysage verdoyant.
Grande liberté
Sans inclure le coût de l'onéreuse imprimante, l'impression 3D est moins chère que la construction classique, affirment ses partisans, car on ne consomme que ce dont on a besoin. Néanmoins, c'est la liberté de forme qui est considérée comme son plus grand atout. C'est également ce que Theo Salet, professeur en construction de l'Université technique d'Eindhoven, qui dirige ce projet avec la municipalité, a expliqué à la télévision: "Adieu boîtes, poutres, murs et colonnes droites. Cela offre aux architectes une grande liberté pour créer de jolies formes, agréables à vivre."
D'ici quelques mois, ces jolies formes produites par une imprimante de 10 mètres de large, 10 mètres de profondeur et 10 mètres de haut, se retrouveront à Kamp C, le Centre provincial pour la construction et l'habitat durables à Westerlo. Kamp C veut y construire une maison mitoyenne de trois chambres et deux étages, d'une hauteur de 6 mètres. "La technologie le permet", déclare Kai Van Bulck, chef de projet. "Nous voulons montrer que c'est possible et ce qu'on peut en faire, pour positionner le secteur de la construction en pole position."
Sur le plan de l'impression 3D dans le secteur de la construction, la Belgique a son épingle à tirer du jeu, estime Kris Binon, directeur de Flam3D, l'organisation faîtière d'entreprises d'impression 3D en Flandre. "En ce qui concerne l'impression 3D dans la construction, nous avons surtout effectué des recherches sur la composition idéale du béton jusqu'à présent", explique-t-il. "C'est typiquement belge: nous tenons à présenter quelque chose de parfait et faisons peu de communication. Des Néerlandais me le disaient encore récemment "Nous allons d'abord annoncer que nous avons la maison et, ensuite seulement, réfléchir à la façon dont nous allons l'imprimer". Alors que nous, les Belges, nous y travaillons depuis trois ans, mais ne pensons pas à en faire étalage."
Une solution, pas de la science-fiction
La start-up Icon a cependant fait parler d'elle en mars 2018, lors de la dernière édition du festival texan SXSW dédié à la technologie où elle a présenté en grande pompe la toute première maison imprimée avec du ciment et du sable. En collaboration avec l'asbl New Story, elle a le projet de construire, d'ici la fin de l'année prochaine, une centaine de maisons dans les quartiers pauvres du Salvador, en Amérique Centrale. La technologie 3D, rapide et moins coûteuse, est idéale pour l'aide d'urgence.
Adieu boîtes, poutres, murs, colonnes droites. Les architectes vont créer de jolies formes, agréables à vivre.
"Notre maison à Austin, sans finitions, a coûté environ 10.000 dollars", explique l'équipe. "Note idée est de construire des maisons à 4.000 dollars au Salvador." Cette révolution 3D n'est donc pas réservée aux futuristes de la Silicon Valley ou aux amateurs de villas extravagantes: des abris seront nécessaires pour faire face au nombre croissant de citadins en Chine et en Afrique ou aux urgences climatiques.
Selon Gilles Retsin, qui a cofondé le Design Computation Lab à la Bartlett School of Architecture, construire avec des imprimantes 3D sera moins cher. "Nous n'aurons plus besoin de briques, seulement de cinq robots qui imprimeront tous les éléments en trois semaines." Selon lui, l'impression 3D et les robots changeront le secteur de la construction. "Il n'y a qu'un seul secteur moins numérisé et moins automatisé que la construction: la chasse. Nous construisons encore comme avant la Deuxième guerre mondiale. La dernière révolution en la matière a été le modernisme, qui a permis à chacun de vivre dans un appartement préfabriqué en béton. Ce n'est donc pas de la science-fiction. Et cela va changer beaucoup de choses. Comme ce que l'iPhone a fait pour la photographie."