Certains ont un boulanger attitré. D’autres, à l’instar d’André Vanden Borre, ont un architecte attitré. Avec AABE, le cabinet d’architecture de Bruno Erpicum, André Vanden Borre a déjà mené onze projets à bien.
André Vanden Borre est ultra-fidèle à Bruno Erpicum: l’entrepreneur immobilier bruxellois n’a jamais choisi un autre architecte. Pourtant, ce n’est pas pour autant un “collectionneur d’architecture”, qui conserverait toutes ses réalisations. “Je vends tout”, déclare Vanden Borre. “Je ne suis pas un collectionneur banquier!”
“Nous avons plusieurs clients avec lesquels nous avons construit quatre ou cinq fois, mais André Vanden Borre est largement en tête!”, précise Bruno Erpicum (60 ans). “Rien qu’à Ibiza, nous en sommes déjà à cinq maisons. En trente ans, nous avons réalisé onze projets ensemble, en Belgique et en Espagne. Dont cinq à titre privé.”
Ma finca à Ibiza
Ils ne partent pas en vacances ensemble, mais, près toutes ces années d’étroite collaboration, les deux hommes sont devenus amis. “C’est inévitable. En tant qu’architecte, on pénètre si profondément dans la vie privée de son client qu’on apprend vraiment à se connaître”, explique Erpicum. “J’ai besoin de savoir comment le client se brosse les dents et où il jette ses vêtements sales. Oui, la question “comment voulez-vous habiter?” est assez intime.”
“L’architecture est une sorte d’intrusion, mais intellectuelle”, ajoute l’entrepreneur. “Bruno m’a fait déménager un nombre incalculable de fois; en général, je reste trois à cinq ans dans une maison. Et puis, lancer un nouveau projet avec lui, ça continue à me démanger. Et, chaque fois, je revends tous mes meubles: j’aime partir d’une page blanche.”
André Vanden Borre vit au Luxembourg, à Ibiza et, occasionnellement, à Bruxelles. Au Grand-Duché et sur l’île des Baléares, ses demeures sont des bâtiments historiques qui ont été rénovés (bien entendu) par Erpicum et son atelier d’architecture AABE.
À Bruxelles, Vanden Borre a fait d’un garage reconverti son pied-à-terre, avec des voûtes en fer d’origine et de grandes fenêtres. Sa maison à Ibiza, une finca du XIXe siècle, est peut-être la plus modeste et la plus compacte qu’il ait jamais habitée. “C’est une petite ferme blanche typique, avec des murs épais, des petites fenêtres et un patio pour être à l’abri du vent. Ibiza est couverte de ces fermes abandonnées, généralement en mauvais état. Avec Bruno, nous avons restauré celle-ci: il a conservé les murs bruts, créé des puits de lumière et ajouté le confort contemporain. Sans cela, cela aurait été trop sombre et trop primitif pour moi.”
Surveillance par drone
Si l’entrepreneur vit dans une finca authentique, c’est un peu par hasard. L’agent immobilier local l’avait convaincu de mettre sa maison précédente en vente. Elle s’est vendue tellement rapidement qu’il n’a pas eu le temps de trouver la suivante. “Je ne trouvais pas de beaux terrains pour un nouveau bâtiment près de la ville d’Ibiza, jusqu’à ce que je remarque une vieille finca aux murs épais et aux petites fenêtres. Elle n’était pas très chère, comme c’est généralement le cas de ces bâtiments, mais elle nécessitait une rénovation en profondeur.”
Louer temporairement quelque chose d’autre et faire appel à Erpicum, comme les dix fois précédentes? “Rien que l’obtention du permis de bâtir a pris sept ans. Les règles sont de plus en plus strictes à Ibiza”, soupire Vanden Borre. Erpicum plussoie: “Pour un client, j’ai dû attendre douze ans! En 2007, il m’avait dit qu’il voulait fêter ses 60 ans dans sa nouvelle maison; il n’a même pas pu y fêter ses 70 ans, car il en avait 72 quand elle a été livrée! C’est super difficile d’arriver à faire construire quelque chose."
