Parmi tous les bâtiments originaux qui peuvent être visités ce mois-ci dans le cadre du Brussels Art Nouveau & Art Déco Festival (Banad), personne n'en a restaurés davantage que l'architecte Francis Metzger. Après la Villa Empain, la Maison Autrique de Horta et la Maison Saint-Cyr, il s'attaque aux Serres Royales de Laeken. "Je ne pourrais pas vivre dans une maison Horta."
"Les Serres Royales de Laeken et le Palais de Justice de Bruxelles!" Il y a deux ans, voilà ce qu'avait répondu l'architecte Francis Metzger (61 ans) quand nous lui avions demandé quels étaient les deux bâtiments qu'il voudrait restaurer.
Choix prophétique: en 2019, il pourrait s'attaquer à ces deux moments iconiques de l'architecture belge du XIXème siècle. Pour les serres, il faudrait même aller jusqu'à Paris: en effet, pour intervenir sur ce chef-d'oeuvre en verre, il faudrait avoir le concours de François Chatillon, l'architecte qui a restauré le Grand Palais.
Ces deux projets pharaoniques seraient les cerises sur le gâteau qu'est le CV de Francis Metzger, qui compte aussi la bibliothèque Solvay, la Villa Empain, l'Hôtel Astoria, la Maison Autrique, la Gare Centrale, la Maison Delune et l'Aegidium. Oui, rien que ça.
Aujourd'hui, la réputation de l'architecte est telle que certains amateurs de joyaux Art nouveau et Art déco ne veulent les acheter qu'à condition d'avoir la garantie que c'est lui qui les restaurera. Ainsi qu'en témoigne ce coup de fil reçu en 2014. "Francis, je peux te voir? Je suis tombé amoureux de la Maison Saint-Cyr, mais je ne l'achèterai que si c'est toi qui te charges de la restauration."
Le spécialiste accepte et, le lendemain de l'entrevue, l'acte de vente est signé. "Le client a acheté la maison comme un collectionneur acquiert un tableau: sur un coup de coeur."
Effets optiques
Deux bonnes nouvelles pour ceux qui souhaitent l'admirer. La première: la restauration vient d'être achevée. La seconde: la maison ouvre ses portes dans le cadre du Banad, le Brussels Art Nouveau & Art Deco Festival, qui a lieu ce mois-ci. Une occasion à ne pas rater: ce sera sans doute la première et la dernière fois qu'elle sera accessible. Si la façade de la maison Art nouveau la plus extravagante de Belgique (un projet de Gustave Strauven - 1878-1919) est célèbre, l'intérieur, tel qu'il a été conçu en 1903, est un scoop. Et un choc.
"Bien que la maison ne fasse que 4 mètres de large, l'intérieur paraît immense en raison des nombreux effets optiques", confie Metzger. "Toute la maison s'articule autour d'un escalier central qui dessert toutes les pièces. L'expérience spatiale est extraordinaire."
Masque à gaz
En 1900, le peintre Georges Saint-Cyr charge l'architecte Strauven de lui concevoir une maison au numéro 12 du square Ambiorix, à Bruxelles. "En 1896 et 1897, Strauven a travaillé dans le studio de Victor Horta. Nous supposons que le peintre a dû faire la connaissance du jeune Strauven par l'intermédiaire du père de ce dernier, qui était le jardinier de Saint-Cyr. Nous n'en serons jamais sûrs."
"C'est ce qui rend si spéciale cette restauration, ce que l'on aborde cette mission dans l'ignorance la plus totale: si certaines informations ont été révélées après une étude historique, de nombreuses énigmes subsistent."
C'est l'historien Carlo Chapelle qui, en quête de documents sur cette maison, s'est plongé dans toutes les archives possibles et imaginables. "Il a même retrouvé des factures des entrepreneurs! Il a rempli des cartons et des cartons d'informations utiles ou anecdotiques", sourit Metzger.
"Au début, nous ne savions même pas à quoi ressemblait Strauven -on ne connaissait qu'une seule photo de lui sur laquelle il portait un masque à gaz. J'ai donc mis Carlo au défi de trouver un portrait digne de ce nom. Et il a réussi: il en a même déniché deux, dont une photo qui figurait dans son carnet militaire.
Mutilé et méconnaissable
Quand ces bâtiments sont en ruine, tout le monde s'en fout: la Villa Empain a été squattée et même pillée.
Strauven décède en 1919, atteint de tuberculose. Ce célibataire n'avait pas 41 ans. On en sait un peu plus au sujet de Saint-Cyr, un peintre sans grand succès qui travaillait principalement dans un style néo-Renaissance. "Sa maison était très éclectique. Il avait un salon néo-Renaissance flamande ainsi qu'un salon chinois qu'il avait ajouté dans les années 1920.
