Perchée à 1.200 mètres d'altitude, elle vit une seconde jeunesse grâce à une restauration minutieuse. Visite exclusive pour Sabato à la maison-bulle Le Balcon de Belledonne.
La chaîne de Belledonne, dans les Alpes françaises, constitue un décor naturel de carte postale, avec sommets enneigés en hiver et prés verdoyants en été. Face à elle, une maison blanche immaculée aux lignes organiques semble s'être posée, tel un ovni, à flanc de montagne. Elle évoque l'habitat des Barbapapa, la série de livres pour enfants des années 1970. Les portes, constituées d'un assemblage d'outils agricoles recouverts de fibre de verre, apparaissent comme des chrysalides jaune-orangé.
"La poignée de la porte d'entrée est la tête du marteau de mon grand-père, qui travaillait dans les usines en Lorraine", raconte Alice Christophe, propriétaire des lieux depuis 2021. C'est l'une des multiples restaurations faites à la main par les nouveaux maîtres du site, arrivés ici un peu par hasard. "Juste après la pandémie, Scott et moi nous sommes réfugiés ici, dans ma région familiale. Comme beaucoup de gens à l'époque, nous aspirions à un retour à la nature."
Historienne de l'art et conservatrice, Alice Christophe et son époux Scott Lawrimore, curateur, forment un couple franco-américain à l'œil averti, attiré par l'objet rare. Si, au départ, le duo cherchait un corps de ferme à rénover, c'est sur LeBoncoin qu'ils dénichent la belle endormie. "Peut-être est-ce la maison qui nous a choisis, en fin de compte", sourit l'acquéreuse.
Libération des formes
Dans la France des années 1950, une frange d'architectes milite contre la rigueur de la Reconstruction après 1945. Ils mettent au point de nouvelles techniques pour bâtir des formes libres, comme le béton projeté sur armature d'acier. C'est l'avènement des architectures-sculptures et des maisons-bulles.
Claude Costy (1931) et Pascal Häusermann (1936-2011) font partie de ceux-là. Ils se rencontrent à l'école d'architecture de Genève, dont Claude fut l'une des premières femmes diplômées, en 1962. En couple au travail comme à la ville, ils s'associent de 1963 à 1972 avant de se séparer. Précurseurs de l'architecture organique, ils seront suivis par Antti Lovag, Pierre Székely ou Henri Mouette. Ils imaginent des constructions écologiques qui favorisent l'harmonie entre le bâti et son environnement, surtout en Auvergne-Rhône-Alpes. Costy sera souvent oubliée dans les récits sur le couple, pourtant c'est elle qui va largement développer la technique du béton projeté. Parmi ses constructions personnelles, l'école de Douvaine en Haute-Savoie (1971-78) et la maison Unal en Ardèche (1973-2008) sont des exemples remarquables. Après un voyage en Crète, Costy découvre la poterie et s'y consacre depuis la fin des années 1990. Elle l'enseigne encore dans sa maison-bulle, à Minzier.
Love story
La première rencontre avec les lieux se fait sous une tempête de neige. La deuxième fois, le couple découvre la vue imprenable: d'un côté le mont Blanc, de l'autre Chamrousse, et le massif de Belledonne en face. C'est le coup de foudre. "Nous avons tout de suite aimé la façon dont la maison s'assoit dans son paysage naturel. Cet édifice minéral s'intègre finalement beaucoup mieux qu'un chalet de montagne", se souviennent-ils.
À l'intérieur, un volume organique tout en courbes ouvre la vue sur la montagne environnante, comme un observatoire géant sur la nature. À l'origine, le lieu fut construit par un yogi, en 1966. Il souhaitait ouvrir un espace de bien-être avec piscine, solarium et sauna. Il y recevra des pratiquants du monde entier, pour une retraite de yoga ou un séjour de bien-être. Il quitte les lieux au début des années 1970 pour rencontrer le Dalaï-Lama au Tibet. La maison, vendue, passe entre différentes mains, jusqu'à notre couple d'historiens amoureux du site, qui réécrit son histoire.
Autorestauration
"Nous avons eu les clés en juin 2021. Au début, on ne savait pas par où commencer...", avoue la propriétaire. La maison, en piteux état, demandait une restauration complète. Après avoir demandé l'avis d'artisans qui eux aussi ne savaient par quel bout prendre l'édifice, le binôme décide de le restaurer de ses propres mains. "C'est là que nous avons contacté Claude Costy", ajoute notre hôte. Habitant non loin de là, Costy explique: "Cette maison c'est du béton, du fer, du verre, et de la résine. Il suffit d'assainir les fissures, reconstruire les formes, poncer et peindre." Facile à dire? Pas tant que ça. "À notre grande surprise, ça marchait!", s'enthousiasme Alice Christophe.
Après l'installation du chauffage au sol et de la structure électrique, l'heure est à l'aménagement intérieur. Mais aucun meuble disponible dans le commerce ne s'adapte à une maison-bulle. Alors après s'être improvisé maçon, le couple devient décorateur et designer de mobilier. Ils modèlent sur mesure douche, évier et canapé intégrés en béton, portes et placards en résine et fer, comme à l'époque de la construction. "On faisait les maquettes grandeur nature, en carton. Tout est fait à échelle humaine", raconte Alice Christophe.
En septembre dernier, la restauration est achevée et la maison révèle enfin sa vraie nature. Teintée de blanc, elle se pare de touches jaune orangé, grâce aux portes et placards en résine, en écho avec la lumière du soleil. Dans le salon, le canapé en béton tout en courbes réalisé sur mesure est une invitation à s'y installer. Ici et là, des céramiques de Claude Costy prolongent la présence de l'architecte dans les lieux.
Une nuit au Paradis
Mais l'histoire ne s'arrête pas là. La bulle annexe sera également restaurée en tiny house. Pour financer cette deuxième phase des travaux, le couple de passionnés a une idée. "Nous louons la maison dans le but de récolter les fonds nécessaires à la restauration de cette annexe. C'est un rêve qui grandit", précise Alice Christophe.
On peut ainsi séjourner à quatre personnes dans ces cent mètres carrés de paradis blanc, perchés face aux montagnes. Dormir dans la chambre cocon avec ses meubles intégrés, ou bien dans l'immense lit rond du coin à coucher. "Une fois dans le lit, la vue est imprenable." On pourra prendre le petit-déjeuner sur l'un des bancs en béton devant la baie principale, ou boire un verre de vin en admirant le coucher du soleil.
Les réservations, à partir de deux nuitées, sont ouvertes d'avril à novembre, à la belle saison. "La lumière du matin y est magique, elle entre par la grande fenêtre et réchauffe la pièce principale. Le temps s'arrête, on fait partie du monde", révèle la propriétaire. À terme, l'objectif est d'ouvrir la maison au public, notamment aux Journées du Patrimoine, et d'accueillir des artistes. "Nous sommes des passeurs de ce lieu incroyable et nous souhaitons continuer à le faire vivre en préservant un lien avec le public."
Le Balcon de Belledonne
| Prix | À partir de 250 euros la nuit pour quatre personnes
| Site web | balcondebelledonne.com
| Instagram | @balcon.de.belledonne