"Jusque dans les années 80, c’était rapide: on pouvait tout construire tout de suite, à condition de respecter les règles. Il n’était même pas nécessaire d’attendre le permis de bâtir pour commencer les travaux, car on régularisait la situation par la suite. Mais, ces vingt dernières années, l’île a été envahie par les touristes et la situation a radicalement changé: l’administration espagnole utilise même des drones pour voir avec précision où l’on construit. Il y a de plus en plus de gens qui, comme André, transforment les fincas existantes, vu qu’il est si difficile d’obtenir un permis pour une construction neuve.”
Architecture invisible
Selon les normes de l’entrepreneur, sa maison d’Ibiza est relativement modeste. Au cours des trente dernières années, il a vécu sur l’île, dans différentes demeures neuves, grandes et indépendantes. La Casa Azul (1990) a été le premier grand projet qu’il y a réalisé avec Erpicum.
“Bien que son design ait été basé sur l’archétype de la finca, un cube blanc avec annexes et patios, cette maison était plutôt audacieuse pour l’époque”, explique Erpicum. “La maison suivante d’André sur Ibiza date de 2000. Elle a été conçue comme une double finca étendue: deux parallélépipèdes blancs reliés entre eux, dans lesquels ont été pratiquées des ouvertures, qui encadrent la vue sur la mer et le paysage."
"À 500 mètres de là, nous avons construit une autre maison, qui épouse les courbes de niveau du terrain. La villa est conçue comme une feuille de papier blanche percée de colonnes et d’arbres. La façade qui l’entoure est vitrée. Presque tous les arbres de la propriété ont été conservés: nous avons juste construit la maison tout autour. En tant qu’architecte, j’essaie d’intervenir de la manière la plus discrète possible, pour faire disparaître la construction dans le paysage. C’est l’environnement qui dicte tout.”
Combat de boxe amical
Bruno Erpicum et André Vanden Borre se sont rencontrés à la fin des années 1980, alors qu’ils travaillaient ensemble sur une série de projets de rénovation de bâtiments historiques, à Bruxelles. “J’ai tout de suite été impressionné par son approche et sa qualité architecturale. Ensemble, nous avons réalisé des projets dans des contextes totalement différents: rénovations, lofts, appartements et villas neufs, aussi bien au cœur de Bruxelles que dans sa banlieue, ou même en Espagne”, explique Vanden Borre.
“L’avantage avec André, c’est qu’il vient seul à la table des négociations”, ajoute Erpicum. “Il sait ce qu’il veut, et il ne doit faire de compromis avec personne. Un premier projet avec un client peut être un combat de boxe amical. Dès que l’on est sur la même longueur d’onde, tout roule. C’est le cas avec André. Il connait bien mon style d’architecture et il me permet de faire du design hors modes. Quand je travaille pour lui, je peux personnaliser le projet."
"Par exemple, je sais que je n’ai pas besoin de concevoir une salle à manger avec une table pour 15 personnes, car il mange toujours à l’extérieur. Et qu’il veut deux chambres, et pas cinq ou six. S’il s’agit d’un projet immobilier destiné à être vendu immédiatement, nous cherchons à créer un effet wow et à optimiser les mètres carrés.”
Extension en béton
Y aura-t-il un nouveau projet commun? “Il n’y a rien pour le moment, mais je sens qu’André est encore dans le mood”, répond Erpicum. “Les années passent vite et la construction est un processus lent, surtout à Ibiza”, témoigne Vanden Borre.
“Je rêve d’une extension contemporaine en béton pour ma finca. J’aimerais encore réaliser ça. Je voudrais être plus près de la ville d’Ibiza et profiter davantage de la nature et du paysage autour de ma maison. J’adore voir les arbres pousser et les buissons fleurir! Si je plante un nouvel arbre, je ne le verrai probablement pas grandir. Je profite autrement du temps qui passe.”