Ce mélange d'influences était normal à l'époque. Je considère l'architecture d'alors comme un repas avec une entrée, un plat et un dessert: des services qui n'étaient pas nécessairement cohérents. L'intérieur tel que nous l'avons trouvé n'était plus du tout comme en 1903 et plus personne ne savait à quoi il ressemblait. Pour une restauration, je dois pouvoir remettre l'identité d'un bâtiment à nu; dès qu'il est utilisé, il la perd car il est "mutilé" par toutes les interventions réalisées au fil du temps, jusqu'à devenir méconnaissable."
Les architectes de restauration doivent faire preuve de patience car les monuments qui sont dans un état problématique demandent une analyse historique approfondie tout en étant le plus souvent classés.
De plus, les artisans qui maîtrisent les techniques anciennes sont pratiquement introuvables et donc, impayables. "Sans oublier que certains matériaux anciens sont devenus introuvables. La recherche de matériaux de substitution est loin d'être évidente, et particulièrement chronophage", ajoute l'architecte. Comme à la Villa Empain (1930-1934), pour laquelle Louis Empain a recouru aux matériaux les plus exclusifs et aux meilleurs artisans de son temps.
"Trois pièces manquaient au plafond, une pièce unique en verre, signée de l'artiste français Max Ingrand: pour les refaire, une restauratrice allemande a travaillé pendant six mois. Le bois de Manilkara du Venezuela, abondamment utilisé dans la villa, n'est plus disponible.
Et comme il était impossible de trouver les pierres qui correspondaient aux dalles de marbre du hall, parce que la carrière était fermée, nous avons dû scier les dalles longitudinalement pour produire des "nouvelles dalles". Il faut parfois faire preuve d'inventivité, ou de réalisme: nous n'avons pas restauré l'éclairage au gaz, mais l'avons remplacé par des lampes imitant cette lumière."
Metzger peut raconter le même genre d'anecdotes sur l'Aegidium, un complexe de salles des fêtes à Saint-Gilles (1905) dont la salle mauresque était éclairée par 5.000 ampoules électriques: aujourd'hui, ce sont des LED qui imitent la lumière d'antan.
Dans les chaussures de Horta
La Maison Saint-Cyr a failli être détruite il y a un siècle. Dès son achèvement, en 1903, la maison Art nouveau la plus extravagante de Belgique a suscité de vives critiques. La ville de Bruxelles a intenté un procès en raison de sa balustrade florale presque baroque. Et dans les années septante, des voix se sont même élevées pour que le bâtiment soit détruit comme le fut la Maison du Peuple de Horta.
"Quand ces bâtiments sont en ruine, tout le monde s'en fout. La Villa Empain a été squattée pendant des années et a même été pillée. Ce n'est qu'au terme d'une restauration totale qu'elle a retrouvé sa gloire", témoigne Francis Metzger.
L'architecte, diplômé en 1982 de l'I.S.A. Victor Horta, a commencé sa carrière par un stage chez l'architecte et dessinateur de BD Luc Schuiten. En 1983 il fonde le bureau Deleuze, Metzger & Associés, qui devient en 2002 Metzger & Associés Architecture (MA²). Ce dernier est spécialisé dans la restauration de propriétés monumentales, mais travaille aussi sur de grands projets de nouveaux bâtiments comme le nouvel hôpital Erasme. La proportion nouveaux projets - restauration est de l'ordre de 50/50.
Pourtant, Francis Metzger ne vit pas dans un bâtiment signé Horta ou Van de Velde. "Je trouverais ça impossible, ce serait comme porter les chaussures d'un autre. Quand on est créatif, ces signatures sont trop contraignantes. Je vis dans un bâtiment néo-classique, dans le quartier de la rue Belliard. Je n'ai restauré que ce qui avait de la valeur.
Chez moi, j'ai besoin d'espace et de liberté. Toute mon oeuvre est un dialogue avec des architectes disparus et je ne tiens pas à ce que ma maison me rappelle mon travail. Croyez-vous que les prêtres accrochent des crucifix partout chez eux?"
Le Brussels Art Nouveau & Art Deco Festival (Banad) se déroule du samedi 16 mars au dimanche 31 mars, avec visites guidées, visites d'intérieurs, conférences, expositions et concerts. La maison Saint-Cyr ne peut être visitée que les 30 et 31 mars. Inscriptions et programme complet sur www.banad.brussels